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Les RVCQ 2014: une communication paradoxale

Alors que les conférences de presse de présentation de festival sont souvent interminables et d'un intérêt limité, celle des prochains, qui a eu lieu la semaine dernière, aura au moins eu l'occasion de faire parler d'elle. En quelques jours, l'intervention d'Antoine Bertrand a relancé la polémique autour de la prétendue crise du cinéma québécois et des chiffres catastrophiques obtenus au box-office.
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Alors que les conférences de presse de présentation de festival sont souvent interminables et d'un intérêt limité, celle des prochains Rendez-vous du cinéma québécois, qui a eu lieu la semaine dernière, aura au moins eu l'occasion de faire parler d'elle. En quelques jours, l'intervention d'Antoine Bertrand a relancé la polémique autour de la prétendue crise du cinéma québécois et des chiffres catastrophiques obtenus au box-office. Entre ceux qui pensent que tout va bien car le cinéma québécois est de qualité (ce qui est incontestable... 2013 fut de ce point de vue exceptionnelle) et ceux qui ne voient que la rentabilité et les chiffres, le dialogue semble difficile, voire impossible.

En simplifiant à l'extrême, nous pourrions dire que pour les uns le cinéma est un art et se porte bien alors que pour les autres, c'est une industrie et elle se porte mal. Je ne reviendrai pas sur le sujet et laisserai aux personnes intéressées la tâche d'en débattre, tout simplement car ceci n'est pas l'objet de ce billet (et parce que j'ai déjà abordé un sujet similaire il y a quelques semaines dans mon texte intitulé 2013, une année réjouissante pour le cinéma québécois?).

Une chose est sûre: Antoine Bertrand a eu beau essayer par la suite de se rattraper comme il l'a pu, son intervention en conférence de presse a laissé clairement entendre que les principaux responsables de la "crise" actuelle étaient les créateurs eux-mêmes. Il a même précisé qu'il était important de faire un «examen de conscience» et d'«entrer dans un mode de grande séduction pour regagner le public». En disant cela, il stipule que le cinéma n'est pas un art, mais un simple marché.

Or, le cinéma est un art, et l'art n'est pas là pour séduire, mais pour déranger, susciter le débat, interpeller, émouvoir. Antoine Bertrand a tout à fait le droit d'avoir un avis différent, mais était-il la personne idéale pour devenir le porte-parole des Rendez-vous du cinéma Québécois?

D'après le Larousse, un porte-parole est une «personne chargée de présenter les opinions, les décisions d'un tiers ou d'un groupe auprès de quelqu'un d'autre, d'un autre groupe ou du public». Si Antoine Bertrand a bien fait son boulot à l'occasion de la conférence de presse, il n'a donc fait que diffuser auprès du public ce que pensent les RVCQ du problème. D'ailleurs, sur la page Facebook de la revue Ciné-bulles, un échange tendu entre le rédacteur en chef de la revue (Éric Perron) et le directeur des Rendez-vous du cinéma québécois (Dominique Dugas) semble témoigner de cette volonté de la part des RVCQ de prendre la défense d'Antoine Bertrand.

Mais les Rendez-vous croient-ils réellement que la séduction est plus importante que l'éducation pour conquérir le public, ou que les chiffres du marché québécois sont plus importants que la qualité des oeuvres et la reconnaissance croissante dont elles jouissent à l'international? J'en doute. Peut-être ont-ils tout simplement voulu sauver les apparences en soutenant celui qui était censé les représenter. Il est d'ailleurs amusant de constater que le discours de la conférence de presse est bien différent de celui présent sur le site de l'événement. Antoine Bertrand y déclare en effet «C'est également un honneur de faire partie de ces artisans qui donnent une si grande part d'eux-mêmes afin de créer des oeuvres audacieuses et sans complexe, qui contribuent à forger notre caractère et notre identité».

Nous voilà bien loin de la conférence de presse et du «bon coup de pied au cul» qu'il faudrait donner au cinéma québécois pour l'inciter à dépasser ses 5,6% de part de marché.

Nous constatons également qu'Antoine Bertrand ne nous a pas prouvé en conférence de presse «son insatiable envie de sensibiliser le public à la diversité et à la qualité de notre cinéma», pour reprendre les mots du directeur du festival sur le site de l'événement.

Au moins, on ne peut pas accuser Bertrand de langue de bois, mais entre le discours officiel et le dérapage de cette semaine, il y a un monde.

Choisir une personnalité populaire pour faire parler d'un événement... pourquoi pas. Il aurait cependant été préférable de faire le bon choix.

Tout cela n'est malheureusement pas la seule erreur de communication commise par les RVCQ. Le clip promotionnel est également très contestable.

Qu'y voit-on? Un homme et une femme courent l'un vers l'autre sur une plage, accompagnés par une musique romantique. Soudain, une personne entre dans le champ, puis une autre, pendant que la musique part en dérapage incontrôlé avant de se taire. La caméra s'éloigne: le film que nous visionnions se transforme en une scène de tournage envahie par Monsieur et Madame tout le monde. Le film n'existe plus... mais le public rencontre les créateurs.

Ce petit clip qui ne devait pas se vouloir polémique pour un sou est le vecteur d'un message assez clair. Il vante la rencontre du public et des créateurs, ce qui est très bien (c'est d'ailleurs la grande force des RVCQ). Malheureusement, le message qu'il véhicule ressemble aussi à une inquiétante proposition: les créateurs devraient laisser le public s'immiscer dans leurs films au moment de la création, c'est-à-dire lui donner ce qu'il attend. Nous retrouvons en quelque sorte le discours d'Antoine Bertrand et la nécessité qu'il voit d'«entrer dans un mode de grande séduction pour regagner le public». Mais nous revenons à ce que nous disions tout à l'heure: le cinéma n'est pas, et ne doit pas être, de la mauvaise télévision. Il n'est pas là pour gaver les gens comme du bétail en les abrutissant ou pour leur donner uniquement ce qu'ils attendent. Il est au contraire là pour prendre des risques, pour surprendre, faire réagir, susciter un débat, émouvoir, laisser un souvenir dans l'esprit des spectateurs.

L'art (et donc le cinéma) est avant tout le regard d'un homme sur le monde qui l'entoure. Il n'est pas un produit de consommation. Un film n'est pas le résultat d'une étude de marché... Citizen Kane ou À bout de souffle auraient-ils existé s'ils avaient été faits pour ne surtout pas déstabiliser le public? Sergueï Eisenstein aurait-il dû se livrer à un sondage auprès des lecteurs d'un hypothétique Journal d'Odessa pour l'aider à choisir la marque du landau qui allait dévaler les marches dans une des plus belles scènes de l'histoire du cinéma? Bien sûr que non. La conception du film doit appartenir à ses créateurs. Ils ne doivent pas laisser le public intervenir dans cette étape. Ils ne doivent pas non plus anticiper les désirs de ce public (d'ailleurs, qui peut le faire?). En agissant ainsi, le cinéma deviendrait un produit aseptisé et sans âme... bien éloigné de ces «œuvres audacieuses et sans complexe» dont parle Antoine Bertrand sur le site des RVCQ, propos qui semblent moins refléter sa propre pensée qu'être le fait de communicants.

Cette communication déplorable (message véhiculé par le clip, choix d'un porte-parole dont les déclarations publiques laissent pantois) ne doit cependant pas nous aveugler. Les RVCQ font un bon travail en permettant la rencontre entre créateurs et public, mais laissent aussi leurs chances à des premiers films qui ne seront jamais distribués, mais qui témoignent souvent de la qualité et de la diversité de la production locale. Nous pouvons citer en exemple l'excellent Thanatomorphose (déjà vu à Fantasia l'an dernier, non distribué au Québec, et projeté dans le cadre des prochains RVCQ) d'Éric Falardeau, qui ne cherche visiblement pas à séduire le public, même s'il a déjà remporté de nombreux prix à travers le monde à l'occasion de festivals spécialisés dans le cinéma d'horreur.

Nous n'en doutons pas, les RVCQ aiment le cinéma québécois. Ils voient indéniablement le cinéma comme un art et non comme un vulgaire produit. Ils veulent permettre au public de rencontrer des films fragiles, parfois inédits ou mal distribués, et ils participent (notamment avec les 5 à 7) au travail d'éducation bien plus indispensable que toutes les fausses bonnes idées destinées à aider le cinéma québécois à lutter de façon dérisoire contre le géant américain. Ils semblent avoir compris leur véritable mission: éveiller le sentiment de curiosité chez les spectateurs pour permettre au cinéma québécois de continuer à produire des œuvres de qualité. Il est bien regrettable qu'en raison d'une communication catastrophique, il nous fassent presque croire le contraire.

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