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Incarner la laïcité et l'ouverture: l'état de ma réflexion

Il me semble que le chef de parti et de gouvernement qui se veut un gardien de la laïcité et de la neutralité de l'État devrait s'abstenir de participer à des rituels religieux (ou faisant la promotion de l'athéisme, d'ailleurs).d'en revêtir les symboles.
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Je vous jure, on en apprend des choses en remontant le fil des communiqués officiels de notre premier ministre canadien, Justin Trudeau.

En trois mois, de la fin mars au début juin, le chef du gouvernement d'un pays du G7 a confirmé que 1) la Reine Esther et son oncle Mordecai ont bel et bien sauvé le peuple juif de Perse, quoi qu'en disent les historiens de l'Antiquité; 2) Jésus Christ est bien mort et ressuscité, quoi qu'en pensent les Canadiens pratiquant d'autres religions; 3) Bouddha a réellement vécu et il faut donc en célébrer la vie et les enseignements, même si la trace historique reste, disons, ténue; 4) le prophète Mahomet a bel et bien reçu le Coran grâce à une révélation divine.

Évidemment, il n'y a rien de nouveau ni de condamnable à ce qu'une figure politique, y compris un chef de parti ou de gouvernement, souligne dans une déclaration - de plus ou moins 144 caractères, cela importe peu - la fête religieuse d'une partie des citoyens.

M. Trudeau et ses communiqués offrent cependant le parfait exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Multiculturel jusqu'au bout des ongles, notre premier ministre semble avoir décidé qu'il devait également être multiconfessionnel et revêtir successivement les croyances, et en certains cas les vêtements, de chaque grande religion pratiquée au Canada. Le fait qu'elles soient en plusieurs cas intrinsèquement contradictoires ne semble pas l'indisposer.

Le problème réside dans la validation, par communiqué de l'État, de thèses religieuses. Ce n'est ni sa tâche ni sa place d'affirmer que telle ou telle croyance est réelle ou fausse. Les valider toutes ne change rien à l'affaire.

Il y a un second problème : quand célèbre-t-on, et valide-t-on, les convictions des 40 % de Canadiens qui affirmaient l'an dernier ne pas se définir comme «une personne religieuse» et les 12 % supplémentaires se décrivant comme des «athées convaincus»? (StatsCan rapporte que 17% des Canadiens ne croient pas en Dieu)

Même sans la dérive trudeauiste, la pratique voulant que des chefs politiques saluent les fêtes religieuses mérite réflexion. C'est exactement ce que j'ai indiqué lorsque mon collègue Alexandre Cloutier a souligné la fin du ramadan, un événement effectivement majeur de la vie de nos concitoyens musulmans même si - il est bon de le savoir - les deux tiers d'entre eux ne sont pas pratiquants. « Il faut réfléchir à tout ça », ai-je écrit dans un gazouillis, sans vouloir jeter la pierre à qui que ce soit.

Car c'est entendu : au 21e siècle, les questions religieuses s'imposent pour de bon dans l'actualité internationale et locale. Les enjeux de la laïcité, de la neutralité de l'État, de notre rapport au religieux, modéré et radical, feront durablement partie de notre quotidien.

J'ai déjà établi le cadre dans lequel je concevais le vivre-ensemble québécois pour l'avenir. D'abord dans ma proposition de remplacer le multiculturalisme et l'interculturalisme par ce que je nomme la «concordance culturelle», qui invite chacun à partager le tronc commun qui définit ce qu'est être Québécois.

Le Québec forme une nation ; a une langue officielle et commune, le français ; s'est incarné dans une production culturelle principalement francophone riche et multiforme ; a produit un récit historique singulier ; se définit par son attachement à des valeurs universelles comme l'égalité entre femmes et hommes ; l'entraide et la concertation ; à son cheminement vers un État et une société de plus en plus laïcs ; à sa quête de justice sociale ; à son engagement pour la démocratie. Je propose d'enchâsser ces éléments dans une Constitution québécoise, débattue au préalable par une Commission parlementaire élargie (sur le modèle de Bélanger-Campeau) qui aurait statut d'Assemblée constituante proposant le texte à l'Assemblée. (Pour les détails, voir ma proposition #6 : Identité - un concept pour tous les Québécois : la Concordance culturelle)

J'ai ensuite indiqué quels progrès réels, pour la laïcité et la neutralité de l'État, je souhaiterais réaliser dans le premier mandat d'un gouvernement que je dirigerais.

Cela ne dit cependant rien sur l'attitude que le chef de parti ou de gouvernement doit adopter avec les communautés religieuses. Il y a ses rapports personnels, évidemment. S'il est croyant et pratiquant, il croit et pratique en toute transparence, sans y emmêler la vie politique. (S'il souhaite assister à des rencontres de prière, il ne le fait pas en tant que premier ministre et n'y convie pas ses partisans, par exemple.)

Puis, il y a ses rapports officiels. Je ne prétends pas qu'il y ait un seul mode d'emploi à cet égard, mais voici l'état de ma réflexion pour l'instant.

Si on peut voir les présidents de la CSN ou du Conseil du patronat dans leurs bureaux, on peut certes rencontrer l'évêque à l'Évêché et le Rabbin dans son bureau de la Synagogue. Les chefs religieux sont des interlocuteurs valables de la société civile. De même lors du décès d'une personnalité importante, il est normal de l'accompagner dans le rite, et dans le temple, de son choix.

Mais pour le reste, il me semble que le chef de parti et de gouvernement qui se veut un gardien de la laïcité et de la neutralité de l'État devrait s'abstenir de participer à des rituels religieux (ou faisant la promotion de l'athéisme, d'ailleurs). A fortiori d'en revêtir les symboles.

Je comprends la volonté de se montrer ouvert à l'autre en saluant des moments forts de leur vie. Mais il me semble important de trouver d'autres façons de le faire.

Il ne devrait pas cautionner, par sa présence, des pratiques religieuses consacrant, par exemple, l'inégalité entre les hommes et les femmes. Idem pour les fêtes religieuses. Elles existent, il n'est pas interdit de les souligner, mais, à mon humble avis, il est préférable que l'État ne s'en mêle pas. Ce serait, en tout cas, ma pratique comme chef.

Notre calendrier civil a pris comme jours fériés des dates qui sont issues de notre patrimoine chrétien (Pâques, Noël), qui les avait d'ailleurs recyclées de pratiques païennes antérieures et qui recoupent les fêtes de certaines autres religions. Leur célébration a donc perdu son caractère religieux.

Je comprends la volonté de se montrer ouvert à l'autre en saluant des moments forts de leur vie. Mais il me semble important de trouver d'autres façons de le faire. Signaler systématiquement les fêtes religieuses contribue, il me semble, à définir les communautés par la religion, plutôt que par leurs autres attributs.

La vie communautaire de nos citoyens d'origine nord-africaine ou moyen-orientale ne se réduit pas à son aspect religieux. J'ai célébré le 24 juin avec la communauté kabyle, on m'a vu au lancement du Festival du monde arabe ou au banquet annuel où la communauté maghrébine remet des prix à ses membres les plus talentueux.

Saluer les fêtes nationales des pays d'origine des plus importantes mères patries de nos communautés est également une façon de démontrer l'estime qu'on leur porte. J'étais ainsi présent à la célébration de la fête nationale roumaine, plus tôt cette année, de celle de la République italienne, le 2 juin dernier, et je compte saluer ces fêtes nationales chaque fois que je le peux. (Je serai au pique-nique de la fête nationale française, à Longueuil, ce 14 juillet!)

Les communautés regorgent d'associations de professionnels, de chambres de commerce, d'événements culturels. C'est à leurs invitations qu'il faut répondre et on trouve, là, comme dans n'importe quelle autre association québécoise, des dévots, des non pratiquants, des athées. On s'adresse à toutes et à tous, sans s'enfarger dans des différents théologiques.

J'ai plusieurs fois indiqué que, premier ministre, j'instaurerais une pratique robuste de recrutement de membres de la diversité pour que la fonction publique québécoise reflète enfin correctement la diversité sociale du Québec. J'ai proposé une série de mesures pour assurer le succès économique des néo-québécois.

Il ne s'agit aucunement, là, de religion. Il s'agit de travailler réellement, concrètement, passionnément, pour assurer le succès et l'intégration de tous les Québécois d'adoption. Il me semble que c'est ainsi qu'on fait la vraie preuve de son ouverture à l'autre.

Pour l'anecdote, le premier juillet, moi l'indépendantiste ai même tweeté, « Bonne fête à tous les Canadiens ». En français et en anglais!

Je pense être le seul candidat à la direction du PQ à avoir osé ce degré de respect de son prochain. Je compte récidiver l'an prochain, y compris et surtout si je suis choisi chef du Parti québécois.

Car le vivre-ensemble, cela doit exister aussi en politique.

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