Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Vers un monde «chaotique» ou bien plutôt «post-occidental»?

La théorie du chaos ferait-elle un retour en force?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

La réédition de l'Atlas du monde global, «100 cartes pour comprendre un monde chaotique», de Pascal Boniface et Hubert Védrine, est l'occasion d'interroger nos représentations du monde tel qu'il est. Et tel qu'il advient.

La théorie du chaos ferait-elle un retour en force chez les analystes? Peut-être pas, mais le terme, certainement. L'un des récents éditoriaux de Jean-Marc Vittori dans Les Echos, titré «La croissance mondiale sur une route cahotique», semble faire un singulier écho à l'un des meilleurs chapitres de l'Atlas du monde global, consacré aux «diverses interprétations» du monde, où il apparaît que, après une décennie de domination d'une interprétation optimiste de l'accélération de la mondialisation permise par l'effondrement du bloc soviétique (1989-2001), les errements et échecs, en particulier de l'hyperpuissance américaine, qui ont marqué la décennie suivante semblent avoir assuré une certaine décantation idéologique. Au risque de sombrer dans l'excès inverse: celui d'un profond pessimisme.

Pascal Boniface et Hubert Védrine, dont on connaît l'approche réaliste des relations internationales, présentent ainsi la thèse d'un «monde chaotique» comme l'une de celles qui contribuent à structurer nos représentations géopolitiques.

Qu'est-ce qu'un «monde chaotique»?

Pour les auteurs de l'Atlas du monde global, il se caractérise par l'incapacité pour quelque acteur ou groupe d'acteurs à contrôler la situation internationale. Une situation inédite depuis l'époque moderne et l'affirmation de la domination européenne, puis «occidentale», sur le monde, et qui est marquée précisément par l'affaiblissement du pouvoir des principales - et souvent anciennes e- puissances.

La conjonction de nombreux facteurs contribue à cet affaiblissement, engagé en fait depuis 25 ans:

• L'émergence de nouveaux États, notamment sur les ruines des empires soviétique et yougoslave, mais aussi l'apparition d'une trentaine d'États «faillis» qui n'ont pas «les moyens de contrôler leurs populations et territoires, ni de faire respecter leur souveraineté» - soit la dégradation générale de la notion même d'État, acteur traditionnel et régulateur des relations internationales ;

• La diversification et l'émiettement de la puissance, en raison de la multiplication d'acteurs internationaux non étatiques (entreprises mondiales, ONG, opinions publiques, médias, organisations variées - religieuses, criminelles, etc.) qui disposent de moyens, notamment financiers, dépassant ceux de bon nombre d'États représentés à l'ONU ;

• L'incapacité de la «communauté internationale» à définir un «intérêt général» et à prendre des décisions dans bon nombre de cas (conflits du Proche-Orient, terrorisme islamiste, défi écologique ou migratoire), nourrissant l'impression d'une «impuissance» générale ;

• L'apparition enfin de nouvelles fragilités pour nos sociétés hyperconnectées (virus, attaques informatiques), favorisant les emballements médiatiques mais aussi la perte du monopole de l'information par la «médiasphère» politico-médiatique traditionnelle.

Dans cette optique, «le monde apparaît comme imprévisible, incertain et chaotique, comme un bateau ivre que nul ne peut maîtriser, surtout aux yeux des Occidentaux qui ont cru que le monde était ordonné par eux, ce qu'il a été, pour le meilleur et pour le pire pendant trois ou quatre siècles.».

De quoi ce «monde chaotique» est-il le nom?

Pascal Boniface et Hubert Védrine ont raison de souligner que cette représentation géopolitique traduit surtout une certaine angoisse des anciennes puissances européennes face à une mondialisation qu'elles pensaient et espéraient contrôler, comme les précédentes, et qui leur échappe peu à peu. C'est sans doute même l'essentiel. Car c'est la même inquiétude que l'on retrouve aux États-Unis, qui prétendaient il y a peu reprendre le flambeau de la domination universelle, et qui se trouvent confrontés à l'avènement d'un monde «multipolaire».

Il n'est pas anodin que ce soient les milieux les plus atlantistes qui s'en alarment. Ainsi lorsque Richard Haas, président du Council on Foreign Relations, dénonce le risque d'un monde a-polaire, ou Laurent Fabius [NDLR: ministre français des Affaires étrangères] celui d'un monde zéro-polaire. Des formulations étrangement similaires, qui traduisent déjà une sourde nostalgie, celle du temps où l'ordre du monde se décidait entre quelques chancelleries de l'hémisphère nord...

Dans un récent entretien au Figaro, Hubert Védrine dénonce «l'angélisme» des Occidentaux ces vingt dernières années, qui auraient «fini par croire que la diplomatie n'était faite que pour parler avec des amis dont on partage les "valeurs". Cela ne les prépare pas à des choix difficiles» - comme par exemple sur le dossier syrien. Mais, plus généralement, «les opinions sont inquiètes: elles ont le sentiment que l'on ne contrôle rien. Rappelez-vous le couplet sur la "mondialisation heureuse"! Les gens pensent qu'on les a escroqués, que l'on ne contrôle rien, ni les flux financiers, ni les flux humains». Dès lors, ce que nous appelons «chaos» n'est peut-être que la manifestation de ce vague sentiment d'impuissance, sous-tendu par la prise de conscience du risque de notre sortie de l'histoire, de notre effacement géopolitique. Ailleurs sur la planète, nombre d'États renouent au contraire avec la puissance, et se félicitent de l'avènement d'un monde en réalité «post-occidental». Où les cartes géopolitiques seraient rebattues, parce que notre domination ne s'exerçait plus sans partage. Dans cette phase de transition qui est la nôtre, à l'échelle planétaire, le «chaos» des uns n'est-il pas la matrice du nouvel «ordre» espéré par d'autres?

Par les questions qu'il soulève et les synthèses qu'il propose, l'Atlas du monde global constitue ainsi un précieux viatique pour les acteurs économiques qui entendent se développer à l'international. Ce sont les entreprises qui sauront le mieux anticiper et décrypter les transformations à l'œuvre, dans le domaine géopolitique aussi, qui pourront le mieux sortir leur épingle du jeu. Plus que jamais, il apparaît indispensable de «comprendre pour décider». Le cadre des stratégies de demain ne sera pas celui d'hier.

Pour aller plus loin:

Monde global, monde chaotique? Théories et interprétations du monde qui vient, note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble Ecole de Management, n° 168, 08/10/2015 - à lire sur http://notes-geopolitiques.com.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le monde en guerre

72 belligérants de la Grande Guerre

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.