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Que signifie le «Vive le Québec libre!» de Charles de Gaulle

Qu'est-ce donc qu'être libre ? Les Québécois souverainistes vous diront qu'être libre, c'est être autonome, d'être capable de se gouverner, sans attendre les diktats de l'autre
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Notre conception de la liberté politique – négative ou positive - est toujours celle du collectivisme.
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Notre conception de la liberté politique – négative ou positive - est toujours celle du collectivisme.

50 ans après le « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle, lancé du haut du balcon de la mairie de Montréal, sous le regard ahuri du maire Drapeau, je me demande toujours ce qu'« être libre » signifie.

Évidemment, on me répondra qu'il s'agit d'une sorte de proclamation invitant à la souveraineté du Québec. Je ne suis pas idiot à ce point que j'aie raté cette idée. Non, ma question demande ce qu'est la liberté. Comme le disait saint Augustin au sujet du temps, je sais ce que c'est que le temps, sauf au moment où l'on me pose la question, là je bafouille, et ne sais plus ce que je croyais savoir.

Les Québécois souverainistes vous diront qu'être libre, c'est être autonome, d'être capable de se gouverner, sans attendre les diktats de l'autre (le fédéral).

Qu'est-ce donc qu'être libre ? Les Québécois souverainistes vous diront qu'être libre, c'est être autonome, d'être capable de se gouverner, sans attendre les diktats de l'autre (le fédéral).

C'est ce que le philosophe britannique, d'origine russe, Isahiah Berlin (1909-1997) (qui fut en passant le maître de Charles Taylor à Oxford) désignait pour sa part sous le vocable de « liberté positive ». (Voir « Deux conceptions de la liberté », reproduit dans Éloge de la liberté, PressPoket, 1969, p.167-218). Par « positive », Berlin entend souligner le fait que la liberté signifie, en un premier sens, vise à donner les moyens ou les outils pour exercer la liberté. Lorsqu'on dit qu'un pauvre sans le sou n'est pas libre, on veut dire au sens positif du terme qu'il n'a pas les moyens de partir comme bon lui semble en voyage là où il le souhaite. Les étudiants en grève du printemps 2012 militaient pour la liberté positive : la gratuité scolaire aux études supérieures étant, à leurs yeux, le moyen d'exercer leur liberté, c'est-à-dire de décrocher éventuellement un emploi rentable et épanouissant.

Les plus riches de la société, ces 4% de ceux et celles qui, au Québec, paient près de 50% de tous les impôts, sont privés de leur liberté, mais cette fois-ci - suivant la terminologie de Berlin - de iberté « négative ». Celle-ci, contrairement à la liberté positive, ne vise pas à donner les moyens à ceux qui n'en ont pas d'être libre, mais, au contraire, de ne pas empêcher ceux et celles qui possèdent les moyens de les utiliser ces moyens afin d'agir librement.

Les républicains de Donald Trump se réclament de la liberté négative en ce sens qu'ils ne souhaitent être entravés par l'État fédéral à Washington de faire ce qu'ils veulent avec leurs biens.

L'État québécois vise la justice sociale, c'est-à-dire la redistribution aux plus démunis afin que tous aient les mêmes chances.

Au contraire, l'État québécois est rivé à la conception positive de la liberté. L'État québécois vise la justice sociale, c'est-à-dire la redistribution aux plus démunis afin que tous aient les mêmes chances.

Dans le cas des souverainistes québécois, leur conception de l'État vise la justice sociale, donc la liberté positive. Mais, par rapport à Ottawa, ils réclament la liberté négative : ne venez pas vous mêler de ce qui ne vous regarde pas ! Il n'est toutefois pas assuré que, sans l'aide d'Ottawa, le Québec soit capable d'être libre négativement. Voilà le débat entre indépendantiste et fédéraliste : les premiers carburent à la liberté négative, les seconds à la liberté positive.

Quand le général de Gaule, il y a 50 ans, prononçait son fameux « Vivre le Québec libre ! », il faut comprendre que de Gaule souhaitait que le Québec devienne libre au sens négatif du terme : n'entravez pas la marche irrésistible du Québec vers sa liberté !

Le Parti Québécois, parti souverainiste, combine à la fois une conception positive et négative de la liberté. Sur le plan de la justice sociale, il vise la liberté positive; au plan collectif, celui de la nation, toutefois, il vise la liberté négative.

D'ordinaire, ceux et celles qui se réclament de la liberté négative sont individualistes et non pas collectivistes. Les républicains de Trump sont d'ardents individualistes. Ils carburent à la liberté négative.

La Charte de la langue française, adoptée en 1977, sous le gouvernement de René Lévesque, fait appel à une conception positive de la liberté, non pas des individus, mais de la collectivité québécoise.

Notre conception de la liberté politique – négative ou positive - est toujours celle du collectivisme.

En somme, la liberté au Québec est toujours liée au collectivisme. Notre conception de la liberté politique – négative ou positive - est toujours celle du collectivisme. Nous sommes inconsciemment tissés serré. Nous avons de la difficulté à reconnaître la légitimité des libertés individuelles. L'islam, au Québec, n'est pas un choix individuel, mais collectif, et nous traitons les musulmans comme communauté religieuse et non comme des individus exerçant leur liberté religieuse.

La phrase du philosophe américain de la politique, John Rawls (1921-2002), « la liberté ne peut être limitée qu'au nom de la liberté » (Théorie de la justice, 1971), combine les deux types de liberté : il faut limiter la liberté négative au nom de la liberté positive. C'est exactement la pensée du Parti Québécois en matière de justice sociale. C'est d'ailleurs sa position concernant la politique canadienne de multiculturalisme sur laquelle par exemple Mathieu Bock-Côté jette l'anathème. Au nom du respect de l'authenticité des individus, la préservation des cultures et langues minoritaires doit être encouragée, stimulée, voire célébrée. Cette liberté négative heurte de front la liberté positive des Québécois qui se sentent menacés. Donc, au nom de la liberté positive du peuple québécois, il faut limiter les libertés négatives des individus se réclamant de leurs langues, cultures, et croyances.

Maintenant, le mot « Québec ». Il n'est pas anodin. Ce vocable est chargé politiquement. Il désigne le rejet définitif du nationalisme canadien-français auquel souscrivaient les conservateurs de la province de Québec de Maurice Duplessis, et marque la naissance du nationalisme moderne qualifié de « québécois ». Ce nationalisme combine, comme on l'a vu, une conception négative face au fédéral et une conception positive de la liberté en termes de justice sociale.

Voilà les lourdes significations que véhiculait le fameux « Vive le Québec libre ! ». Ce fut la reconnaissance par un grand État politique moderne du nationalisme québécois.

Avril 2018

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