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Doit-on «liker» la journée sans Facebook?

Et une journée mondiale de plus, une! Mais d'où vient-elle, cette journée sans Facebook? Il s'agit historiquement d'une agrégation aussi improbable qu'hétéroclite: des religieux prônant une abstinence technologique hebdomadaire, des psys et des gourous de la méditation opposant «vraie vie» et relations virtuelles, des citoyens inquiets des pratiques contestables des réseaux sociaux en matière de vie privée. Certes on ne peut qu'être d'accord avec l'idée d'un moment privilégié pour prendre conscience de la place que prennent les réseaux sociaux dans notre vie. Mais la charge accusatrice n'est-elle pas excessive?
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Et une journée mondiale de plus, une! Mais d'où vient-elle, cette journée sans Facebook? Il s'agit historiquement d'une agrégation aussi improbable qu'hétéroclite: des religieux prônant une abstinence technologique hebdomadaire (Sabbath Manifesto), des psys et des gourous de la méditation opposant "vraie vie" et relations virtuelles (disconnect to connect), des citoyens inquiets des pratiques contestables des réseaux sociaux en matière de vie privée.

Certes on ne peut qu'être d'accord avec l'idée d'un moment privilégié pour prendre conscience de la place que prennent les réseaux sociaux dans notre vie. Mais la charge accusatrice n'est-elle pas excessive?

Non, les réseaux sociaux ne sont pas (que) futiles

Dépeindre Facebook et les réseaux sociaux comme occupation vaine et inutile ne résiste pas aux faits. Au-delà de créer et d'entretenir du lien social ce qui n'est pas rien, les médias sociaux apportent d'énormes bienfaits dans la vie réelle. Des réseaux entre patients comme patientslikeme.com permettent à des malades d'échanger entre eux au quotidien, et de développer ainsi un savoir pratique complémentaire du savoir médical. En Amérique et en Asie, les universités ont développé des réseaux sociaux d'entraide et de soutien entre étudiants (un tiers des étudiants américains traversent un épisode dépressif sans être traités). En Afrique, Ushahidi.com s'appuie sur les réseaux sociaux pour remonter une information fiable et instantanée sur des exactions (meurtres, déplacements de population, viols...) mais aussi sur des irrégularités lors d'élections. Lors des tremblements de terre, des tsunamis et autres cataclysmes naturels, ce sont les réseaux sociaux qui continuent de donner de l'information et d'organiser les secours. Les réseaux sociaux sont aussi un outil de mobilisation citoyenne, et si "l'information, c'est le pouvoir ", les révolutions arabes nous ont montré que "la communication (ce qui se passe sur les réseaux sociaux), c'est le contre-pouvoir"! À n'en pas douter, les plus fervents adeptes de la journée sans Facebook sont Bachar el-Assad et tous ses camarades dictateurs. Parions même qu'ils seraient d'accord pour l'étendre au reste de l'année. Non, on ne peut plus sérieusement remettre en question l'utilité des réseaux sociaux. Veut-on vraiment se priver de ce progrès?

Facebook, un dealer 2.0?

On entend souvent parler d'addiction au sujet de Facebook, qui serait une véritable drogue pour les adolescents. Or malgré une controverse entre scientifiques depuis plus de 10 ans, il n'y a pas consensus sur la pertinence du terme même d'addiction pour qualifier les usages excessifs d'Internet. En complément des addictions classiques aux substances toxiques (alcool, tabac..) et de l'addiction aux jeux d'argent, certains psychiatres voudraient ajouter d'autres troubles (hypersexualité, comportements alimentaires, abus d'Internet) sous le label d'addiction comportementale. Leurs collègues s'y opposent avec quelques arguments de poids et il est donc nullement acquis que la prochaine version du catalogue des maladies mentales, le DSM V reconnaisse une "addiction" à Internet.

Il n'est pas question ici d'entrer dans cette controverse scientifique pas plus que de nier l'existence de problèmes qui sont réels et sérieux. Rappelons que dans des cas certes extrêmes, on a observé des morts pour avoir trop joué aux jeux vidéos (le chinois Lee Seung Seop) et des cas de profond épuisement chez des blogueurs hyperactifs (Emily Gould ou Jason Calacanis). Mais porter un mauvais diagnostic condamne à passer à côté des solutions.

Alors de quoi s'agirait-il si ce n'est pas un problème d'addiction? Une question d'autant plus importante qu'un nombre substantiel de personnes rapporte des formes légères de mésusages et d'excès. À l'évidence, ces technologies sont attractives et captent l'attention. Leurs concepteurs ne cessent d'ailleurs de les perfectionner en ce sens. Il s'agit de faire vivre une expérience la plus riche possible à l'utilisateur, et des sommes colossales sont investies par l'industrie numérique dans cette fameuse expérience utilisateur. Si on reste devant Facebook, c'est surtout parce que c'est riche, intéressant, valorisant, plaisant ou que cela va l'être bientôt si j'attends encore un peu.

Il y aurait alors un problème qui ne relève pas tant de l'accoutumance, du sevrage et des autres caractéristiques de l'addiction... que d'une sur-attractivité relative des nouvelles technologies. Une sorte de "concurrence déloyale". De ce point de vue, l'industrie numérique n'est pas très différente de l'industrie de la télévision qui nous avait déjà capté une bonne partie de notre "temps de cerveau disponible", et qui se voit maintenant dépassée par Internet et les réseaux sociaux. Cela expliquerait aussi pourquoi certaines études ont trouvé que la moitié des "cyberaddicts" identifiés comme tels, ne l'étaient plus après 1 ou 2 ans, ce qui est peu commun pour une addiction...La réalité est que nous disposons de bien peu de moyens pour réenchanter la vie. La vie dite "réelle"devient comparativement plus ennuyeuse. C'est un vrai problème mais qu'il ne convient peut-être pas de traiter par l'addictologie.

L'attractivité n'est pas la seule explication de tous les phénomènes observables en matière de mésusages mais elle illustre parfaitement que parler d'addiction dont il faut se débarrasser par l'abstinence pourrait s'avérer une approche totalement erronée.

Pour autant, prendre conscience des mésusages et des excès peut être une bonne idée en soi tellement les usages excessifs de Facebook sont manifestes chez certains. Au-delà de la prise de conscience, c'est la formation et surtout les moyens de réenchanter la vie qu'il faut développer. Peut-être même peut-on s'y atteler avec des technologies d'un nouveau genre?

Alors, pourquoi pas une journée sans Facebook si cela s'arrête à la prise de conscience... Mais compte tenu des urgences auxquelles l'humanité actuelle doit faire face (pénuries en eau et en nourriture, réchauffement climatique, pollution, conflits armés, injustices... ), gageons que la date du 29 février pourrait être plus appropriée. Une fois tous les quatre ans, cela devrait pouvoir suffire.

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