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Combattre la ségrégation scolaire par la ségrégation

Peut-on réellement parler d’un système d’éducation juste et inclusif quand 10 % des enfants seraient marginalisés?
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Bunlue Nantaprom / EyeEm via Getty Images

Dans un précédent papier, j'évoquais le problème du mouvement « L'École ensemble » et par extension l'engagement de Québec solidaire à supprimer le financement des écoles privées. Il ne faut pas se méprendre sur ma position, les modalités de financement des établissements éducationnels sont reliées au problème de l'équité, mais l'obsession de certains groupes à vouloir couper le financement du privé ne fait que rendre périphérique le débat sur les causes réelles du problème.

Au lieu de vouloir trouver une solution globale, on essaie ici d'appliquer un baume temporaire et inefficace – relevant davantage du placebo - sur le problème de l'iniquité de notre système en réduisant le financement des écoles privées. En fait, on évite par cette mesure d'aborder les enjeux de front, soient ceux de la disparité des ressources et du manque d'accessibilité à celles-ci au sein des établissements. L'argument généralement évoqué peut se résumer comme suit: l'État ne finance plus le privé, donc augmentation des élèves au public (ce qui amènerait plus de ressources), on arrête la sélection au primaire et au secondaire et finalement, on laisse le privé... Privé.

Pas besoin d'être un devin pour voir que cela augmenterait la pression sur les parents, comme c'est le cas en Ontario où la pression est de plus en plus importante sur ceux-ci). De plus, nous aurions dans la grande région de Mtl un réseau privé encore florissant quoique plus limité et, à terme, cette situation engendrerait la création d'un clivage encore plus prononcé entre les riches et les « autres ». Au moins, ces différents groupes reconnaissent l'importance d'intervenir sur la sélection des élèves dans le milieu public (pas sur le privé?), mais on semble ignorer le décalage entre établissements concernant la question des frais exigés dans le secteur public. Si on est cohérent, il s'agit aussi d'une forme de sélection. Et que dire des collectes de fonds accomplies par des établissements déjà présentes dans notre système public ? Cela contribue à une inégalité flagrante. Cette réalité est bien présente ici, mais aussi ailleurs au pays, voire dans le monde.

Une pression accrue sur les parents

Quand j'évoque le côté non inclusif de l'approche proposée par Québec solidaire et autres, voilà ce que j'entends le plus souvent : « je ne veux pas que mes impôts payent pour le privé », « qu'ils restent entre eux » (en parlant des gens issus classes aisées), « peu importe ce que l'on va faire, ils vont s'arranger pour rester entre eux », « ils ont le choix, ils ont juste à envoyer leur enfant au public, c'est eux qui décident de s'exclure ». Beau projet de société en perspective. Très inclusif... En fait, ces parents ne font pas le choix de s'exclure. Pour la très vaste majorité, l'éducation est une nécessité et c'est l'avenir de leur enfant qui se joue. Ces phrases pourraient très bien se retrouver sur un site d'une certaine droite québécoise en parlant d'un immigrant ou d'un réfugié. Le « nous » vs le « eux » ; le « 99% » vs «le « 1%... Un langage similaire en raison d'une provenance similaire : le ressentiment.

Note à moi-même : essayer de mentionner dans le texte que je pense moi aussi qu'une bonne partie de la population se fait passer un gros sapin à l'intérieur du cadre sociétal actuel. Ou encore, tout simplement dire que les idées progressistes de M. Couillard me rejoignent.

Alors je disais qu'il n'y avait point de choix pour ces parents : en fait, on devrait les accompagner, les aider et finalement les intégrer au modèle de société proposé. La « misère des riches » certains diront, alors qu'en fait, ils font partie de la société et par conséquent de la solution. Il n'y a pas de hiérarchisation possible ici, du genre : on pense à « nous » (qui n'est pas homogène) et ensuite « aux riches ». Comme ce n'est pas parce que nous accueillons des réfugiés que « les personnes retraitées ne sont pas bien traitées ». Nous avons besoin d'un modèle rassembleur, d'un système d'éducation à une seule vitesse flexible et inclusif où tout le monde aura la possibilité de se développer à son plein potentiel.

La création d'un réseau florissant d'écoles privées accessibles seulement aux plus riches principalement dans la région de Montréal.

Même si les idées progressistes de M. Couillard me rejoignent... La fin du financement du privé accentuerait l'écart (perception) entre le public et le privé - c'est aussi ce qui se passe en Ontario.* Cela aura certes l'effet de rendre le système plus égalitaire, dans la mesure où (si la sélection au public est abolie et le financement public du privé enlevé) on se retrouverait avec environ 90 % des élèves du secondaire dans un réseau public unique (en espérant que les études crédibles de QS sont effectivement crédibles). Nous aurions des écoles entièrement privées avec une élite économique au capital de réussite très élevé étudiant dans de superbes environnements entièrement financés par le privé. 20% des élèves du secondaire de la région de Montréal continueraient d'aller au privé, on verrait une augmentation en popularité des milieux fermés (pensionnats) pour notamment accueillir des élèves aisés des régions éloignées. Wow, mais quel genre de farce est-ce cela? En voulant diminuer la ségrégation scolaire, on contribuerait à augmenter la disparité entre nos élèves les plus fortunés et le reste de la population.

Ce raisonnement par l'absurde montre bien l'incohérence de cette proposition : l'égalité dans la servitude ou l'égalité devant l'inacceptable ne peut pas être un but en soi – au pire c'est une résultante.

La société du haut Moyen Âge était elle aussi plus égalitaire qu'aujourd'hui... Le niveau d'éducation était très égalitaire, la condition féminine était aussi très égalitaire et la quantité de calories ingurgitée par jour était on ne peut plus égalitaire. Ce raisonnement par l'absurde montre bien l'incohérence de cette proposition : l'égalité dans la servitude ou l'égalité devant l'inacceptable ne peut pas être un but en soi – au pire c'est une résultante. Résultante tragique, je vous l'accorde, qui appellerait à la révolution. Si je n'avais pas lu La démocratie des crédules de Gérald Bronner, je pourrais presque penser que les tenants de ces propositions sont financés par ce fameux 1% pour établir un système encore plus élitiste.

Si le projet de Québec solidaire et Cie est de mettre fin aux privilèges, une relecture de Marx s'imposerait en commençant par Le 18 brumaire de Louis Bonaparte – à moins bien sûr que le but recherché soit la révolution. Si on veut véritablement changer les choses (par un moyen autre que la révolution – de toute façon on pourrait débattre de la nature des acquis révolutionnaires), il est impératif de bien comprendre le problème, son articulation et les facteurs de reproduction des inégalités. Dans le cas contraire, les beaux énoncés de principe ne resteront que du vent et les slogans scandés dans les rues que des feux de paille. Bref, la table sera mise pour assister à une bonne comédie où le rire sera cependant absent.

D'ici là, je vous invite à relire ces propositions imparfaites, mais qui ont au moins le mérite d'être cohérentes. D'ailleurs d'ici quelques jours, une proposition plus détaillée sera publiée.

* La question posée à la fin de l'article est à mourir rire, mais bon, on apprendra rien de nouveau sur l'institut Fraser.,

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