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Merci Mme Dandurand, mais il faut aller plus loin...

J'en ai marre d'avoir l'impression que les intellectuels doivent être sur la défensive. J'en ai marre de nous voir piteusement nous battre pour défendre notre «bilan économique» pour ensuite ajouter à demie voix qu'il doit aussi y avoir d'autres considérations dans l'appréciation de notre place.
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Chère Madame Dandurand,

Vous lanciez, dans l'édition du 19 novembre du journal Le Devoir, un appel à la mobilisation des chercheurs et étudiants chercheurs afin de contrer ce qui s'avèrera peut-être comme le prochain coup dur dans une longue série de décisions politiques rétrogrades qui mettent en péril une activité fondamentale à toute société saine.

Cette courte missive se veut en partie une réponse à votre appel, puisque la cause qui vous préoccupe est effectivement d'une importance capitale et qu'elle est ma façon de parler publiquement, mais aussi un appel de ma part envers vous à aller encore plus loin.

En effet, vos mots me donnent l'impression que, comme beaucoup trop de gens dans le milieu académique, vous avez quelque peu baissé pavillon et accepté ce changement de paradigme qui nous a amené à croire que toute décision, tout projet de société, doit au final se décider sur la base d'un argument économique, d'une rentabilité. Or, rien n'est plus discutable, voire plus dangereux, que cette triste prémisse.

Vous écrivez « la recherche semble perçue comme une dépense et non comme un investissement pour la société. Les investissements publics en recherche s'avèrent pourtant extrêmement rentables ; ils ont la capacité de générer des économies ... ». Je vous dis que vous avez probablement raison, mais que même si la recherche n'était pas « économiquement » rentable il faudrait la faire, il faudrait la choisir malgré tout!

Certes, vous ne semblez pas avoir complètement abandonné. Vous continuez en écrivant « rappelons que le travail des chercheurs apporte bien plus à la société qu'une plus-value économique. » Je m'en réjouis! Vous poursuivez toutefois en soulignant leur « rôle social très important », notamment celui de former « la relève d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée » et rendez ma joie de très courte durée...

J'ai enseigné au secondaire, au collégial et à l'universitaire et j'ai toujours considéré que ma mission était de former des citoyens plus que des travailleurs. J'ai la conviction que réduire le rôle crucial de l'enseignement à celui de produire des travailleurs c'est courir à notre perte. C'est accepter que demain les départements d'histoire, de littérature et de sociologie perdront encore plus de jalons vu la difficulté qu'ont certains à voir l'importance de ces disciplines non pas pour la progression du PIB mais pour l'évolution d'une société saine. C'est accepter la tyrannie du « bof, à quoi ça sert » de l'étudiant qu'on croit aider mais à qui on nuit si souvent.

J'en ai marre d'avoir l'impression que les intellectuels doivent être sur la défensive. J'en ai marre de nous voir piteusement nous battre pour défendre notre « bilan économique » pour ensuite ajouter à demie voix qu'il doit aussi y avoir d'autres considérations dans l'appréciation de notre place. Je rêve du jour où nous cesserons d'agir comme s'il fallait nous excuser de ne pas être des entrepreneurs mais plutôt aller de l'avant, fièrement, et remettre en question cette myopie collective qui nous frappe.

À titre de diplômé de mathématique, de statistique et de finance, je peux vous dire que tout ce qui est important ne se mesure pas adéquatement avec des chiffres, encore moins avec des dollars.

Heureusement, il reste quelques politiciens pour nous rappeler que sacrifier la qualité de notre environnement et de notre culture pour minimiser une dette financière n'est probablement pas rendre service à nos enfants. C'est à nous de les aider en changeant les bases du débat plutôt qu'en jouant toujours selon les règles de l'adversaire d'une façon qui, au final, risque même de donner l'impression que nous ne faisons que tenter de protéger notre confort matériel.

Vous terminez en disant: « C'est à nous de justifier le bien-fondé des investissements en recherche auprès du grand public. »

Vous avez partiellement raison. C'est en effet à nous de nous lever et d'occuper un plus grande place dans le débat public. L'heure est cependant bien plus grave que vous ne le laissez entendre. Avant même de convaincre du bien-fondé des « investissements en recherche », il nous faut convaincre du bien-fondé de recherche elle-même!

La recherche « rentable » aura encore longtemps, et je m'en réjouis, ses défenseurs. C'est celle qu'on fait pour elle-même et dont l'effet sur le PIB n'est pas immédiatement mesurable qui est terriblement menacée. Celle qui nous donne les grands classiques, qui nous fait progresser « à un autre niveau ».

Je vous remercie, Madame Dandurand, pour votre initiative, mais je vous implore d'aller encore bien plus loin.

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