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«Adore»: paradis ou enfer?

On nous présente une histoire d'amour à la limite de l'inceste. Et c'est bien là toute la force du film.
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Adore est le nouveau long métrage d'Anne Fontaine (Coco Avant Chanel (2009)) qui a été présenté le 2 septembre lors de la clôture du Festival des Films du Monde de Montréal et qui est en salles au Québec depuis le 6 septembre. En Nouvelle-Galles du Sud en Australie vivent Roz (Robin Wright) et Lil (Naomi Watts), mères respectivement d'Ian (Xavier Samuel) et de Tom (James Frecheville). Amies depuis leur plus tendre enfance, il en est de même pour la relation entre les deux garçons. Lors d'une soirée arrosée, Ian couche avec Roz et le lendemain, c'est Tom qui fera de même avec Lil. Dès lors, ces deux couples vivront une histoire d'amour pour le moins inhabituelle à l'abri des regards. Adaptation du roman intitulé Les grand-mères de Doris Lessing, Adore est un film troublant, qui tout en subtilité dépeint un huis clos sentimental dont on ne sait trop quoi en conclure et ce, bien que du début à la fin, on nous présente une histoire d'amour à la limite de l'inceste. Et c'est bien là toute la force du film.

Pays imaginaire

Dès les premières minutes du film, on voit les quatre protagonistes réunis à l'enterrement du mari de Lil qui est mort dans un accident de voiture. Jamais cette dernière ne se remariera et on s'aperçoit rapidement qu'elle est une femme comblée non seulement par la présence de son fils, mais aussi par celle de sa meilleure amie Roz. Le sentiment est d'ailleurs réciproque. Harold (Ben Mendelsohn), le mari de Roz est aussi effacé que possible. Quand celui-ci accepte un poste de maître de conférences à l'université de Sydney, l'épouse et le fils refusent de le suivre et sans trop de heurts, le couple finira par divorcer. Voici maintenant les quatre personnages vivant dans deux magnifiques maisons isolées au bord de la mer. Isolés, ils passent tous leurs temps libres ensemble. C'est presque de façon naturelle que les deux couples se créent, à moins de 24 heures d'intervalle. Et la réalisatrice Anne Fontaine de s'expliquer : «Il y a quelque chose de touchant dans cette histoire qui est en sorte comme la prolongation du sentiment amoureux entre Lil et Roz qu'elles perpétuent d'une certaine façon à travers la relation avec le fils de l'autre.» Normalement, ces histoires de couchette seraient propices à des querelles ou éventuellement pourraient créer un froid entre les individus, mais ici il n'en est rien. Ces deux couples profitent tout simplement de l'instant présent. Les années passant, les mères tenteront de briser leurs idylles pour le bien de leurs fils et ceux-ci se marieront et auront chacun une fille. N'empêche, jusqu'à la fin du film, ils lutteront entre la raison et la passion.

Ce qui surprend dans Adore, c'est qu'on assiste à très peu de moments mère-fils, mais à ceux de couple. Personne ne semble trouver cette situation anormale. En fait, tout au long du film, on se croirait au Pays imaginaire que l'on retrouve dans le roman Peter Pan de J.M. Barrie (1911). Là-bas, personne ne grandit, tout le monde est libre et les contraintes font aisément place à l'insouciance. Lil et Roz, ces deux femmes dans la cinquantaine, se comportent comme deux adolescentes alors que Tom et Ian éprouvent presque un sentiment maladif à l'égard de leurs amantes.

Mais qu'est-ce qui dérange au fond?

Tout au long du film, on ne peut s'empêcher de ressentir un malaise face à ces relations. Pourtant, leurs fils sont majeurs lorsque commencent les idylles et ce sont les garçons qui font les premiers pas et non l'inverse. De plus, il ne s'agit pas d'un simple feu de paille puisque leurs relations durent au moins deux ans. On pourrait aussi changer les rôles et Adore prendrait une tout autre tournure. Imaginons qu'un père ait une aventure avec la jeune fille de son meilleur ami. On ne pourrait s'empêcher de penser que celle-ci serait en position de vulnérabilité; qu'elle serait manipulée et que l'homme tiendrait le rôle du vicieux. La question n'est pas là. C'est que Lil et Roz sont si proches, et ce, depuis toujours, que la relation revêt presque de l'inceste. En effet, comment une mère peut accepter si facilement que son jeune fils ait une relation avec une femme de son âge et vivre en telle promiscuité avec le couple? De plus, toute morale est absente pendant presque tout le film (et pourquoi pas d'ailleurs) et les protagonistes ne sont ni jugés, ni condamnés pour leurs gestes, en grande partie parce qu'ils sont isolés du monde... mais pas des spectateurs.

La force des paysages

Qui eut cru qu'un lieu puisse en partie justifier ou alors faire passer en second plan une relation quasi incestueuse? C'est justement là le coup de maître de la réalisatrice. Adore est l'un des derniers films tournés en 35mm format scope, ce qui donne une image à la fois granuleuse, propre au cinéma, et des plans de dimension «carte postale» captant le plus de paysages possibles. Durant tout le film, on est exposé à un spectre de couleurs composé de vert émeraude, d'azur et de blanc. Le soleil est toujours au rendez-vous et les protagonistes passent le plus clair de leur temps à se vautrer sur Shelly Beach, une plage luxuriante du sud-est australien. Bien que le film s'étale sur plusieurs saisons, l'endroit où les protagonistes habitent depuis l'enfance semble figé dans le temps et reproduit un été en permanence. Ce spectacle pour les yeux des téléspectateurs parvient justement à nous faire oublier l'instant d'un moment «l'anormalité» dans laquelle vivent Lil, Roz, Ian et Tom. Fabien Reyre sur critikat.com abonde en ce sens : «La beauté insolente de ses comédiens et la splendeur des décors sont autant de subterfuges brillamment mis en place par la réalisatrice pour dérouler son intrigue : on est sonné, mais intrigué par les partis pris scénaristiques qui font peu de cas du caractère scandaleux de la situation .»

Adore, à la fois fascinant et dérangeant, est un film qui vaut le coup d'œil ne serait-ce que pour la mise en scène. Le spectateur, dans une salle sombre de cinéma, aura l'impression de se trouver sous les tropiques l'instant d'un moment. Ce décor enchanteur est si enivrant qu'on en vient presque à comprendre les protagonistes (voir même les jalouser) de couper les ponts avec le reste de la société. C'est un cocon malsain dans lequel les quatre protagonistes se réfugient; une prison paradisiaque.

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Les films à l'affiche, semaine du 6 septembre 2013

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