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Le marché de l'art, une question géopolitique

Avec un chiffre d'affaires de 47,4 milliards de dollars l'an dernier et 29 % de recettes supplémentaires en 6 ans, le marché mondial de l'art et des antiquités a retrouvé sa dynamique d'avant la crise de 2008.
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Avec un chiffre d'affaires de 47,4 milliards de dollars l'an dernier et 29 % de recettes supplémentaires en 6 ans, le marché mondial de l'art et des antiquités a retrouvé sa dynamique d'avant la crise de 2008. Entre « globalisation forcée » et intégration de nouveaux acteurs, il reflète les dynamiques à l'œuvre sur l'échiquier international, qui ne se réduisent pas aux seules forces du marché.

L'art est devenu sans conteste un marché mondial. C'est d'ailleurs sa forte internationalisation qui est à l'origine de sa croissance. L'irruption ces dix dernières années des acheteurs chinois, latino-américains, russes et du Moyen-Orient, par leurs investissements massifs, a gonflé la demande et contribué à réorienter les flux. La hiérarchie des grandes places d'affaires s'en trouve modifiée. Ainsi, d'après les données du TEFAF Art Market Report 2014, « les États-Unis conservent leur traditionnelle place de leader mondial (avec 38 % des parts de marché) », devançant la Chine (24 %) et le Royaume-Uni (20 %), tandis que la France réussit certes à conserver sa 4e place, mais avec seulement 6 % de parts de marché.

Par ailleurs, il s'agit d'un marché fortement impacté par le développement de l'économie numérique, globalisation et dématérialisation des ventes se nourrissant l'une l'autre. Pour l'heure, l'e-commerce d'art est un simple complément des galeries classiques. Mais les ventes en ligne égalent déjà la part des ventes aux enchères à l'échelle mondiale (5 %). Et selon l'Hiscox Online Art Trade Report (2014), le marché de l'art mondial en ligne serait le nouveau terrain à investir : il représente aujourd'hui 1,57 milliard de dollars et est estimé à 3,76 milliards de dollars à l'horizon 2018. DMême « Sotheby's et Christie's misent sur l'eldorado des ventes en ligne », relève Le Monde (16/07/2014). Sotheby's vient d'ailleurs de faire alliance avec Ebay, tandis qu'Amazon a investi ce marché en 2013...

Cette mondialisation des marchés, qu'accélère Internet, conduit-elle à la standardisation des œuvres proposées? On serait tenté de le croire, au vu de la plupart des œuvres dites d'art contemporain, qui semblent toutes puiser leur inspiration aux mêmes sources. Avec l'art moderne d'après-guerre, l'art contemporain est déjà le segment le plus rentable, représentant 44 % du volume des ventes dans le monde (46 % en valeur). Loin devant les impressionnistes et postimpressionnistes (13 % du marché global) et les Maîtres Anciens (10 % en volume, 7 % en valeur).

Sans doute parce que l'art contemporain se prête le plus facilement à la spéculation, à la quête de rentabilité à court terme qui n'épargne pas le marché de l'art. Cette tendance explique d'ailleurs pour partie la concurrence croissante des foires et biennales à l'encontre des galeries traditionnelles. Or les unes et les autres restent encore fortement concentrées dans le monde occidental. Christie's et Sotheby's génèrent à elles seules plus de la moitié du produit de ventes d'art de la planète (55 % du marché), quand les Chinois Poly International et China Guardian, par exemple, ne pèsent respectivement que pour 5,9 % et 5,2 %. Et si une foire comme Art Dubaï a désormais une vocation internationale, attirant des marchands aussi réputés que Marian Goodman, elle s'affirme surtout comme une plateforme régionale, illustrant la concurrence toute géopolitique que se livrent les États de la péninsule arabique, notamment entre Dubaï et Doha, respectivement à la 15e et à la 12e place mondiale pour la vente d'art contemporain.

Le cas de la Chine est encore plus exemplaire de cet arraisonnement du marché de l'art par les intérêts non seulement économiques, mais également étatiques des nouvelles puissances. Après être longtemps resté principalement domestique, le marché de l'art chinois a connu une croissance de 900 % en 10 ans, représentant aujourd'hui 90 % du marché asiatique. Tout en consolidant un marché national déjà conséquent pour les ventes d'antiquités et d'art chinois, les investisseurs du pays, disposant d'un très fort pouvoir d'achat, ont permis à la Chine, dans ce domaine également, de prendre rapidement une envergure internationale.

Pour le seul secteur contemporain, elle dépasse déjà le rival américain, totalisant 40 % du marché mondial et 601 millions d'euros de résultats. La seconde place de Pékin pour les ventes d'art contemporain, juste derrière New York, n'est sans doute que provisoire : le marché de l'art est parti pour illustrer et prolonger ce grand « basculement du monde » vers la zone Asie-Pacifique, qui sanctionne surtout la fin du mouvement d'occidentalisation de la planète.

Si l'internationalisation de l'art est une réalité, constantes et changements s'y mesurent à parts égales. Comme en atteste le cas chinois, l'indéniable dynamique d'intégration économique et financière induite par la globalisation ne réussit pas à faire disparaître les spécificités locales - quand elle ne contribue pas à les réveiller, à les redynamiser. Quitte à ce que ces nouvelles dynamiques « nationales » cherchent à supplanter un modèle occidental en crise. C'est aussi en cela que le marché de l'art reflète les rapports géopolitiques à l'œuvre dans le monde d'aujourd'hui.

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