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SAQ, monopole et développement durable

J'ai envie d'acheter mon vin dans une société d'État. J'ai toutefois envie de l'acheter dans une «vraie» société d'État qui fait les choses différemment, et non dans un simple commerce comme les autres qui s'adonne à être la propriété du gouvernement.
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Texte écrit avec l'appui de Yan Boudreault, professeur.

La Société des alcools du Québec (SAQ), comme toute bonne société d'État, fait régulièrement l'objet de vives discussions lors desquelles de fervents défenseurs de la «religion» du libre marché s'enflamment contre son statut de monopole. Or, bien qu'il soit facile, à l'image du «sportif de divan» qui vocifère contre l'entraîneur de son équipe favorite, de trouver des comparaisons boiteuses qui donnent l'impression d'une situation épouvantable, je fais partie de ceux qui tiennent mordicus à ce que cette entreprise reste une société d'État.

D'une part, je suis très heureux que les profits de la vente d'alcool servent dans une plus grande proportion à financer des services publics et des projets collectifs (pour le peu de projets de ce genre qu'il nous reste!) plutôt qu'à rendre «uber-riches» des gens souvent déjà très riches. D'autre part, j'aimerais que nous saisissions cette occasion de créer un exemple tangible de la possibilité de faire du commerce autrement, en fournissant des conditions décentes aux employés de plancher et en répondant à des objectifs plus profonds que celui de la simple maximisation des profits.

Le premier objectif est facile à atteindre, la taille du dividende versé au Trésor québécois donnant un indice du succès en la matière. Le deuxième est cependant beaucoup plus complexe.

En effet, pour que la SAQ soit un modèle différent qui ne repose pas uniquement sur la vulgaire efficacité financière, il est nécessaire que ses dirigeants s'obligent à un travail considérablement plus complexe que celui qui se présenterait à eux s'ils étaient «dans le privé» et n'avaient qu'à se concentrer sur la rentabilité financière. Après tout, la «vraie» rentabilité implique un vaste ensemble de considérations que les normes comptables ne permettent malheureusement pas de mesurer, et son atteinte nécessite une vigilance et une présence d'esprit constantes. Tout un défi!

Un défi qui, malheureusement, dans un contexte où un trop grand nombre d'entre nous n'exige de nos décideurs publics que des résultats «chiffrables», semble trop grand pour être relevé.

A-t-on, par exemple, déjà oublié que le Québec s'est doté de la Loi sur le développement durable qui «a pour objet d'instaurer un nouveau cadre de gestion au sein de l'Administration afin que l'exercice de ses pouvoirs et de ses responsabilités s'inscrive dans la recherche d'un développement durable» et vise «à réaliser le virage nécessaire au sein de la société face aux modes de développement non viable, [...] à tous les niveaux et dans toutes les sphères d'intervention, [...]»?

Bien entendu, la SAQ respecte les aspects techniques de cette loi qui exige, comme les dogmes de la «gestion efficiente» le veulent, la production de politiques et de rapports. Elle produit donc un «bilan de développement durable», manifestation de cet omniprésent désir de «reddition de comptes», qui nous renseigne notamment sur sa «participation aux activités de Bacs +», ses «discussions avec les parties prenantes externes concernées» et sa «participation, en tant que membre du conseil d'administration, à la Table pour la récupération hors foyer, dont la mission est d'initier, développer et mettre en œuvre des programmes [...]».

Toutes les cases ont donc été dûment cochées... On se demande toutefois si le véritable objectif est atteint.

La Loi, au-delà de son côté formaliste, énonce des obligations plus générales. Elle demande notamment de tenir compte de la «production et consommation responsables», mentionnant que «des changements doivent être apportés dans les modes de production et de consommation en vue de rendre ces dernières plus viables et plus responsables sur les plans social et environnemental, entre autres par l'adoption d'une approche d'écoefficience, qui évite le gaspillage et qui optimise l'utilisation des ressources».

Dans un tel contexte, sans remettre en question la vocation commerciale de la SAQ ni s'attendre à ce que cette dernière fasse «plus blanc que blanc», je me désole de voir la SAQ faire, plutôt régulièrement, des promotions comme celle du 2 mai dernier qui permettait d'obtenir deux verres en polymère gratuits à l'achat de deux bouteilles de vin californien.

Est-ce que ces dizaines de milliers de verres (la documentation parle d'environ 70 000), qui finiront pour la plupart dans un dépotoir sans avoir été utilisés et dont la vaste majorité des clients n'avait aucun réel besoin, ne sont pas un exemple parfait de production et de consommation irresponsables?

N'y a-t-il que les plus purs et durs environnementalistes pour voir qu'un simple rabais aurait été bien plus approprié? Au minimum, n'aurait-on pas dû proposer un rabais, disons de 5$, en option au lieu de ces verres dont la valeur annoncée était de 9,95$? Ne pas inciter une fois de plus à l'accumulation de biens matériels ne fait-il pas partie de la tâche «différente» que doivent remplir les dirigeants de la SAQ?

J'insiste. La SAQ est loin d'être la pire des coupables dans cette spirale de la consommation et cette difficile marche vers une nécessaire relation plus saine avec les biens matériels. Elle se doit toutefois, vu son caractère public et les possibilités que lui confèrent sa situation monopolistique, ne pas suivre aveuglément les lois du marché et donner davantage l'exemple.

J'ai envie d'acheter mon vin dans une société d'État. J'ai toutefois envie de l'acheter dans une «vraie» société d'État qui fait les choses différemment, et non dans un simple commerce comme les autres qui s'adonne à être la propriété du gouvernement.

J'ai surtout envie de mesurer le succès des institutions dont nous nous sommes dotés d'une façon beaucoup plus exigeante que par la simple mesure financière. Et, alors que certains voudraient privatiser la SAQ parce que son monopole lui rendrait supposément la vie trop facile, je souhaite au contraire que la SAQ demeure publique, parce que je crois encore qu'il nous est possible d'atteindre de plus hauts standards, si on y croit un peu...

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