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The Artist: Redonner la parole au silence

Scène initiale: Un homme attaché à une chaise et branché de partout reçoit l'ordre de parler. Quelqu'un l'oblige à tout dire sinon, son silence augmente les chocs électriques qu'il reçoit dans son cerveau...Dans le film muet L'artiste de Michel Hazanavicius, Georges Valentin, joué avec brio par Jean Dujardin, apparait dès l'ouverture du film sous l'image d'un prisonnier qui, un peu comme nous devant nos ordinateurs aujourd'hui d'ailleurs, est soumis à la pression de communiquer, sinon c'est la mort.
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La Petite Reine

Scène initiale: Un homme attaché à une chaise et branché de partout reçoit l'ordre de parler. Quelqu'un l'oblige à tout dire sinon, son silence augmente les chocs électriques qu'il reçoit dans son cerveau...

Dans le film muet L'artiste de Michel Hazanavicius, Georges Valentin, joué avec brio par Jean Dujardin, apparait dès l'ouverture du film sous l'image d'un prisonnier qui, un peu comme nous devant nos ordinateurs aujourd'hui d'ailleurs, est soumis à la pression de communiquer, sinon c'est la mort.

L'obligation de parler...Même McCarthy, pendant la chasse au communisme des années soixante, n'aurait pas pensé à un truc aussi génial que l'Internet pour faire "parler" les gens sur leur vie privée. Mais sommes-nous libres, lorsque quelque chose d'extérieur nous oblige à parler? La parole a-t-elle la même valeur lorsqu'elle est forcée?

Il y a selon moi un parallèle à faire entre notre époque et les années folles qui était à l'aube d'une grande dépression et qui débouchera notamment sur la révolution du cinéma parlant. Parler en silence, voilà ce qui résume bien notre époque. Car parlons-nous véritablement avec nos milliards de messages textes qui défilent sur nos écrans pour décrire ce que font les personnages que nous sommes dans le grand film de la vie? Serions-nous aussi obsédés par la communication si notre langage était véritablement parlant?

Nous sommes par ailleurs aussi, à bien des égards, prisonniers de ce désir d'être vu sur les nombreux écrans du monde comme le personnage de Georges Valentin et symbolisé par scène initiale. Mais confiné derrière l'écran, comme il le vivra plus loin malgré lui et qui apparait aussi discrètement sur une affiche derrière lui, c'est le silence forcé...

Une image vaut mille maux...

Après les scènes initiales où il finit par se « libérer », Georges Valentin sortira « librement » de l'arrière de l'écran de cinéma où était projeté son propre film pour entrer en scène devant les spectateurs qui l'acclament. Se sentant pleinement vivant au-devant de l'écran, il fera alors des cabrioles avec son chien sous le regard admiratif de tout le monde. Il exécute alors son fameux tour dans lequel il simule même la mort de son chien avec un fusil imaginaire. Mais lequel des deux est le plus libre? Qui joue le plus le jeu de la vie et de la mort entre le chien et Valentin? Après tout, seul le chien sait jouer avec la mort en faisant fi de mourir lorsque son maitre simule un coup de feu. Les deux font certes semblant, mais le chien lui, ne fait pas semblant de le savoir.

Lorsque plus loin, refoulé derrière l'écran avec son silence qui n'aura plus de valeur dans le nouveau monde du cinéma parlant, il sera pris au jeu de la pulsion de mort. Mais au début du film, la mort semble bien loin comme tant d'entre nous. Tout va bien pour Georges Valentin, il roule sur l'or, ses films marchent très bien, il est au-devant de la scène. Il est une vedette du cinéma muet, son « langage » correspond à celui que la masse veut « entendre » à ce moment. Il est confortablement installé dans la grande salle des attentes du monde et de son public. Mais il est toujours périlleux d'être « connu » lorsqu'on ne se « connait pas ». Le risque est très grand de nous retrouver noyé dans une baignoire ou brûlé par le feu des projecteurs et des images. Valentin l'apprendra à ses dépends...

La vie au-delà de l'image et des nuages...

La vie cherche toujours son chemin. Et au sommet de son illusion de grandeur, il fera une rencontre inattendue. Une jeune admiratrice s'approchera de lui, et échappera sa « bourse » par terre. Cette chute accidentelle et hautement symbolique permettra la rencontre. Comment réagit-il? Il fait « semblant » d'être fâché puis sourit à la caméra. Sa première réaction de déni est très parlante, comme notre époque d'ailleurs devant ce qui est arrivé en 2008 à la bourse mondiale. Mais il sait peut-être, inconsciemment, que cette femme annonce un changement...Un journaliste, symbole de la société de l'image incite la femme à l'embrasser. L'image du baiser fera la une des journaux partout. Elle profitera de ce chaos médiatique pour se faire « entendre » dans le nouveau cinéma parlant, mais lui n'embrassera pas encore cette nouvelle réalité...

Puis le hasard convoquera un autre rendez-vous. Cette fois, un décor de nuage s'interpose entre les deux protagonistes lors d'une répétition pour un film. Ils dansent alors chacun de leurs côtés du nuage comme on le fait au début de toute histoire d'amour. Le désir s'allume alors d'autant plus que la rencontre amoureuse semble souvent « organisée par le gars des vues » comme en témoigne souvent les nombreuses coïncidences à l'aube de nos histoires d'amours. Les grandes rencontres éveillent alors les grands désirs, comme les étoiles nouvelles dans le ciel obscur de l'impossible. Nuages, désir et étoile son d'ailleurs liés (voir à ce sujet mon billet: Nuages et désirs). Le mot désir proviendrait du latin desiderare qui signifie « Être privé de son étoile » en référence à l'histoire d'un devin qui perdit la vue de ses étoiles à cause d'une longue période de ciel nuageux.

Chaos nécessaire

Mais les nuages si vaporeux du départ en amour seront aussi les obstacles à venir. Car les désirs de Valentin seront troublés par d'autres nuages, ses désirs seront désalignés par des « des astres » justement": L'arrivée du cinéma parlant et la grande dépression de 1929 le plongeront dans un chaos profondément déstabilisant. Il s'agit là d'exemples de figures du chaos, ce sont des événements Tricksters qui apparaissent ici sous l'aura typique d'Hermès, soit la crise du commerce et de la communication.

Alors qu'il se sentait tout puissant, il découvre sa vulnérabilité de vivre dans un monde où souvent, les causes ne sont pas proportionnelles aux effets. C'est d'ailleurs probablement ce qui nous fascine tant dans le hasard, soit que certaines rencontres apparemment anodines bouleversent complètements nos vies bien organisées.

Ainsi, lorsque le chaos frappera la vie de Valentin, que son « chien sera mort symboliquement » et que le cinéma parlant sera la nouvelle saveur du jour, il sombrera à son tour dans la dépression comme son époque.

Ce n'est donc plus simplement « la bourse » qui tombera, mais sa valeur personnelle. Cette valeur, tout comme la bourse mondiale chute complètement et invite alors à chercher un nouveau langage et de nouvelles valeurs. Fait historique intéressant, pendant la crise de 1929, malgré que la pauvreté fût partout, l'industrie du cinéma a connue un regain et était l'une des entreprises les plus rentables. Comme quoi quand on a faim, on se nourrit des vitamines de la beauté aussi...

Des questions en mouvement...

Woody Allen disait qu'il avait des questions à toutes les réponses. C'est exactement ce que fait un film, mettre en mouvement des questions. Et le film The Artist nous pose des questions fondamentales aujourd'hui: Est-ce que votre langage correspond à votre nouvelle réalité après un choc de vie ou un événement inattendu? Est-ce que votre valeur personnelle est adaptée à la nouvelle réalité?

Lorsqu'une rencontre déstabilisante survient, nous sommes invités à nous demander comment nous allons converser avec. Rappelons-nous ici que converser veut dire essentiellement bouger, verser avec. Mais on peut aussi lutter contre et c'est ce que fait Georges Valentin au départ. Avant la crise, dans ses années folles, il était une caricature de lui même, telle que sa femme le dessinait d'ailleurs et il s'accroche à ce langage de l'image.

Tout comme Valentin, après une crise, nous pouvons nous entêter à converser avec la vie au moyen d'un ancien langage. Il s'entête alors à utiliser le silence, mais cette fois il est silencieux par orgueil. Il attaquera alors la « valeur » de sa personne en tentant de se brûler avec les anciennes pellicules de ses vieux films. C'est aussi d'ailleurs ce que font des millions de personnes à se « brûler » au travail par orgueil. Mais tôt ou tard, il devra faire face à sa nouvelle réalité et recommencer à converser avec la vie.

Bravo monsieur, vous n'avez plus rien...

Vers la fin du film, un commissaire-priseur libère tous ses avoirs et déclare cette phrase géniale: « Bravo monsieur vous n'avez plus rien ». La vente aux enchères le libère alors de tout ce qui le « possédait », et surtout de cette image grandiose de lui-même.

Tout comme la société qui l'environne, il devra passer par cette perte et cette dépression nécessaire à la découverte de sa nouvelle valeur et ce nouveau langage qui lui permettra de vivre avec le changement inhérent à toute vie.

Ce film met ainsi en mouvement des questions de fond pour notre époque. Nous sommes peut-être une société dépressive car nous avons du mal à faire face à la réalité et surtout qu'on a du mal à aller véritablement vers l'autre.

Ainsi, toute rencontre inattendue qui marque profondément nos vies nous oblige à chercher un nouveau langage. Georges Valentin acceptera finalement d'être altéré par l'altérité. Il acceptera de « parler » un nouveau langage suite à la grande rencontre de sa vie avec Peppy Miller. Cette rencontre était alors peut-être « inattendue », soit présente déjà dans le creuset même de leur rencontre initiale alors qu'ils dansaient librement ensemble sous les nuages.

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