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Les enfants des autres

Il est vrai que je me suis mieux entendu avec les enfants de certaines de mes ex qu'avec ces dernières. Je préfère de loin les jeux vidéo aux vins et fromages...
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Mon vieux disait parfois que les enfants étaient si mignons, vers trois ans, qu'on avait parfois envie de les manger. Pour ajouter aussitôt qu'une fois adolescents, on regrettait le plus souvent de ne pas l'avoir fait. À mon âge, pourtant, il en avait déjà trois.

Pour autant que je sache, je n'ai pas semé de gamins sur mon parcours. Si le lien entre la consommation de marijuana et l'infertilité devait s'avérer fondé, je devrai bien me rendre à l'évidence : j'ai depuis longtemps fumé ma descendance.

Pourtant, contrairement au vieux, j'aime bien les enfants. Je suis doué pour créer des liens avec eux, pour leur parler, pour les comprendre. Parce que je suis à peine plus mature qu'eux, probablement.

Il est vrai que je me suis mieux entendu avec les enfants de certaines de mes ex qu'avec ces dernières. Je préfère de loin les jeux vidéo aux vins et fromages. Je n'aime pas les trucs qui puent, et je ne bois pas de vin. Je préfère les burgers au ris de veau, un film de robots à un Fellini et le hockey à une séance de Pilates. À trente-sept ans, il y a peu de chance que ces réalités changent.

Je ne regrette rien, pourtant. Si j'ai évité de procréer et de disparaître, ce n'est malheureusement pas le cas de certains de mes contemporains, et le hasard a voulu que je finisse toujours par m'occuper de leurs enfants. Je n'ai jamais compris l'argument de ceux qui avancent que ce n'est pas la même chose quand ce n'est pas le tien. Je ne donne pas dans la demie mesure, et lorsque je m'implique, je m'implique. Je n'ai jamais aimé, ni supporté quelqu'un à moitié.

J'ai vécu, en quinze ans, toutes les phases de l'évolution d'un enfant. Ce n'était pas toujours le même, voilà tout. J'ai pris soin d'un bébé naissant durant ses premières années, d'une petite fille de six ans, d'une autre qui en avait neuf, de deux adolescents. Je me suis tapé les dents, la recherche de garderie, l'apprentissage de la propreté. Les partys pyjama qui remplissaient la maison d'enfants qui s'appelaient toutes Maya ou Océanne. Les gamins en crise de croissance qui semblaient avoir élu domicile dans le réfrigérateur. J'ai enduré plus de crises d'adolescence que je ne souhaite m'en rappeler. Les premières cuites en cachette, les premiers amours, les premières peines découlant de ceux-ci. Il me semble parfois avoir joué au père de remplacement toute ma vie.

Il y a une boîte, quelque part dans mon fouillis, où se trouvent des photos de tout ce beau monde. Une boîte que je n'ouvre jamais, parce que chacune des familles au sein desquelles j'ai joué un rôle me manque, sans que j'en fasse une maladie. J'envie parfois les gens dont la vie est un long fleuve tranquille, pour avoir moi-même emprunté des affluents qui n'allaient nulle part de temps en temps, mais je ne regrette rien. J'ai beaucoup perdu, mais j'ai vachement vécu. Ils m'ont souvent appris plus que je ne leur en ai enseigné. Quand un enfant range mieux sa chambre que toi, il est temps de comprendre...

Pour avoir été plus vrai que leur mère, beaucoup de ces enfants m'ont plus marqué que les relations qui au départ nous avaient mis en contact. Parce que la vérité sort réellement de leur bouche, comme le dit l'adage, et que leur imagination débordante me séduit chaque fois. Un jour où je cherchais une réplique vraiment mortelle à mettre dans la bouche d'un de mes personnages, j'ai demandé à la fille d'un ami ce qu'elle dirait à quelqu'un qu'elle n'aime pas. La petite s'avance vers moi, fronce les sourcils et gronde :

- Je vais manger ton squelette...

Si elle ne dirige pas un jour un syndicat du crime, parions au moins que ses futurs amoureux se tiendront tranquille et la respecteront...

Quant à moi, je me contente désormais d'être le mononcle des enfants de mon entourage. Parce qu'une vie sans enfants est simplement trop barbante, qu'ils m'appartiennent ou non. Ils m'inspirent, par leur authenticité, et je souhaite garder un brin de ça, pour ne jamais devenir totalement adulte.

Parce que c'est chiant, d'être adulte. Ça vient avec des responsabilités, des comptes, et des vins et fromages...

Retrouvez plus de billets de Jean-Michel David sur son blogue personnel.

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