Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Non, la géopolitique n'est pas réductible aux conflits religieux!

C'est la position stratégique du Yémen sur la route du pétrole qui constitue l'enjeu du conflit en cours, et qui explique le mieux l'intervention saoudienne, avec la bénédiction de l'ONU.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

L'actualité est dominée par le problème sécuritaire posé par le jihadisme, notamment en Syrie. Au risque de finir par croire que les conflits religieux, y compris au sein de l'islam, entre chiites et sunnites, constituent aujourd'hui le moteur principal de la géopolitique.

Pour autant, même en Syrie bien sûr, la situation n'est pas si simple. Si le facteur religieux et plus largement les enjeux identitaires restent essentiels, notamment aux yeux des peuples, la géopolitique invite à une analyse plus large des enjeux. Et c'est souvent la question de la puissance, politique et économique, qui structure en réalité les rapports de force à l'œuvre. La situation au Yémen est à ce titre exemplaire.

Le Yémen, un «État failli»

L'instabilité du Yémen fait l'objet de l'attention internationale à la suite de nombreux attentats terroristes d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA), massivement présent sur le territoire yéménite, et plus récemment par l'État Islamique (EI).

L'échec de la transition politique engagée en 2011, marqué par le renversement en septembre 2014 de Mansour Hadi par les milices houtistes, a poussé les États voisins, Arabie saoudite en tête, à intervenir militairement pour rétablir le président yéménite. Une campagne militaire débutée en mars 2015, d'une extrême violence, mais dont les résultats sont loin d'être probants. Car l'instabilité du Yémen est d'abord liée à des facteurs internes.

Le pays est en réalité profondément divisé, notamment entre le nord et le sud. La partie méridionale du Yémen, correspondant à l'ancien hinterland britannique formé au XIXe siècle autour du port d'Aden, est urbaine et relativement développée. Elle n'accède à l'indépendance qu'en 1967, tandis que la République arabe du Yémen, au nord, se libère de la domination ottomane dès la fin de la Première Guerre mondiale. C'est ce Yémen traditionnaliste des montagnes qui est au pouvoir depuis la réunification du 22 mai 1990.

Cette césure toujours vivace est aggravée par une multitude de fractures ethniques, claniques et religieuses. Ainsi, les Houthis, rapidement présentés comme le bras armé de Téhéran, ne sont en fait qu'une des composantes des groupes chiites zaydites au Yémen. La majorité des tribus chiites zaydites s'opposent à eux, dont l'objectif final est la restauration de leur imamat perdu en 1962, lors de l'intervention, déjà, de l'Arabie saoudite dans la guerre civile opposant monarchistes et républicains en République arabe du Yémen...

À ces facteurs internes d'instabilité s'ajoutent en effet l'ingérence du puissant voisin saoudien, et sa sourde hostilité à l'égard du nouvel État réunifié. «L'Arabie saoudite mène de longue date une politique d'affaiblissement de son voisin», soulignait récemment Le Monde, tandis que Didier Bilion, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques (France), rappelle que «derrière le conflit local qui fait rage, se profile en réalité le bras de fer entre les États arabes du Golfe, emmenés par l'Arabie saoudite, et l'Iran. L'Arabie saoudite tente, par tous les moyens, de se replacer au centre du jeu régional et de s'imposer comme le leader pour s'opposer à ce qu'elle appelle "l'expansionnisme iranien"».

La question vitale des ressources

L'engagement direct de Ryad s'inscrit donc dans la lutte d'influence géopolitique à laquelle se livrent le royaume saoudien et la République islamique d'Iran. Les Saoudiens agitent le spectre de la constitution d'une «ceinture chiite» menaçant l'ensemble des États sunnites du Golfe si Téhéran réussissait à s'assurer Sanaa, la capitale yéménite, après Bagdad, Damas et Beyrouth (via le Hezbollah). Vis-à-vis des pays occidentaux, ils soulignent le risque de voir les Iraniens, via un État allié installé sur les bords de la mer Rouge, en possibilité de couper deux des principales artères maritimes du pétrole du Proche-Orient, à savoir le détroit d'Ormuz dans le Golfe et celui de Bab el-Mandeb contrôlant de facto le trafic du canal de Suez.

C'est bien cette position stratégique du Yémen sur la route du pétrole qui constitue l'enjeu du conflit en cours, et qui explique le mieux l'intervention saoudienne, avec la bénédiction de l'ONU.

Derrière la rhétorique anti-chiite officielle, et malgré la responsabilité de Ryad dans la situation actuelle, personne n'a intérêt à voir le Yémen sombrer dans le chaos. Le détroit de Bab el-Mandeb, au large du pays, voit en effet transiter 90% des seules exportations japonaises et 3,8 millions de barils par jour. Ce n'est donc pas un hasard si Djibouti, en face d'Aden, représente l'une des principales bases militaires occidentales au monde, avec plus de 8 000 soldats stationnés à demeure. Des chiffres qui éclairent bien mieux que les discours officiels la réalité géopolitique. Dans la péninsule arabique comme ailleurs.

Pour aller plus loin:

Yémen: le martyre d'une «Arabie heureuse». Derrière le conflit religieux, le contrôle de la mer Rouge, note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble École de management, n° 169, 15 octobre 2015 - à lire sur notes-geopolitiques.com

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

"Les signataires par le sang" de Mokhtar Belmokhtar

Les mouvements islamistes en Afrique

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.