Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Alternance politique au Canada: et maintenant?

La participation à la COP21, à laquelle Stephen Harper était opposé, annonce un virage plus stratégique, basé sur une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

«Le Canada est de retour», a lancé Justin Trudeau, dès le lendemain de sa victoire, aux «amis à travers le monde» qui «se sont inquiétés du fait que le Canada avait perdu sa compassion et sa voix constructive dans le monde au cours des dix dernières années». En cause: la politique étrangère de son prédécesseur, Stephen Harper. «Arrivé au pouvoir en 2006, le chef du Parti conservateur avait adopté la même attitude que les équipes de Bush alors à l'œuvre à Washington», analyse Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord à l'IFRI (La Tribune, 19/10/2015). Une attitude belliciste, mais également d'alignement sur les États-Unis, notamment sur le dossier ukrainien ou les traités de libre-échange économique, qui tranchait avec les choix traditionnels du pays. Un retour à la politique dite "internationaliste" que menait le propre père du nouveau Premier ministre, Pierre-Eliott Trudeau, est donc à prévoir.

Avec déjà deux annonces fortement symboliques: la révision du niveau d'engagement du Canada au sein de la coalition anti-État islamique sous égide américaine, et la participation à la COP21. La première n'est pas surprenante, la tradition militaire du Canada contemporain relevant davantage des opérations de maintien de la paix sous mandat de l'ONU: "Celles-ci furent en effet créées par le diplomate canadien Lester Pearson (prix Nobel de la Paix 1957) au lendemain de la crise du canal de Suez", rappelle utilement Laurence Nardon.

La participation à la COP21, à laquelle Stephen Harper était opposé, annonce un virage plus stratégique, basé sur une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux.

Défis énergétiques, défis climatiques

L'un des atouts majeurs du Canada est d'être «une superpuissance énergétique» (Le Dessous des Cartes, Arte/TV5MONDE, 28/11/2014). Le pays dispose en particulier d'immenses réserves de sables bitumineux et de gaz de schiste, qu'il a décidé d'exploiter de manière intensive. En 2010, les sables bitumineux représentaient déjà 41% de la production totale de pétrole. En 2020, ils devraient représenter 57%, et 76% en 2030. "Ce qui veut dire qu'en 2030, la production totale de pétrole, conventionnelle et non conventionnelle, pourrait atteindre 5 millions de barils jour soit plus que la production actuelle de l'Iran". Les réserves de pétrole canadiennes sont d'ores et déjà considérées comme les troisièmes au monde. Certes, la baisse du cours du brut affecte la rentabilité de bon nombre d'installations d'extraction, conduisant à des licenciements de personnels et à l'abandon de certains projets. Pour autant, "il n'est pas question de fermer les exploitations en cours car les investissements fixes sont très élevés: au contraire, la production augmente à un rythme industriel" (Images du monde 2016, Armand Colin, sept. 2015). L'impact environnemental est évidemment important: si le précédent gouvernement n'avait pas décidé de sortir du Protocole de Kyoto, le Canada devrait payer une amende de 10 milliards de dollars !

C'est un défi de taille pour Justin Trudeau. S'il se montre attentif à un meilleur respect de l'environnement, et a fortiori s'il souhaite prendre de nouveaux engagements à l'occasion de la COP21, il ne pourra brutalement tourner le dos à l'industrie pétrolière, qui a largement redéfini l'économie canadienne ces quinze dernières années. Il y a pourtant nécessité à agir, quitte à redéfinir la "Stratégie canadienne pour le Nord" adoptée en juillet 2009: avec le risque de réchauffement climatique, mais également la fin de la guerre froide, l'Arctique est devenu un échiquier géopolitique et géoéconomique de premier plan. Or plus de 30 % de la région (hors haute mer) se trouvent au Canada, et 40 % du territoire canadien est dans l'Arctique: vue d'Ottawa, la "dernière frontière" relève de l'intérêt national tout autant que du bien-être et de la durabilité du territoire...

Une économie diversifiée, et fortement internationalisée

Trudeau s'est engagé à relancer l'activité et l'emploi avec un programme d'infrastructures financé par le déficit budgétaire. Ce programme sera sans doute l'occasion d'élargir le mix énergétique canadien, en développant davantage encore le renouvelable. Mais l'énergie n'est pas le seul secteur stratégique de l'économie canadienne, qui dispose de deux autres avantages majeurs. D'une part, sa connexion avec les réseaux, les marchés et les investisseurs internationaux, chinois en particulier, notamment depuis les métropoles de Toronto et surtout de Vancouver, sur la côte Pacifique, dont près de la moitié de la population est d'origine asiatique. D'autre part, la diversification de son économie, appuyée sur le maintien d'une puissante base industrielle (32% du PIB) et l'optimisation des relations entre entreprises, laboratoires de recherche et universités, permettant le développement de nombreuses start-up dédiées aux services financiers, commerciaux ou technologiques (Montréal a ainsi détrôné Paris à la 3e place mondiale dans la très lucrative industrie des jeux vidéo). Autant de caractéristiques qu'un gouvernement soucieux de ne pas faire dépendre le pays du seul pétrole, ni du puissant voisin américain, s'empressera de conforter.

C'est par le traité de Paris, en 1763, que nous avons abandonné à la Couronne britannique ces "quelques arpents de neige" que constituaient, selon Voltaire, les possessions françaises du Canada. Pour autant, les liens n'ont jamais été totalement rompus. L'attachement à la "Belle Province" ne s'est jamais démenti, et la plupart des cadres et entrepreneurs français ayant traversé l'Atlantique pourront témoigner de la qualité de l'accueil qui leur a été réservé, y compris en territoire anglophone. Et s'il était l'heure d'y retourner?

Pour aller plus loin:

"Canada is back: le potentiel insoupçonné de 'quelques arpents de neige'...", note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble Ecole de Management, n° 170, 05/11/2015

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST:

Assermentation de Justin Trudeau

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.