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Peut-on enseigner intelligemment la religion ?

La philosophie s'intéresse audes choses. Tout comme la religion d'ailleurs. C'est pourquoi il convient dans le cadre du premier cours de philosophie d'enseigner que la philosophie et la religion s'intéressent au sens, pas aux causes des phénomènes comme le fait la science.
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Un article du philosophe français Luc Ferry, ayant pour titre « Ne mélangeons jamais science et théologie » (Science et Avenir, janvier-février 2016), m'a jeté dans la perplexité. L'auteur y soutient le baratin convenu d'un grand nombre d'intellectuels athées ou agnostiques qu'on entend rabâcher depuis le siècle des Lumières. L'idée est que la science n'a que faire de la religion, et qu'un hypothétique dialogue entre la religion et la science est une pure perte de temps. Ici, au Québec, Yves Gingras, dans L'impossible dialogue (Boréal, 2016), reprend la thèse qu'un mur blindé sépare historiquement la science de la religion. Plus optimiste en apparence du moins, Jocelyn Giroux et Yves St-Arnaud dans, L'hypothèse Dieu (Liber, 2015) prétendent vouloir entrer en dialogue, mais à sens unique, avec les croyants...

Ce qui me rend perplexe, au-delà du baratin convenu d'une démarcation tranchée entre science et religion, c'est que le texte de Ferry (il s'agit en réalité d'une interview) se présente comme une incitation, dans le cadre du premier cours de philosophie au collégial, où il s'agit pour l'étudiant de distinguer la religion, la philosophie et la religion, à rejeter le discours religieux - la théologie - hors de la philosophie et de la science. C'est la triste histoire de la pomme pourrie. La détestation de la religion comme cause de tous nos maux atteindrait un sommet inégalé.

D'après le Ferry, il faudrait enseigner aux élèves qu'il y a une différence radicale entre la science et la religion; bref, que la science est tout le contraire de la religion, de telle manière qu'il serait moralement condamnable de faire de la religion une sorte, non pas de science, mais de soi-disant savoir, car le seul savoir digne de ce nom serait celui de la Science moderne expérimentale.

Avant d'aller plus loin, qu'est-ce qui est en litige au juste ici ? La religion ou la théologie ? Quelles religions ou quelles théologies ? Évidemment, on devine qu'il s'agit principalement du christianisme, du catholicisme et de la théologie de l'Église. Est-il également question de la « théologie » dont parle Aristote parle au Livre E de sa Métaphysique où on lit que « la Théologie est la plus haute des sciences théorétiques » (1026a 23) puisqu'elle traite de l'être par excellence, le divin ?Un penseur chrétien comme Thomas d'Aquin s'emparera de la théologie aristotélicienne pour ériger la théologie catholique. Celle-ci, telle qu'élaborée par d'Aquin, devint une discipline fondamentale - que dis-je, La Science par excellence -, et c'est Aristote qui le premier l'affirma.

Tous les penseurs modernes - Descartes en tête - s'efforceront de retirer par la suite à la théologie, et donc, à la métaphysique, son titre de Science, et c'est précisément ce qui se produira. La « science » moderne usurpera à la métaphysique - à la théologie - son titre glorieux de science. Elle rejettera alors la métaphysique et, donc, avec elle, la théologie.

La science moderne expérimentale domine dès lors aujourd'hui sans partage.

Nul doute que nous sommes au terme de ce processus usurpatif quand le célèbre physicien britannique à Cambridge Stephen Hawking déclare tout de go la mort de la philosophie : «... la philosophie est morte, faute d'avoir réussi à suivre les développements de la science moderne, en particulier de la physique. » (Y a-t-il un grand architecte dans l'univers ? Odile Jacb, 2014, p. 11). La science moderne expérimentale domine dès lors aujourd'hui sans partage.

Ce qui me rend perplexe, ce n'est pas qu'on veuille exclure de la science la théologie catholique - ce qui me paraît être tout à fait légitime, voire impératif, puisque théologie et science ne sont pas des « discours », comme on dit, de même nature -, mais qu'on déclare que la philosophie soit obsolète. Pour dire le moins, je trouve cela dangereux.

Contrairement à plusieurs qui réfléchissent sur la science, je suis d'avis qu'il y a beaucoup de philosophie en science, plus précisément de métaphysique tacite. Par exemple, dans l'essai mentionné de Gingras, en page 15 de l'introduction, nous lisons : la science est une tentative de rendre raison « des phénomènes observables par des concepts et des théories qui ne font appel à aucune cause surnaturelle. C'est ce qu'on appelle le 'naturalisme scientifique', ou encore le 'naturalisme méthodologique', car il s'agit bien d'un postulat qui fonde la méthode scientifique. » J'aurais souhaité vivement que l'auteur nous parle davantage de ce fameux 'postulat' car il engage à une métaphysique implicite qu'il s'agit d'articuler, mais dont, malheureusement, Gingras ne semble pas avoir cure.

D'autres, plus loquaces, n'hésitent pas à s'aventurer dans le domaine détestable de la métaphysique. Par exemple, Cyrille Barrette, professeur émérite de biologie à l'Université Laval, n'hésite pas à écrire : « La science est...absolument matérialiste...» (Aux racines de la science, Propos d'un scientifique sur la philosophie de la science, Book-e-book, Sophia Antipolis, 2014, p. 13. Je souligne.) Évidemment, Barrette met des bémols à son affirmation, car tout comme le fait Gingras, il se rabat stratégiquement sur la nature purement formelle ou méthodologique de son matérialisme. « Ce n'est pas un matérialisme ontologique ou métaphysique, c'est-à-dire que la science ne prétend pas pouvoir démontrer que le surnaturel, la magie et le miracle n'existent pas, mais elle n'y croit pas et surtout elle s'interdit de les inclure, même à dose homéopathique, dans ses explications et ses équations. » (p. 16) Peut-être voudrait-il mieux parler alors d'un matérialisme normatif affirmant qu'il est préférable de parler de matière plutôt que d'esprit; que tout ce qui existe, en somme, se réduit au comportement de la matière élémentaire. La science est réductionniste, et ce réductionnisme engage le scientifique - à son corps défendant - à une thèse métaphysique qui passe sous l'allure trompeuse d'une « simple » hypothèse.

J'ose croire que les quelques remarques qui précèdent sont de nature philosophique, au sens où elles traitent du SENS, entre autres des rapports entre philosophie, science et religion. La philosophie s'intéresse au sens des choses. Tout comme la religion d'ailleurs. C'est pourquoi il convient dans le cadre du premier cours de philosophie d'enseigner que la philosophie et la religion s'intéressent au sens, pas aux causes des phénomènes comme le fait la science. Le jeune étudiant y apprend alors que la religion n'est pas cette bouillie inintelligible que les athées et les agnostiques veulent bien leur faire entrer de force dans la gorge - et ce, au nom de la science.

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Mai 2017

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