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Le libre-échange, un dossier «ultrasecret» en mars 1985? On peut en douter

Le projet de négociation de libre-échange entre le Canada et les États-Unis était-il bel et bien un projet secret ou même ultrasecret en mars 1985? L'information disponible sur le site Internet de Radio-Canada dans le cadre d'un dossier sur la carrière politique de Brian Mulroney va dans ce sens. Cela a de quoi étonner, et mérite un retour sur ce qui a été publié à l'époque.
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Le projet de négociation de libre-échange entre le Canada et les États-Unis était-il bel et bien un projet secret ou même ultrasecret en mars 1985? L'information disponible sur le site Internet de Radio-Canada dans le cadre de la présentation d'un dossier et d'entrevues sur la carrière politique de monsieur Brian Mulroney va dans ce sens. En voici un extrait :

«Le projet est alors ultrasecret. Les fonctionnaires reçoivent l'ordre de ne pas l'ébruiter. Le public canadien ne doit pas savoir.»

Cela a de quoi étonner, et mérite un retour sur ce qui a été publié à l'époque.

En novembre 1984, le gouvernement dirigé par Brian Mulroney rend public «Une nouvelle direction pour le Canada: programme de renouveau économique». Il y annonce qu'il «...étudiera en priorité,..., tous les moyens possibles d'obtenir un accès plus sûr et plus libre aux marchés.»

En janvier 1985, le ministre James F. Kelleher rend public le document de travail intitulé «Comment maintenir et renforcer notre accès aux marchés extérieurs». Un accord commercial bilatéral (Canada-États-Unis) global est l'une des options examinées dans ce document. Le gouvernement fédéral y indique, tout comme en novembre, qu'il consultera les provinces et les représentants du secteur privé sur les options présentées dans ce document.

Au cours du Sommet de Québec tenu les 17 et 18 mars 1985, est rendue publique la «Déclaration du premier ministre du Canada et du président des États-Unis d'Amérique concernant le commerce des biens et services». On y retrouve, entre autres, les paragraphes suivants:

«Nous avons aujourd'hui convenu d'accorder la plus haute priorité à la recherche de moyens mutuellement acceptables de réduire et d'éliminer les barrières commerciales existantes de façon à maintenir et à faciliter le flux des échanges et des investissements.»

«Nous avons demandé à l'ambassadeur Brock, délégué commercial général des États-Unis, et à l'honorable James Kelleher, ministre du Commerce extérieur, d'établir immédiatement un mécanisme bilatéral pour recenser toutes les possibilités de réduire et d'éliminer les barrières commerciales existantes, et de nous faire rapport dans les six mois qui viennent.»

Il n'y est pas dit explicitement que le premier ministre a proposé la négociation d'un accord de libre-échange, mais on discerne bien que le sujet a été sérieusement discuté. Instructions sont également données dans cette déclaration publique de régler des «entraves spécifiques au commerce» qui seront éventuellement des sujets importants des négociations de libre-échange.

Dans un article publié dans l'édition d'octobre 2007 de la revue Options politiques de l'Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), Charles McMillan, conseiller politique senior du premier ministre Mulroney de 1984 à 1987, écrit:

«To the surprise of International Trade Minister, James Kelleher, his department and the entire cabinet, the consultations exercise produced an overwhelming consensus in the Canadian business community to push for a bilateral trade agreement...and many supporters among labor, academe, and some provinces, moulded a constituency for a free trade agreement with the US.» (page 30)

Monsieur Mulroney indique en entrevue au journaliste Guy Gendron qu'il souhaitait garder la proposition d'accord bilatéral secrète en mars 1985 pour prendre le temps de «préparer le terrain». Il semble bien que «le terrain» était déjà bien fertile et bien connu à ce moment-là.

Les travaux et les consultations se sont poursuivis publiquement et en privé au cours des semaines et des mois suivants. La Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada (Commission Macdonald) y a ajouté sa contribution, notamment dans son rapport final en septembre 1985. Le premier ministre, ayant aussi reçu le rapport demandé six mois plus tôt au ministre Kelleher, s'est alors senti à l'aise d'informer formellement, le 26 septembre, la Chambre des communes de son projet de tenir des négociations de libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Les affirmations de dossier «ultrasecret» et de la nécessité de « préparer le terrain» pourraient tenir, mais à un moment antérieur à mars 1985. Dans son article précité, Charles McMillan indique (page 28 de la revue) que:

«Shortly after Mulroney was elected on September 4, 1984,..., Mulroney accepted the President's invitation for bilateral talks in Washington. At those meetings, President Reagan reiterated his 1980 initiative for a Canada-US-Mexico free trade zone,..., however vague the details.»

À son retour à Ottawa, il serait plausible que monsieur Mulroney en ait parlé à ses fonctionnaires et leur ait demandé de garder cela «ultrasecret», tout en leur indiquant l'importance de «préparer le terrain». La séquence relatée ci-dessus, c'est-à-dire documents de novembre 1984 et de janvier 1985, déclaration conjointe de mars 1985, etc., serait alors compatible avec ce qui est dit en entrevue par monsieur Mulroney au journaliste Guy Gendron, à tout le moins sur le secret et la préparation du dossier. Il suffirait, je suppose, de vérifier auprès de monsieur Mulroney si ses souvenirs à cet égard ne réfèrent pas à septembre ou octobre1984, plutôt qu'à mars 1985.

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