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« Mon joug est léger »

L'existentialiste chrétien que fut Gabriel Marcel (même s'il rejetait cette horrible étiquette) a proposé une distinction fondamentale entreetdont les répercussions sont inimaginables.
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« La foi est une bénéfique humiliation de l'intellect. J'habite le mystère avec confiance. » - Éric-Emmanuel Schmitt

Je souhaite d'abord saluer le courage de mon collègue François Doyon d'avoir osé exprimer son credo personnel dans son billet «Dieu n'est pas une colonne vertébrale ». Je peux désormais l'appeler mon ami, car nous pouvons, suite à sa confession philosophique, entrer «dans un espace qui espère faire émerger du sens». En tout cas, pour ma part, François n'est plus, à mes yeux, ce critique acerbe, digne de tous les Javert de ce monde. J'avoue qu'à la suite de la lecture son billet l'image du rationalisme forcené s'est en bonne partie dissipée.

J'applaudis en lisant en ouverture de son billet: «La passion du savoir n'est jamais purement désintéressée, car l'amoureux du savoir pour lui-même est intimement préoccupé par les questions qui l'habitent.» Je souscris entièrement. Seulement, j'en tire une conclusion autre que celle de mon ami. Cette conclusion, je la retrouve non pas chez Martin Heidegger (que je connais peu ou prou), mais chez Gabriel Marcel (1889-1973).

L'existentialiste chrétien que fut Gabriel Marcel (même s'il rejetait cette horrible étiquette) a proposé une distinction fondamentale entre problème et mystère dont les répercussions sont inimaginables. L'amoureux du savoir, en effet, n'est pas confronté à proprement parler à un (ou des) problème(s), mais bel et bien à un mystère. Le philosophe qui s'offre la liberté radicale de se poser toutes les questions possibles - dont celle en particulier portant sur l'existence ou non de Dieu -, fait dès lors face à des mystères. Qu'est-ce à dire? Le philosophe, quoi qu'en pense Doyon, ne peut en aucune manière adopter la posture du scientifique qui exclut a priori sa propre personne, laquelle est éminemment intéressée par ce qu'elle interroge. Le scientifique, pour sa part, peut en effet traiter son objet de recherche comme un simple objet, c'est-à-dire de manière purement objective et détachée. La composition spécifique de l'eau, par exemple, au plan chimique ne l'intéresse pas pour lui-même dans sa propre personne, sauf l'intérêt qu'il y a connaître un élément naturel qui l'entoure. De même, pour la résolution du dernier théorème de Fermat, qui suscita pendant longtemps la curiosité intellectuelle des mathématiciens, jusqu'à ce John Wiles en donna la démonstration en 1994.

Dans le cas d'un mystère, il n'y a pas à proprement parler de problème parce que je ne puis isoler l'objet pour le traiter, comme on dit, objectivement; car j'en suis partie prenante. C'est ainsi que les scientifiques, créateurs de la science moderne, en se niant systématiquement à travers la recherche de solutions à leurs problèmes, deviennent pour eux-mêmes une sorte de mystère. Par exemple, le matérialisme qui règne en roi et maître dans les neurosciences implique que l'être humain n'est que matière. Or, qui dit matière dit non-intelligence. Les neuroscientifiques sont donc acculés à dire qu'ils ne pensent plus puisqu'ils ne seraient que matière, mais qu'ils pensent tout de même, après tout, puisqu'ils pensent pourtant qu'ils ne sont que matière!

La hantise de la technologie chez Heidegger vient du processus toujours plus poussé de l'objectivisation qui est au cœur de la science moderne.

Traiter le monde comme un «objet», comme un vaste problème, on le voit, c'est se tirer dans le pied.

Par conséquent, la liberté tous azimuts que proclame mon ami Doyon, suivant en cela le mot d'ordre de Heidegger, conduit à l'Homme problématique. C'est-à-dire à un mur, un cul-de-sac. L'homme n'est donc pas un problème pour lui-même, mais un mystère. Il n'y a pas d'Autre - disons un extra-terrestre, mais qui ne serait pas un homme - qui peut examiner «objectivement» qui est l'homme. Seulement Dieu.

Dieu est le mystère par excellence. Cela signifie que je ne puis concevoir Dieu comme un pur «objet», voire comme un immense ou un tout petit objet, afin d'isoler ses caractéristiques spécifiques, pour ensuite pouvoir le contrôler par la technologie. La hantise de la technologie chez Heidegger vient du processus toujours plus poussé de l'objectivisation qui est au cœur de la science moderne.

Considérons maintenant la vérité. Elle ne pose pas un problème, mais nous enveloppe pour ainsi dire d'un mystère. Posons-nous en effet la question : pourquoi y a-t-il de la vérité et pas plutôt uniquement de la fausseté? On n'échappe pas à la vérité, car celui qui soutiendrait que la vérité n'existe pas, affirmerait malgré tout une vérité, à savoir que la vérité n'existe pas. Ici encore, on se tire dans le pied. La vérité est un mystère parce que nous la présupposons dans tout exercice de pensée.

Évidemment, on aurait reconnu dans la question précédente touchant la vérité, la fameuse question de Leibniz: pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que du non-être ? Encore une fois, la question de l'être, question métaphysique par excellence, s'enveloppe du mystère, au sens où je ne puis jamais faire de l'être un «objet» problématique.

La science rejette tout mystère parce qu'elle procède méthodologiquement par réduction objectivante, c'est-à-dire qu'elle ne carbure qu'aux problèmes. C'est d'ailleurs pourquoi la science a éliminé la métaphysique en lui usurpant son titre de «science».

D'après Gabriel Marcel, le mystère de l'être, c'est d'abord le nôtre. Nous sommes des êtres mystérieux. Qu'on me comprenne bien. Lorsque je parle de «mystère», je ne souhaite en aucune manière vouloir dire que le mystère échappe complètement à notre intelligence. Je ne suis pas «agnostique» du mystère. Je serais plutôt adepte de «l'irréductibilité» du mystère au sens où celui-ci est intarissable, inépuisable. Bref, le mystère est sans fond. C'est la Parole biblique du Siracide: « Quand un homme en a fini, c'est alors qu'il commence.» (187)

Dieu, mystère des mystères, est sans fond. La meilleure preuve de l'existence de Dieu, c'est qu'on en parle encore, et qu'on en parlera toujours. C'est ce qu'avait compris Saint Augustin, lorsqu'il écrit relatant sa conversion : «Tard je t'ai aimé, Beauté si antique et si nouvelle, tard je t'ai aimé, et pourtant tu étais dedans et moi dehors... Tu étais avec moi. C'est moi qui n'étais pas avec toi». (Confessions 10 24). Augustin trouva Dieu, non pas dans un objet existant hors de lui, mais comme étant au plus intime de lui-même. Ce qu'il avait toujours sous les yeux, en somme, sans toutefois le reconnaître.

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