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De l'inculture à l'autre à la culture du viol

Les événements récents révèlent de manière consternante une face cachée de notre société: la culture du viol dans laquelle prévalent des attitudes et des pratiques tendant à tolérer, excuser, voire approuver le viol.
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«Philosopher ne consiste pas à tenir des discours fantastiques à des êtres fantastiques; mais c'est à des existants qu'on parle.» - Emmanuel Mounier, Introduction aux Existentialismes

Les événements récents révèlent de manière consternante une face cachée de notre société: la culture du viol dans laquelle prévalent des attitudes et des pratiques tendant à tolérer, excuser, voire approuver le viol.

Réalité ou fiction? Oser poser la question, c'est, pour les dénonciateurs de ladite culture, outrageant et odieux. Les récentes déclarations publiques d'Alice Paquet concernant les présumées agressions sexuelles de la part du député libéral, Gerry Sklavounos, ont jeté l'émoi. La rumeur circule sur les réseaux sociaux voulant que madame Paquet soit une «SJW», c'est-à-dire une guerrière de la justice sociale (Social Justice Warrior). Pour ma part, je ne saurais prendre parti dans un sens ou dans l'autre.

Toutefois, un grave soupçon pèse sur la culture générale actuelle comme étant à la source d'une culture du viol. À mon avis, une telle culture prendrait sa source dans la culture «objectivisante» qui est nôtre, et ce malgré les appels répétés au respect de l'autre. Bref, malgré les apparences, autrui ne pèse pas bien lourd dans nos consciences. Voyons pourquoi.

Nous vivons dans une culture de l'égo qu'on doit concevoir comme un îlot dans une mer houleuse et tumultueuse jouxtée de tels îlots isolés les uns des autres. Autrui, c'est toujours le différent, libre de faire, comme moi, ce qui lui plaît, libre de croire en ce qu'il veut, en autant, toutefois, qu'il ne vienne pas me perturber sur mon propre îlot.

Le sort que nous réservons aux musulmans chez nous le montre éloquemment. Certes, nos chartes des droits de la personne reconnaissent un droit à la liberté de conscience et de religion. Mais l'islam est suspecté par plusieurs, car le voile, sinon la burka, symboliseraient selon eux la soumission intolérable des femmes aux mâles dominateurs. Donc, lorsque je croise une dame portant le foulard islamique, je puis me dire qu'elle ne sait pas ce qu'elle croit qu'elle fait, car son voile projette un sens politique légitimant la soumission des femmes aux hommes. Se voiler, c'est voter, comme dirait l'autre. Il faudrait ainsi refuser à l'islam le droit de cité puisque leurs adeptes porteraient entrave à la liberté, des femmes en particulier, et par ricochet, atteinte à nos propres libertés.

L'autre, le différend, peut donc porter, bien qu'indirectement, préjudice à mon îlot. C'est sans doute ce qu'il faut comprendre du mot célèbre de Jean-Paul Sartre, qui clôt sa pièce Huis clos : l'enfer, c'est les Autres. Dans notre inculture de l'autre, c'est toujours les autres qui posent problème. Pas moi!

Dans un monde dominé par la science et la technologie, tout devient réductible - même l'être humain - au statut d'«objet», de «chose», manipulable et contrôlable.

À la défense de Sartre, il faut dire que le philosophe ne soutenait en aucune manière que ce sont les autres qui sont source de notre malheur puisque nous serions, toujours selon Sartre, absolument libres de nos choix. J'ai donc le choix de tenir ou non l'autre responsable. En conférant à l'autre le droit à la liberté de conscience et de religion, je lui donne aussi le droit de l'exprimer par son culte et sa tenue vestimentaire, que cela me plaise ou non. Plus près de nous, le philosophe libéral, John Rawls, souscrit à cette conception d'un moi libre par rapport à ses choix de sorte qu'au nom de la liberté, il faut limiter celle-ci. C'est au nom d'un tel principe que le Parti Québécois justifiait sa défunte charte des valeurs.

Philosophe existentialiste comme Sartre, Gabriel Marcel (1889-1973) - chrétien celui-là et non athée -, a plutôt, lui, plaidé pour la culture de l'autre. Dans un monde dominé par la science et la technologie, tout devient réductible - même l'être humain - au statut d'«objet», de «chose», manipulable et contrôlable. Nous vivons, a martelé Marcel, dans une culture de l'abstraction où l'esprit d'abstraction se plaît à traiter toutes choses selon la norme de l'objectivation conduisant à la «chosification». L'être humain n'y échappe pas.

Même nos fameux droits de la personne résultent d'un processus d'abstraction. On parle en effet ici de l'Homme en général et de droits universels dont L'Homme en serait détenteur et dépositaire. Voilà bien de pures abstractions, à mille lieues des êtres particuliers, singuliers, que nous sommes, nous qui possédons des traits caractéristiques bien singuliers. D'après la Cour suprême du Canada, un enfant dans le ventre de sa maman, ne possède aucun droit et liberté stipulés par la Charte canadienne; c'est uniquement une fois sorti de la matrice maternelle qu'on l'estampille détenteur de droits dits «inaliénables». Nous nageons en pleine abstraction. On reconnaît là le rationalisme des Lumières avec son culte éthéré de la Raison.

Plus prosaïquement, Marcel a plaidé pour notre propre singularité existentielle. Je suis une histoire faite de blessures personnelles, d'échecs, de tentatives pour me relever et de réussites. Je ne suis pas un être «impersonnel»; un être faisant partie de la «masse», anonyme. Je suis un être engagé dans des situations complexes. Lorsque je croise une femme voilée, je croise un être humain confronté lui aussi à un vécu complexe. Elle est sans doute en lutte avec elle-même et son entourage, ses enfants, son mari, et je ne sais quoi encore. L'idée voulant qu'elle porte le voile à des fins politiques est parfaitement incongrue.

Comme moi, elle est un mystère inépuisable. Jamais, elle ne se présente à moi comme un problème. C'est à Gabriel Marcel que l'on doit la distinction entre mystère et problème. Devant un problème, mon intelligence carbure à l'abstraction. J'essaie d'isoler les caractéristiques pertinentes de l'objet devant moi, en ne tenant pas compte d'autres de ses caractéristiques, afin de le contrôler. Mais on ne saurait traiter un humain comme un objet de pure abstraction.

Ni non plus comme un pur objet de désir. J'aperçois une femme - ou un homme, c'est selon -, et je sens le désir monter en moi. Je la traite alors comme une pure abstraction en isolant ces attraits physiques. Je ne connais rien d'elle de plus. Elle m'attire. Ma relation avec cette personne se veut purement sexuelle. Bientôt, elle devient un problème alors qu'elle est mystère: comment satisfaire ce désir suscité en moi? Elle est alors victime de l'esprit d'abstraction. À l'évidence, je ne puis entrer pleinement en relation avec cette dame puisque je l'ai réduite à un objet obscur du désir. D'où, d'ailleurs, ces vers du poète Lamartine : Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?

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