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Il ne s'agit pas de convaincre les gens de voter à gauche: il faut les convaincre de voter

L'appui verbal aux idées de gauche ne cesse de croître parmi la population occidentale. Toutefois, cela ne veut pas dire que la social-démocratie n'éprouve pas des défis colossaux pour créer, dans les faits, une majorité parlementaire.
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Me font toujours sourire ceux qui prétendent que l'air du temps est aujourd'hui à droite, que les idéologies néolibérales dominent le paysage médiatique, que nous traversons une époque autrement plus conservatrice, plus frileuse, plus individualiste que par le passé.

La vérité, c'est que l'appui verbal aux idées de gauche ne cesse de croître parmi la population occidentale, comme le démontrent les multiples sondages qui jaugent l'opinion sur les questions écologiques, l'égalité entre les sexes, la lutte au racisme, la tolérance aux minorités.

Toutefois, cela ne veut pas dire que la social-démocratie n'éprouve pas des défis colossaux pour créer, dans les faits, une majorité parlementaire. Il y a un pas énorme entre la « géographie des opinions politiques » d'une population et le dessin actuel de la carte électorale. Il y a en effet plein de pays de gauche qui ont - aussi paradoxal que cela puisse sembler de prime abord - des gouvernements de droite.

Comment expliquer un tel état des choses?

Un basculement du groupe d'électeurs

Commençons par rappeler une donne sociologique incontournable : depuis trente ans, nous avons assisté à un changement majeur du groupe d'électeurs traditionnels de la gauche. La classe des ouvriers, sur laquelle s'appuyaient historiquement les partis de gauche, s'efface progressivement. En France, son socle électoral a décru de 40% en 1981 (élection de Mitterand) à 23% en 2007 (élection de Sarkozy).

En outre, parmi ces travailleurs, rares sont ceux qui entretiennent encore une conscience de classe forte (près de la moitié se retrouvent dans le secteur tertiaire) et les ouvriers qui œuvrent toujours dans les secteurs lourds éprouvent souvent de la difficulté à se reconnaître dans l'idéologie de l'ouverture aux différences (sexuelles, religieuses, civiques, etc.) portée par la gauche plurielle. Dorénavant, même dans les pays de tradition socialiste, le vote ouvrier se divise également entre la gauche et la droite, et penche même dans certains cas vers l'extrême droite.

En remplacement de ce bassin d'électeurs, les partis de gauche ont réussi à attirer de plus en plus de diplômés, de jeunes, de membres des minorités dites visibles, d'urbains, d'agnostiques ou d'athées, et de femmes. Cette dernière catégorie d'électeurs est intéressante: c'est la première fois (depuis 2007 en France et en Espagne, depuis 2004 aux États-Unis) que les femmes votent davantage à gauche que les hommes. Les immigrants ont aussi tendance à voter davantage à gauche (ils ont appuyé à 80% l'élection de Barack Obama en 2008 aux États-Unis; en Allemagne, près de 90% des citoyens d'origine turque ont voté en faveur de l'alliance SPD/Verts aux élections fédérales de 2005). Enfin, les personnes éduquées s'identifient en plus grand nombre aux partis de gauche.

C'est sur cette « nouvelle coalition progressiste » que reposent désormais les succès de la gauche dans la plupart des pays occidentaux.

Forces et faiblesses de la nouvelle coalition progressiste

Pour ceux et celles qui espèrent renforcer l'appui électoral de la gauche, on peut se réjouir de ce que certains éléments de cette « nouvelle coalition progressiste » soient en essor démographique en Europe et en Amérique du Nord. La proportion d'immigrants ne cesse de croître. Le niveau d'éducation connaît une croissance continue. Le nombre de non religieux est en hausse. Le niveau d'urbanisation progresse également.

Au su de ces transformations sociales, il semblerait que la gauche puisse contempler de beaux jours devant elle. Il faut néanmoins souligner deux faiblesses électorales structurelles de ces groupes d'électeurs.

En premier lieu, l'expansion des groupes électoraux qui privilégient la gauche, tout réel soit-il, est limitée. S'il y aura proportionnellement, par exemple, dans les pays occidentaux, plus de minorités visibles et plus de diplômés en 2040, il y aura aussi beaucoup moins de jeunes. Par exemple, les personnes de 65 ans et plus représenteront alors près de la moitié (48%) de la population québécoise en âge de voter. Rien ne garantit qu'une population âgée penche, en soi, plus à droite qu'une population plus jeune, mais l'on sait que ce vieillissement favorise au moins certaines tendances conservatrices.

En second lieu, même si les femmes ont désormais un taux de participation aussi élevé que les hommes, il faut souligner l'abstention élevée de plusieurs catégories d'électeurs progressistes. Les jeunes en particulier désertent les urnes. En général, désormais, moins de la moitié des électeurs âgés de 18 à 24 ans votent aux élections (versus plus des trois-quarts pour les 65 ans et plus). Cet aspect du problème est décisif. Il ne suffit pas de pouvoir compter sur un plus grand nombre d'électeurs sympathiques aux thèmes et idéaux de la gauche; encore faut-il que ceux-ci daignent se rendre aux urnes.

Pour une gauche majoritaire

Les deux faiblesses structurelles précitées empêchent toute réjouissance prématurée des mouvements progressistes. C'est une lapalissade d'affirmer que la nouvelle coalition progressiste n'a pas encore réussi à percer en Occident. Seulement cinq pays européens sur vingt-sept ont des gouvernements sociaux-démocrates. Aux États-Unis, la victoire historique d'Obama en 2008 ne devrait pas cacher que celle-ci a été acquise dans un moment très particulier de discrédit quasi-total du Parti républicain. La dégelée aux élections partielles du Congrès américain, deux ans plus tard, nous rappelle que les gains démocrates demeurent fragiles. Au Canada, Harper a réussi à arracher un premier gouvernement conservateur majoritaire depuis 1988.

Que peut-on faire pour renforcer la nouvelle coalition progressiste?

Pour réussir à bâtir une majorité électorale sociale-démocrate, il importe à l'évidence de convaincre certaines catégories d'électeurs plus conservatrices de rejoindre les rangs progressistes. Il importe aussi de faire le plein du vote chez des catégories sociales déjà acquises aux partis sociaux-démocrates. Mais au-delà de ces stratégies, le succès de la gauche dépendra de deux facteurs fondamentaux.

D'abord, il s'agit de mobiliser massivement les électeurs. Cela est plus facile à dire qu'à faire. Les nouveaux moyens de communication (Twitter, Facebook, etc.) n'ont rien d'une panacée.

Ensuite, il faut résister à la division du vote. En Australie, l'événement le plus troublant de l'élection de 2010, c'est l'apparition significative des Verts sur la scène politique. Pour la première fois dans l'histoire du Labour australien, un tiers parti menace de bloquer pour longtemps sa quête d'une majorité électorale. Il n'est plus seulement menacé à sa droite, mais aussi à sa gauche. Au Canada, cette division a donné les résultats que l'on sait au dernier scrutin. Les alliances stratégiques entre partis de gauche ne sont donc pas à bouder, au Québec sans doute plus encore qu'ailleurs.

De telles considérations nous rappellent une chose importante: le temps de convaincre de la pertinence des idées progressistes est passé. Il est maintenant le temps d'agir.

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