Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Vaccin contre Ebola: la méthode, le «timing» et le marché

L'épidémie récente liée au virus Ebola a largement occupé l'actualité des derniers mois. Selon les chiffres disponibles, environ 30 000 personnes auraient été touchées et plus de 11 000 décès ont été documentés.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

L'épidémie récente liée au virus Ebola a largement occupé l'actualité des derniers mois. Selon les chiffres disponibles, environ 30 000 personnes auraient été touchées et plus de 11 000 décès ont été documentés.

C'est dans ce contexte qu'ont été communiqués la semaine dernière les résultats d'un essai clinique évaluant un vaccin contre le virus. Ce vaccin a été développé via une collaboration entre des organismes publics, une petite entreprise de biotechnologie et le laboratoire américain Merck. L'article scientifique rapportant l'étude a été publié dans la prestigieuse revue britannique The Lancet.

Cette étude a adopté une méthode hétérodoxe dans des circonstances que l'on imagine extrêmes. Les investigateurs ont rejeté l'approche qui aurait consisté à tester la vaccination contre rien ou contre un placebo. Ils ont recruté des individus qui venaient d'être en contact avec une personne atteinte de la maladie liée au virus Ebola et deux attitudes étaient alors possibles: soit l'individu était vacciné d'emblée, soit il était vacciné après un certain laps de temps.

Le critère de jugement de l'étude était le taux d'infection à Ebola survenant après 10 jours, afin de laisser le temps au vaccin de susciter une réaction immunitaire protectrice. Les résultats bruts sont sans appel: parmi les personnes vaccinées immédiatement, aucune n'a développé d'infection après 10 jours (certaines en ont développé avant le seuil des 10 jours, qui correspond également à l'incubation du virus) alors que chez les personnes vaccinées plus tard, il y a eu 16 cas d'Ebola. La différence entre les deux groupes était statistiquement significative. Cet essai - qui est sans doute le premier du genre - a amené les auteurs à conclure à une efficacité observée de 100% du vaccin même s'ils estiment qu'en fait, le taux de protection réel pourrait être compris entre 75% et 100%.

Ces résultats représentent un espoir considérable dans le cadre de la lutte contre Ebola même s'ils sont préliminaires. Il reste à attendre les données d'observation à plus long terme et on ignore notamment à ce stade quelle est la durée de protection conférée par la vaccination. Il faudra également -contexte de défiance oblige- scruter attentivement la sécurité du vaccin même si seulement 43 effets négatifs ont été enregistrés à ce jour sur plus de 7000 personnes vaccinées. Il n'empêche, malgré ces règles nécessaires de prudence et de rigueur, ce vaccin n'existait pas il y a un an et il incarne maintenant une possibilité crédible de neutralisation d'une épidémie. C'est un fait remarquable qui a peu de précédents dans l'histoire de la médecine.

On est du reste étonné de n'avoir pratiquement pas entendu de commentateur s'interroger sur l'opportunité de ce timing. Pourquoi voit-on émerger seulement maintenant un vaccin contre un virus connu depuis près de 40 ans. Il y a schématiquement une raison scientifique et une raison commerciale. La raison scientifique d'abord. Pour démontrer l'effet protecteur d'un vaccin, il faut prouver qu'il confère une immunité significative aux personnes vaccinées par rapport à des personnes non vaccinées ou vaccinées avec un placebo.

Mais pour mettre en évidence cette différence statistique, il faut généralement recruter un nombre très important de patients, car les maladies concernées restent assez rares. En l'espèce, il fallait une situation d'épidémie pour pouvoir montrer que les personnes vaccinées seraient moins malades à terme que les personnes non vaccinées ou vaccinées plus tard. En l'absence d'épidémie, les différences observées auraient été trop minimes pour conclure à l'effet protecteur d'un vaccin. C'est donc la situation de crise sanitaire qui a permis de réunir les conditions mathématiques nécessaires à la démonstration de l'effet du vaccin.

L'autre raison qui explique ce «timing» relève d'une logique de marché. Avant cette épidémie, des recherches sur le vaccin existaient déjà mais elles avançaient lentement et étaient probablement sous-financées. Elles n'intéressaient pratiquement pas les gros industriels, car leurs perspectives commerciales semblaient incertaines et faibles. L'épidémie récente a changé la donne. Des financements supplémentaires ont été alloués et le marché est devenu attractif pour les laboratoires.

A part Merck qui a aidé au développement du vaccin dont il est question, on sait qu'au moins deux autres laboratoires (GSK et Johnson & Johnson) travaillent actuellement sur d'autres versions de vaccin. Qu'on les aime, qu'on les déteste ou qu'on y soit indifférent, il n'est pas contestable que la majorité des laboratoires pharmaceutiques sont des entreprises privées qui doivent être rentables pour exister. Le fait que la santé soit un bien supérieur qui doive être accessible à tous complique l'équation mais n'en change pas le résultat.

C'est tout l'art des politiques qui doit s'exprimer pour créer les incitations favorables à ce que les laboratoires privés investissent dans des solutions thérapeutiques adéquates aux besoins des populations, sans pour autant pervertir le marché en les protégeant exagérément. On avait déjà vu les gouvernements soutenir la recherche industrielle de façon astucieuse dans les maladies rares par exemple, avec des résultats concrets. Le cas de ce vaccin contre le virus Ebola ne dit pas que c'est facile, mais montre une nouvelle fois que c'est possible.

L'auteur de ce billet remercie le Dr Paul Benkimoun pour ses conseils.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.