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Pour la mise en place d’un système scolaire juste, équitable et inclusif

Il faudrait travailler main dans la main en créant un réseau public et privé de qualité où l’un ne nuit pas à l’autre.
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halbergman via Getty Images

« Si le cœur doit être le médiateur entre la tête et les mains », je crois qu'il serait nécessaire d'évaluer correctement les facteurs causant les iniquités dans notre système scolaire. Autrement dit, le « parler-vrai » est une exigence morale et politique plus que souhaitable, mais encore faut-il « parler juste ».

J'ai rarement été confronté à autant d'éléments contre-productifs dans mes recherches et dans mes discussions sur notre système d'éducation que lorsque j'aborde le financement du privé. Des clichés sociologiques aux raccourcis intellectuels, en passant par des postures idéologiques ou corporatives — le débat rationnel est trop souvent submergé par une émotivité certes compréhensible, mais nuisible au progrès social.

Voici donc le dernier texte d'une série de trois sur l'iniquité de notre système scolaire. Dans les deux premiers textes, l'accent fut mis sur les dérives idéologiques de certains groupes et la mauvaise lecture du problème de la ségrégation scolaire – du moins dans l'articulation de ses remèdes par certains groupes.

Un rappel des textes :

Au sein du présent papier, je présenterai, encore une fois, certaines faiblesses de la proposition de mettre un terme au financement des écoles privées (comme remède au problème d'iniquité de notre système) pour ensuite approfondir davantage la solution que j'ai déjà abordée dans un précédent papier. Celle-ci a le mérite de s'attaquer de front à la situation des inégalités en éducation, et cela, malgré son originalité* dans le discours et dans la recherche québécoise.

S'inspirer de ce qui se fait de pire

Pourquoi, sur la question du financement d'un service aussi important que l'éducation, prendrions-nous comme modèles les États-Unis, quelques provinces canadiennes, une bonne partie des pays africains, d'Amérique centrale et du Sud ? Ces pays et provinces peuvent avoir certaines statistiques intéressantes, mais dans l'ensemble, il ne s'agit pas d'idéaux à suivre en matière d'égalité. L'observation du coefficient de Gini dans ces différents pays en 2017 est assez éloquente à ce sujet.

Je sais très bien que l'on ne peut pas rendre responsable leur système d'éducation de cette situation, les aléas de l'histoire et les stigmates laissés par ceux-ci sont bien réels. Cependant, ils ont tous cette chose en commun ou presque : le privé n'est pas subventionné et celui-ci est réservé à « l'élite ». L'éducation comme facteur d'émancipation, certes, mais celui-ci est aussi un facteur important dans la reproduction des inégalités ; l'éducation peut être l'instrument de la liberté, mais dans certains cas, ses chaînes. D'où l'importance d'améliorer l'accessibilité et la qualité de l'éducation dans tous pays – c'est l'une des meilleures façons de briser le cercle de la pauvreté.

Je me répète : la question de la place du privé dans notre système d'éducation est légitime, mais couper son financement n'est pas le remède au problème de l'accessibilité et de la disparité des ressources.

Je ne comprends pas pourquoi certains individus veulent à ce point implanter un système qui a fait ses preuves dans son efficacité à reproduire les inégalités année après année – j'évoquais même dans un précédent papier un véritable retour en arrière sur le plan de l'égalité ou encore, à quel point c'était une fausse bonne solution. Je me répète : la question de la place du privé dans notre système d'éducation est légitime, mais couper son financement n'est pas le remède au problème de l'accessibilité et de la disparité des ressources.

Vous imaginez mon désarroi quand j'entends parler de ces prétendues solutions ; quand j'entends ou je lis des personnes que je respecte affirmer des opinions sans même essayer de comprendre la situation dans sa globalité... Je commence à croire qu'il existe chez bon nombre d'individus de « gauche » (« la droite » au moins l'assume !) un désir secret, sans doute inconscient, de garder cette stratification sociale. Les riches auront leurs écoles privées, la classe moyenne / aisée leurs écoles publiques aux ressources très importantes et finalement la classe ordinaire, trop ordinaire, pour le reste. «

Alors que faire ? S'impliquer dans un collectif en espérant que la recherche et la discussion priment sur le reste ? Relire La Conquête du pain de Kropotkine ? Devenir cynique et « tinder » jusqu'à en perdre la raison ? Écrire encore et encore d'autres papiers sur le même sujet? « Let's me [tind] about it ». Vraiment, la recherche et la réflexion semblent laisser place à un délire idéologique où la posture politique est reine. Quelle tristesse !

Des exemples à suivre

Ce qui me désole encore plus, c'est qu'il existe des modèles intéressants en matière de financement du privé dans de nombreux pays européens : le Danemark, la Suède, la Finlande, la Belgique flamande, les Pays-Bas et autres sont des exemples où le privé est subventionné à des montants supérieurs qu'au Québec. En fait, la situation est souvent inversée dans les pays premiers de classe en matière d'égalité : l'État subventionne et régule le privé. Certains pays interdisent même le financement autre et/ou la sélection des élèves.

En comparant les différents systèmes d'éducation dans le monde, on peut isoler quelques variables engendrant de profondes iniquités en matière d'éducation. Les deux principales :

Une disparité des ressources entre les établissements (autant privés que publics) est la cause de nombreux soucis dans tous les pays où l'État autorise le financement extérieur des établissements. Que ce soit par des frais d'inscription ou encore des collectes de fonds cela contribue, à créer un écart important entre les établissements. Le Québec ne fait pas exception à la règle et certaines écoles publiques facturent des frais pouvant aller jusqu'à 25 % de la moyenne du privé. En ce qui concerne le privé, l'écart peut être vraiment important.

La sélection des élèves fondée sur les résultats académiques et/ou sur les revenus engendre une très grande disparité en accentuant les regroupements fondés sur des facteurs socioéconomiques et de capital de réussite. Au Québec, on assiste donc à la création de classes ordinaires, vraiment ordinaires, avec des ressources limitées (la Stratégie d'intervention Agir autrement [SIAS] n'est pas suffisante et la façon de calculer les montants alloués est à revoir). Une concentration des élèves au capital de réussite souvent plus faible se retrouve dans ces classes qui sont couronnées d'une proportion d'élèves HDAA en augmentation pratiquement constante depuis déjà un certain nombre d'années.

Je crois que les trois exemples suivants peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe actuellement dans notre système.

Pour qui s'intéresse à la politique, un élément saute aux yeux : le financement des partis politiques est probablement l'endroit où il y a le plus de manœuvres douteuses : c'est vrai au Québec, au Canada, aux États-Unis et, en fait, à peu près partout. Ce n'est pas pour rien que plusieurs exigent plus de transparence et que l'État régule le montant maximal des contributions au Canada et au Québec.

Pour qui s'intéresse au hockey, deux éléments sautent aux yeux : pour s'assurer d'un certain équilibre, le processus de sélection est contrôlé et la masse salariale des équipes est limitée. De cette façon, la parité assure une meilleure compétition entre les équipes.

Pour qui s'intéresse à l'éducation, trois éléments sautent aux yeux : il n'y a pas de contrôle sur le processus de sélection. Le financement de l'éducation est fortement inégal que l'on soit au privé ou au public. Finalement, aucun groupe ou parti politique ne trouve pertinent de s'attaquer à ce problème en proposant une solution cohérente.

Je ne sais pas, mais il me semble qu'il y a quelque chose qui ne marche pas dans notre rapport à l'éducation...

Pour une école juste, équitable et inclusive.

Ainsi donc, à mon avis, les pistes de solutions possibles pour un État soucieux de l'éducation de ses enfants sont assez claires :

  • Financer l'éducation à 100% par l'État autant au public qu'au privé.
  • Limiter, voire interdire les financements autres (levées de fonds, fondations, frais de scolarité, etc.) de tous les établissements.
  • Limiter la sélection des élèves selon les résultats académiques.
  • Assurer un financement des établissements en fonction des besoins réels de chaque élève (revoir les modalités de financement actuel notamment du SIAA).

Par ces actions, nous serions en mesure de régler en partie le problème de la ségrégation scolaire et de l'iniquité des ressources, mais il ne faut pas se leurrer, il resterait tout un travail à effectuer. Je pense entre autres à la question de la fonction des écoles, à un mode de gouvernance plus adapté des établissements scolaires et à une revalorisation de la profession d'enseignants.

Le privé pourrait continuer d'exister dans la mesure où il respecte les modalités de financement et de sélection. Il aurait donc encore la liberté de fonctionner à l'intérieur de ce cadre qui n'est, en dernière analyse, pas excessif. Les tenants d'une approche du « moi » vs le système pourraient se rabattre, comme c'est déjà le cas, vers l'école à la maison. Ainsi les différentes composantes de la Charte des droits seraient respectées en garantissant la liberté de choix.

La question du coût peut être soulevée, car à court terme cela couterait plus cher. Cependant, peu importe le moyen utilisé pour financer notre éducation, ce serait plus juste que ce que nous avons actuellement — l'éducation reste une richesse collective. Ce n'est donc pas aux seuls parents ayant des enfants en âge d'étudier de payer, d'autant plus que cela se fait actuellement au détriment du réseau public. Il faut cependant reconnaitre qu'ici je fais intervenir une conception particulière de la justice et le débat est ouvert, mais périphérique à mon objectif.

Il faudrait travailler main dans la main en créant un réseau public et privé de qualité où l'un ne nuit pas à l'autre. Notre privé deviendrait un peu plus public dans son accessibilité et il faudrait espérer que notre public puisse aller chercher certains avantages du privé. Du coup (non, je ne suis pas français), le privé perdrait pour plusieurs sa raison d'être et le public deviendrait plus enviable parce que jouant à arme égale, notamment sur le plan de la liberté et des ressources. Ce n'est pas une privatisation de notre système, c'est démocratiser sa structure et c'est se réapproprier collectivement l'éducation.

Les différentes mesures que j'ai proposées soulèvent la question de la cohérence nécessaire pour avoir un modèle juste et équitable au regard de la question de l'inégalité des chances et de la mixité sociale. Or, comme nous l'avons vu dans mes trois papiers, la fin du financement du privé ne règle pas le problème, au mieux il le déplace.

*Je ne suis pas le seul à aller dans ce sens, mais force est de constater qu'il y a peu d'écrits. Cette mesure aurait aussi été plus que discuté par le CSE au moment du rapport sur l'état des besoins en éducation 2014-2016.

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