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Naissons ensemble: lettre à Mathieu Bock-Côté

En condamnant Cœur de pirate, c'est tous les fédéralistes «mous» - dont je suis - que tu sermonnes. C'est pourquoi je tiens à justifier mon adhésion au fédéralisme canadien.
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La parution toute récente de ton essai, Le multiculturalisme comme religion politique, m'incite à partager avec toi les quelques pensées qui suivent. Je n'ai pas lu ton essai, je dois l'avouer d'emblée; de sorte que ce que je t'écris doit être tenu sous toutes réserves.

D'abord, je veux saluer le brillant et ardent défenseur que tu es de la cause souverainiste québécoise. Je dois également t'avouer que le motif de ma lettre fut suscité par ta sortie contre le coming out fédéraliste de Cœur de pirate. Ta foi souverainiste, si ardente, te transforme de manière désolante en Père Fouettard. En condamnant Cœur de pirate, c'est tous les fédéralistes «mous» - dont je suis - que tu sermonnes. C'est pourquoi je tiens à justifier mon adhésion au fédéralisme canadien.

Je tiens à établir une position de principe fondamental de nature philosophique. Le projet souverainiste se situe dans la mouvance rationaliste omniprésente aujourd'hui dans la civilisation occidentale. Le souverainiste est quelqu'un qui considère qu'il est face à un problème, et entend le résoudre, le problème en l'occurrence, comme tu sais, étant celui de l'aliénation de la nation québécoise au sein de la fédération canadienne. J'insiste sur le mot « problème ». Pour un rationaliste, le monde n'est qu'un vaste problème, et sa foi en la raison est telle qu'il est convaincu qu'un jour ou l'autre une solution sera trouvée. Il lui est, en somme, impossible de croire au mystère, à l'inexplicable, l'inconnaissable. Tu reconnais l'optimisme rationaliste hérité des Lumières. Son opposé est celui qui accueille le mystère pour lui-même, qui en prend acte; qui a cessé de s'agiter ou de hurler contre ce qui, apparemment, n'a pas de solution. Celui-là je l'appelle l'ami du mystère, le «mystérien». Il a fait son deuil d'une certaine conception instrumentale de la raison remontant également aux Lumières. Instrumentale, dis-je, au sens où la raison se réduit qu'à n'être qu'un outil permettant de résoudre des problèmes. La raison instrumentale a donné naissance à notre empire de la technique.

Le mystérien, lui, fait sien le mot de l'écrivain français Éric-Emmanuel Schmitt qui, dans La nuit de feu, relate sa conversion religieuse à l'âge de 28 ans. Il écrit: «La foi est une bénéfique humiliation de l'intellect. J'habite le mystère avec confiance.» Habiter le mystère avec confiance, voilà l'antidote de la recherche effrénée du rationaliste, c'est-à-dire de l'homme moderne.

Cela étant admis, le projet souverainiste que tu caresses avec d'autres est du rationalisme pur et dur - tout comme d'ailleurs celui que tu combats vigoureusement, l'hideux multiculturalisme, selon toi.

Comme tu sais, nos ancêtres français qui ont bâti le pays furent des mystériens puisqu'ils l'ont construit sur la foi religieuse judéo-chrétienne. Ils et elles ont accueilli avec confiance le mystère qui les dépasse. Ce n'est pas eux uniquement et fondamentalement qui sont à l'origine du Canada, mais Dieu, le mystère des mystères. Issus de la Contre-réforme, ils se sentirent appeler à évangéliser des peuples inconnus, leur annoncer à eux aussi la Bonne Nouvelle, entre autres que Dieu est un Père dévoilé dans la personne de Jésus-Christ, que ce Père nous aime et qu'Il souhaite cheminer avec nous dans tous nos projets.

Évidemment, pour nous, rationalistes, puisque le mystère n'existe pas, et qu'il n'y aurait plus que des problèmes à résoudre, les pionniers fondateurs du Canada n'auraient posé que les jalons d'une nation qui est encore à se construire et dont, selon toi, il ne resterait plus qu'à passer à l'étape ultime, celle de l'auto-détermination. C'est ce qu'on appelle en philosophie de l'histoire «l'historicisme» qui relève de l'optimisme rationaliste dont je parlais tantôt.

Je t'invite à quitter cette posture historicisante. Je t'invite à ton tour à accueillir le mystère avec confiance comme le firent nos ancêtres. En tout cas, pour ma part, la parole de notre poète national, Gilles Vigneault, me satisfait: «Mon pays, ce n'est pas pays...». Car notre «pays», c'est bien autre chose que des «objets» politiquement reçus et convenus dans une constitution, mais essentiellement une culture.

Sans doute que la parole de Vigneault ne satisfait pas ta faim du pays. Excellent! À cet égard, j'aimerais te rappeler une remarque lourde de sens d'un philosophe français - qu'on ne lit plus parce qu'il n'est pas rationaliste -, Gabriel Marcel, concernant la relation entre satisfaction et mort. Nous voudrions tant être comblés sur de multiples plans. Notre existence est foncièrement insatisfaisante. Nous sommes dans le manque perpétuel - dont celui d'un pays pour les Québécois, du moins selon les souverainistes dont tu es. Un être satisfait, remarquait le philosophe chrétien français, est quelqu'un de mort, voire en état de décomposition cadavérique. Visant à satisfaire nos moindres besoins, nos caprices les plus divers, notre civilisation est dangereusement mortelle. À mes yeux, l'actuelle loi sur le mourir dans la dignité en est l'expression éloquente. Mais c'est là une autre affaire.

Donc, si nous étions parfaitement comblés et satisfaits sur tous les plans, nous serions comme morts. La foi religieuse est l'expression d'une insatisfaction fondamentale, d'un besoin profond et vital, à combler. Mais comme nous habitons dans une civilisation rationaliste qui vise toujours et davantage à combler nos désirs plus ou moins viscéraux (suscités par cette même civilisation), nous cherchons hors de la religion (du soi-disant irrationalisme détestable), dans la science - la science politique, en l'occurrence - la solution à nos insatisfactions politiques. Nous fabriquons alors des idoles. Exemples: «Le Pays», «La Nation», «La Science», «Le Parti», «Big Brother», etc.

L'insatisfaction du pays est source de vie, j'en conviens parfaitement avec toi. Moi-même, je ne me sens pas parfaitement épanoui dans l'actuel Canada. Le sera-t-on jamais? J'en doute. Le sera-t-on dans un éventuel Québec indépendant? J'en doute aussi, parce que l'insatisfaction perce de toutes parts. Habitons le mystère avec confiance.

Accepter le mystère dans la foi confiante, c'est aller à contre-courant de la civilisation dans laquelle nous habitons. Il y a cependant un autre point qui mérite ton attention. C'est celui de la relation à l'autre, au différent.

Tu n'as pas choisi, comme moi, de naître au Québec. Cela reste un mystère. En ce sens, tu es, comme moi, un mystère. Nos personnes sont des mystères. Les Canadiens eux aussi sont des mystères. Ne l'oublions jamais. L'autre ne doit jamais devenir un «objet» pour moi car, dès ce moment, je l'objective et il devient alors un «problème». Comment dois-je cohabiter avec lui? Dois-je cohabiter avec eux? Je suis insatisfait dans ma relation avec eux? Alors, en tant qu'«objets», je dois trouver une solution.

L'important, c'est de cesser d'entrer en relation avec eux comme «groupe», puisqu'alors je les «impersonnalise». Je les traite comme un moyen pour mes propres fins. Je les instrumentalise. Ils s'offrent alors à ma raison instrumentale.

Je souhaite seulement souligner que, dans une philosophie personnaliste, les personnes sont centrales et absolues; qu'en un certain sens, autrui forge mon identité de personne.

Et Dieu dans tout ça? C'est mon troisième et dernier point. Je te sais ouvert à la religion chrétienne, car tu as souvent écrit que tu aimais te retrouver dans une église, mais que le sens de la foi t'échappait. Nos ancêtres adoraient le Dieu de Jésus-Christ qui est un Dieu personnel. Les rationalistes n'y croient pas. Même les athées sont des personnes. Pour faire un lien avec ce qui précède, je dirai qu'un croyant dont la foi est inébranlable est quelqu'un de satisfait; donc, il est proche de la mort spirituelle.

Si Dieu est une personne, il convient d'entrer en relation avec Lui afin de Le connaître. C'est comme avec toute personne. Il convient, Mathieu, de cesser de considérer Dieu comme un immense objet qui environne le monde, qui le déborde, et qui pose problème à la raison moderne. Dieu, je le répète, n'est pas un problème, mais un mystère. On doit encore à Gabriel Marcel la distinction entre problème et mystère.

Il y aurait long également à dire concernant les parallèles à faire entre les écrits bibliques touchant la relation d'Israël avec Dieu, d'une part, et celle du Québec avec le même Dieu. Mais cela m'entraînerait trop loin.

Je souhaite que les quelques considérations qui précédent puissent nous rendre plus humains, plus épanouis, plus unis entre frères et sœurs afin d'entrevoir le multiculturalisme, non pas comme la pire abomination touchant les peuples, mais comme engendrant la connaissance de l'autre comme une co-naissance. Naissons ensemble, si tu le veux bien.

Bien à toi,

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Mai 2017

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