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Le pouvoir local face à Internet

Près de 1,2 million de ménages au Canada - 300 000 au Québec seulement - n'ont pas accès à Internet à large bande.
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Près de 1,2 million de ménages au Canada - 300 000 au Québec seulement - n'ont pas accès à Internet à large bande, surtout dans les régions rurales et nordiques. Il s'agit d'un marché que boudent les grandes entreprises de télécommunications. C'est pourquoi, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) organise cet automne une vaste consultation publique sur l'économie numérique [1]. Qui répondra aux besoins de la population?

Bell, Telus, toutes les grandes compagnies de télécommunications ont tendance à privilégier les centres urbains où la profitabilité de chaque dollar investi est la meilleure.

Pourtant, les gouvernements injectent périodiquement des montants importants pour introduire Internet à large bande en régions. Le Québec a innové en 2001 avec son programme Villages branchés, destiné à relier les commissions scolaires et les municipalités et avec le programme Communautés rurales branchées en 2009. Le gouvernement fédéral fait de même avec le programme Un Canada branché en cours actuellement.

Encore faut-il savoir ce qu'on entend par «accès à large bande». Le CRTC parle de large bande dès que la vitesse dépasse 5 Mb/s. Aux États-Unis et en Allemagne, c'est 50 Mb/s, au Japon 100 Mb/s (on parle dans tous les cas de liaisons descendantes, les liaisons montantes étant plus lentes) [2]. Les chiffres de la soi-disant «large bande» canadienne cachent donc une réalité plus préoccupante que les chiffres ne l'indiquent. Il y a un retard du Canada dans la pénétration d'Internet à large bande.

Voilà pourquoi certaines communautés rurales ont décidé de prendre leur destin en main et ont créé elles-mêmes leur propre réseau d'accès à large bande. C'est ainsi que dès 2007 la petite firme Xitel a câblé en fibre optique une communauté entière à Cantley dans l'Outaouais, assurant ainsi un accès à 100 Mbps aux usagers, aussi bien pour les liaisons descendantes que montantes. Depuis lors, Bell a découvert les bienfaits de la fibre optique dans les foyers et a câblé l'entièreté de la ville de Québec (2012-2013). Ailleurs, les nouveaux développements urbains sont également câblés en fibre optique.

La fibre optique en zone rurale

Restent les zones rurales. Ni Bell, ni les autres grandes entreprises de télécommunications ne songent à amener la fibre optique jusque dans les foyers ruraux. Le cœur du réseau de ces entreprises est pourtant en fibre optique depuis de longues années. Mais le lien final avec l'abonné est toujours en fil de cuivre.

Selon Robert Proulx, fondateur de Xittel et actuellement consultant en télécommunications, le problème est avant tout économique: «La fibre optique à la maison est rentable, même dans les petites communautés, mais le temps d'amortissement est long. On parle de 10 ou 15 ans, ce qui dissuade les grandes entreprises de télécommunications. Par contre, les municipalités ont la capacité d'investir avec des perspectives de retour à long terme. Elles ont l'habitude de gérer des infrastructures publiques.»

D'autres intervenants comme les coopératives et les petites entreprises de télécommunications locales sont également impliquées dans la desserte d'Internet à large bande à domicile. Les exemples de réussites se multiplient un peu partout au Canada et, en particulier, au Québec. Des coopératives, comme CSUR dans la région de Vaudreuil-Soulanges et Télé-Câble La Conception dans les Laurentides, câblent en fibre optique les résidences.

Mais les grands télécommunicateurs exercent toute leur influence pour dissuader les municipalités de créer leurs propres réseaux de télécommunications, et les petits télécommunicateurs locaux ainsi que les coopératives manquent souvent de liquidités pour assurer la pérennité de leurs installations.

Cette problématique n'est pas strictement canadienne. Aux États-Unis, le lobby des grands télécommunicateurs avait même réussi à faire interdire les réseaux municipaux dans 19 États, sous prétexte que cela entravait les lois du marché. Il a fallu qu'en janvier 2015 la Maison Blanche tranche de façon claire en faveur du pouvoir municipal dans un rapport au titre explicite: «Community-based broadband solutions». Un mois plus tard, la FCC a réglementé pour renverser les interdictions qui pesaient sur les réseaux municipaux dans les 19 États en question [3].

La large bande fait-elle partie du service de base?

Au Canada, le CRTC se préoccupe aussi de la question. L'actuel cadre de réglementation oblige les télécommunicateurs à fournir un service de base dans lequel est inclus seulement un service Internet à faible vitesse [4]. Dans l'instance réglementaire actuellement en cours, la question est revenue sur la table. Va-t-on forcer les grands télécommunicateurs à fournir Internet à large bande en zone rurale en l'incluant dans le service de base? Pour Robert Proulx, «une telle obligation sonnerait la mort des réseaux municipaux, des télécommunicateurs locaux et des coopératives».

«La solution idéale consiste à créer des réseaux municipaux de fibre optique exploités en impartition par un télécommunicateur local ou une coopérative», selon Robert Proulx. «De cette façon, les gros investissements sont garantis par la municipalité, mais les frais d'exploitation sont réduits au minimum et l'expertise peut être partagée entre plusieurs villes. En effet, une petite municipalité n'a généralement pas les spécialistes en télécommunications nécessaires pour assurer un service de qualité hautement professionnel.»

La consultation du CRTC qui aura lieu cet automne et qui se terminera par une audience publique en avril 2016 nous dira enfin si le Canada rural - et le Québec - aura enfin accès à Internet à haute vitesse, et qui sera chargé de déployer les infrastructures optiques jusque dans les foyers: les grands télécommunicateurs ou les communautés locales?

[1] Avis de consultation de télécom CRTC 2015-134, 9 avril 2015.

[2] « L'accès aux services à large en milieu rural au Canada : La connectivité, source de dynamisme pour les collectivités », Fédération canadienne des municipalités, Ottawa, 2014.

[3] John Brodkin, « FCC overturns state laws that protect ISPs from local competition », Ars Technica, 26

[4] Politique réglementaire de télécom CRTC 2011-291, 3 mai 2011.

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