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Le nouveau web et la mort du clic

Le web tel que nous le connaissons est obnubilé par le clic. Celui-ci représenterait la meilleure mesure de l'intérêt du public pour les contenus qui lui sont proposés. Pourtant, de nombreuses études démontrent que ce n'est pas le cas.
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Le web tel que nous le connaissons est obnubilé par le clic. Celui-ci représenterait la meilleure mesure (ou approximation) de l'intérêt du public pour les contenus qui lui sont proposés, qu'il s'agisse de publicités, d'articles ou de contenus sociaux... Pourtant, de nombreuses études démontrent que ce n'est pas le cas. Le clic n'est en réalité qu'un reflet infidèle du degré d'intérêt du lecteur. Il détourne l'écosystème numérique de ce qui devrait lui importer réellement: l'attention. Un constat qui a plus de deux ans, mais qui tarde à produire ses effets...

Le clic, une unité de mesure très "pauvre"

Le clic s'est imposé dans les années 90 comme l'unité de mesure ultime en matière de web, mais une unité qui mesure un phénomène très basique. Pour reprendre une image déjà utilisée, le clic est le tourniquet à l'entrée du métro: concret, simple à comprendre, précis, mais d'une grande pauvreté pour appréhender, par exemple, les logiques de mobilité urbaine. Un peu comme si, pour savoir ce que les spectateurs ont pensé du match, ce qu'ils ont consommé dans le stade et si ils ont remarqué les affiches publicitaires au bord du terrain, vous ne disposiez que du nombre de personnes qui ont poussé le tourniquet à l'entrée.

Dans une étude publiée par la société d'étude Chartbeat, l'analyse de plusieurs milliards de visites sur différents sites avait prouvé que 55% des internautes passent moins de 15 secondes sur les contenus sur lesquels ils ont cliqué. Même en concentrant l'analyse sur les articles de presse, plus de 30 % des cliqueurs abandonnent leur lecture avant 15 secondes... Bref, le contenu attirant « pré-clic » n'est pas forcément satisfaisant. Le clic sur un titre d'article est, à cet égard, un exemple parfait deprogressive disclosure, et une illustration parfaite des limites propres à ce mode de design de l'information...

L'engagement: un clic comme un autre

On objectera qu'il y a clic et clic: celui sur un titre d'article attrayant, mais décevant versus celui sur le bouton share au sein d'un article que j'ai déjà évalué (et donc apprécié). En mettant l'accent sur l'engagement (sans toujours parvenir à bien le définir), les digital marketers pouvaient se dire qu'ils avaient trouvé le Graal des analytics. Mais là encore, les données contredisent l'intuition première: la même étude de Chartbeat montre que l'engagement social (share, retweet, like...) n'est pas corrélé au temps passé sur l'article.

Dans son guide sur la Psychologie du Partage, l'équipe marketing du New York Times avait bien identifié les principaux mobiles du partage social. Je partage d'abord un contenu parce que je pense que cette information va intéresser d'autres que moi. D'où deux conséquences logiques: il peut ne pas m'intéresser personnellement, et je peux me tromper sur l'intérêt du ou des destinataires. Lorsque la mère d'un jeune community manager partage avec lui un article sur la maintenance informatique parce qu'il "travaille dans l'Internet", l'article partagé n'a en réalité intéressé ni celle qui le partage, ni celui qui le reçoit. Par ailleurs, l'étude du New York Times montre que les internautes partagent des contenus qui "disent" quelque chose d'eux, et quelque chose de plutôt valorisant. On retrouve donc ici le classique effet "Arte ": les sondages déclaratifs ne coïncident pas avec l'audience réelle. Je partage des contenus qui me valorisent, me "distinguent", mais que je ne consomme pas forcément.

Du clic à l'attention: vers un web plus qualitatif?

Enfin, sous l'impulsion du mobile, les modalités d'interaction avec la page ont évolué. Désormais, plus des deux-tiers de l'engagement se passe sous le digital fold, la limite entre ce qui apparaît à l'écran au chargement de la page et ce qui est en dessous, après les 600 premiers pixels. La mode du long read n'est que la conséquence la plus visible du fait que, du point de vue de l'utilisateur mobile, le clic est une nuisance! En mode tactile, le scroll devient la règle, le clic l'exception. Google lui-même serait sur le point de basculer ses résultats vers l'infinite scroll... D'où les initiatives, comme Medium ou d'autres, pour entrer dans une logique de temps passé plutôt que de pages vues. Une logique qui reste certes « périphérique », comme l'indique Matthieu Lebeau, mais significative malgré tout.

Dans ce contexte, seule l'analyse de l'attention est porteuse de sens, que ce soit pour les éditeurs de contenu ou pour le marché publicitaire. Au lieu de se focaliser sur la fraude aux clics, les annonceurs devraient plutôt se soucier de ne pas payer des clics authentiques, mais inutiles. Cela passe par une analyse précise des types d'audience, par la mise en place de metrics d'interaction plus fines, par l'attention au temps passé de manière qualitative... Cela passera aussi peut-être par la volonté d'investir des territoires encore vierges (comme le son), mais surtout par le courage de développer des contenus réellement qualitatifs, c'est-à-dire en fait, des contenus substantiels.

Car l'étude de Chartbeat montre que les mots-clés associés aux articles ayant reçu le plus de clics, mais le moins d'engagement, recouvrent la terminologie habituelle du clickbait (biggest, top, best, nude...). En revanche, les articles ayant captivé réellement l'attention des lecteurs concernaient par exemple l'Obamacare, Edward Snowden ou la Syrie. Une lueur d'espoir pour les médias traditionnels, et une incitation pour eux à ne pas se laisser prendre à la course aux pages vues...

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