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Et maintenant, Trump peut-il être élu président?

Après de nouveaux succès dans le deuxième «Super Tuesday», c'est bien la seule question qui intéresse tout le monde.
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Au moment où elle tombe, on ne s'attend presque pas à la question. Et celui qui la pose n'en revient d'ailleurs pas de l'avoir posée. Comme s'il y avait un sacrilège, un interdit, une transgression. Ce matin, pourtant, après ce nouveau succès dans le deuxième «Super Tuesday», c'est bien la seule question qui intéresse tout le monde.

On n'osait pas ?

À vrai dire, on y est allé par petites touches: «N'enterrons pas trop vite Donald Trump», disait-on après l'Iowa et «victoire de l'outsider», après le New Hampshire. Puis l'enchaînement de succès aux primaires a déplacé le centre d'intérêt : après «qui est ce candidat ?», on s'est demandé «qui sont ceux votent pour lui ?» ; il fallait que tout cela prenne un sens puisqu'il réalisait sous nos yeux le casse du siècle et que le «Super Tuesday» avait fait de lui, contre toute attente, un favori.

Petit à petit, on a vu le masque de clown tomber. Les grelots du bouffon sont restés au placard et le costume de Donald Trump, avec son éternelle cravate rouge, a semblé taillé pour porter un nouveau modèle de société : celle du refus, de la dénonciation, voire de la haine, pour les uns ; du franc-parler, du courage et de l'indépendance pour les autres.

Quel que soit le camp choisi, tous se posent donc désormais la question de la faisabilité : Donald Trump en 45e président des États-Unis, est-ce possible ?

En admettant que le milliardaire passe l'épreuve de la convention sans encombre et qu'il reçoive l'investiture, les plus rapides ont déjà sortis les sondages nationaux et ils font tous la même constatation : Hillary Clinton, qui est désormais incontournable avec l'avance prise ce 16 mars, gagne dans tous les cas de figure contre le New-Yorkais.

Parmi ceux qui regardent un peu vite le jeu politique américain, on en trouve pour rebondir et alimenter encore un peu le suspense : «tout est possible dans une campagne», «l'élection Clinton vs Trump sera celle de l'establishment contre le peuple», «Donald Trump a déjoué tous les pronostics jusque-là», et quelques autres remarques dans la même veine.

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Sortie d'un rassemblement de Donald Trump à Atlanta. Photo : Jean-Eric Branaa, février 2016.

Un système bien à part

La singularité des élections américaines va encore une fois apparaître au grand jour : il s'agit d'un pays fédéral qui s'est construit dans une lutte féroce entre les «petits» États et les «grands» États. Les petits, qui sont petits en superficie ou par leur faible population, ont, dès l'origine, bataillé ferme pour exister et faire entendre leur voix face à des plus grands territoires ou des États plus peuplés. Lors de la convention constitutionnelle de 1783, cela a abouti à ce que l'on appelle «le grand compromis», avec cette invention formidable pour l'élection du président : le collège électoral.

Rien de bien compliqué en réalité : chaque État vote à l'intérieur de ses propres frontières, pour arrêter son choix. Si la Californie se choisit un président démocrate, rien n'empêche le Texas de se choisir un président républicain. Chacun fait donc comme il l'entend. Sauf que, alors que personne ne remet en cause ce grand principe et que tout fonctionne très bien, cela devient un vrai casse-tête lorsqu'il faut se choisir un président commun. Les États ne veulent pas se faire imposer le choix de leurs voisins, et vice-versa. Lorsque les États sont un peu trop petits, ou peu peuplés, ils estiment que les grands États, ou ceux qui ont une forte population, ont des visées hégémoniques, ce qu'ils estiment intolérable.

D'autant qu'il suffit de gagner les 12 plus grand États (alors qu'il y en a 50 en tout) pour devenir président. Pourquoi cela ? Parce que, dans chaque État, les électeurs ne votent pas pour le président directement, mais pour des «grands électeurs» qui auront l'insigne honneur de choisir celui qui conduira les destinées de la nation. Il a donc été attribué un nombre de grands électeurs pour chaque État, ce nombre étant fixé en fonction de la taille de l'État et de sa population. Le vainqueur remporte tous les délégués de l'État. C'est ce qu'on appelle le winner-take-all (sauf dans le Maine et dans le Nebraska).

C'est là que tout devient bigrement compliqué, parce que c'est foncièrement injuste ou illogique, ou anachronique, quel que soit le côté par lequel on prend la lorgnette. Mais n'allez pas dire cela à un électeur du Vermont, de l'Alaska ou du Dakota du Nord, dont le «poids» en délégués reste bloqué au minimum (à savoir 3) alors que la Floride ou New York en désigneront 29, le Texas 38 et la Californie... 55 ! N'est-ce pas injuste ? Prendre en compte un résultat global au plan national reviendrait donc à gommer la spécificité des États et leur enlever la possibilité de peser (un peu) sur les destinées de la nation. Impensable si on veut respecter l'esprit des pères fondateurs ! C'est ce qui a abouti à cette élection de 2000 gagnée par George W. Bush alors qu'Al Gore avait recueilli plus de voix que celui qui devint le président. Et pourtant, c'était bien l'esprit de la Constitution.

Oui, mais et en 2016 ?

Bon, mais cela ne répond pas à notre question : Trump peut-il être élu en 2016 ?

Les analystes font tous le même calcul : ils comptent pour chaque camp ce que l'on appelle des safe states, des États qu'un camp ne peut pas perdre, parce qu'il y est très fort et qu'il y gagne toutes les élections locales. Ce sont également des États qui ont voté très régulièrement en faveur d'un camp au cours de toutes les dernières élections présidentielles. Enfin, la démographie n'y a pas été bouleversée au cours des dernières années.

Cette stabilité multifacettes permet d'avancer qu'Hillary Clinton devrait l'emporter dans une vingtaine d'États. Au nord-est, qui est son bastion le plus fort, elle remportera sans problème 10 États (plus la capitale fédérale) : le Maine, le New Hampshire, le Vermont, le Massachusetts, New York, le Rhode Island, le Connecticut, le New Jersey, le Delaware, le Maryland. Cela lui rapportera 92 délégués.

Autour des Grands Lacs, elle gagnera très certainement les États du Michigan, de l'Illinois, et du Minnesota, des terres industrielles qui sont restées fidèles aux démocrates. À l'ouest, la Californie, l'Oregon, l'État de Washington et le Nevada seront très logiquement pour elle, ainsi que le Nouveau-Mexique et Hawaii. Son total de délégués s'élèvera alors à 227.

Pour Trump, les choses devraient être plutôt faciles dans le sud des États-Unis, des terres républicaines et conservatrices : Virginie-Occidentale, Caroline du Sud, Géorgie, Alabama, Mississippi, Tennessee, Kentucky, Indiana, Missouri, Arkansas, Louisiane, Texas, Oklahoma, Kansas, Nebraska, Dakota du Sud, Dakota du Nord, Montana, Wyoming, Colorado, Idaho, Utah et Arizona. C'est un petit peu plus en nombre d'États (23) que pour la candidate démocrate (20), mais cela rapporte moins de délégués parce que ces États sont moins peuplés, mis à part le Texas. Le total pour «Le Donald» sera alors de 200 délégués.

Sur la ligne de départ, les deux candidats pourraient donc bien être presque à égalité. Le nombre total de délégués est de 538 et il faut donc en avoir 270 pour devenir président(e) : la moitié, plus 1.

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Carte : Les délégués du collège électoral - safe states. Projection par Jean-Eric Branaa, mars 2016.

Les swing states

C'est là qu'interviennent les autres États, ceux qui changent leur vote d'une élection à l'autre, ou dont la démographie a vraiment évolué et pourrait entraîner un basculement d'un camp vers l'autre. Les campagnes y seront les plus féroces aussi, avec des millions de dollars dépensés pour convaincre et tenter de l'emporter. Il y a donc 7 États qui seront particulièrement disputés, pour le gain des 111 délégués qui manquent encore à l'appel:

• L'Iowa (6 délégués) vit généralement son heure de gloire en début du processus des primaires. Il organise traditionnellement le premier caucus et toutes les caméras sont dirigées vers le petit État du centre du pays, qui n'intéresse pas grand monde le reste du temps. Pourtant, il y aura un regain d'intérêt le 8 novembre, car cet État agricole balance entre Trump et Clinton et que son choix est loin d'être arrêté. Trump pourra vérifier si le vote avait été «usurpé» par Ted Cruz ou s'il a le soutien des conservateurs dans cette région. Pour cela, il devra rester sur des positions très conservatrices. Cela va être difficile pour lui et plus aisé pour Clinton, qui apparaît donc mieux placée pour l'emporter. Projection : Clinton 233 - Trump 200.

• En Caroline du Nord et en Virginie, la situation est un peu plus dégagée pour Hillary Clinton : la démographie a beaucoup changé, avec une augmentation du poids des minorités, surtout les Afro-Américains et les Hispaniques. Il y a tout de même 22 délégués en jeu entre ces deux États, et ils pourraient bien échapper à Donald Trump. Projection : Clinton 261 - Trump 200.

• Dans le Wisconsin (10 délégués), l'Ohio (18 délégués) et la Pennsylvanie (20 délégués), les électeurs sont partagés. L'avantage va apparemment à Hillary Clinton, car ils sont plutôt modérés. Toutefois, le choix de celui ou celle qui sera dans le «ticket», à savoir qui sera candidat pour le poste de vice-président, sera ici très important. Trump aurait intérêt à choisir quelqu'un du centre, comme Marco Rubio et, encore mieux, John Kasich, pour espérer l'emporter. Il pourrait alors gagner ces 3 États qui votent volontiers républicain, et on peut ainsi les lui attribuer. Projection : Clinton 261 - Trump 248.

• C'est à peu près la même chose en Floride (29 délégués), sauf que l'État a voté démocrate pour élire Obama en 2008 et 2012, mais qu'il vote plutôt républicain en général. Le vote hispanique pourrait bien faire la différence. Comment Trump pourra-t-il les reconquérir et remporter la mise ? Il n'est donc pas impossible que, une fois de plus, cet État fasse pencher la balance à la fin. Le vainqueur sera président(e).

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Carte : Les délégués du collège électoral - swing states. Projection par Jean-Eric Branaa, mars 2016.

La claque, 381 - 157 ?

Chacun a cependant compris qu'avec 7 États fortement disputés, l'équation peut donner de multiples combinaisons. Aucun vainqueur ne se détache donc avec certitude, et aucun n'est assurément perdant non plus.

Cependant, la balance penche plus fortement en faveur d'Hillary Clinton, car le vote national - que nous n'avons pas retenu précédemment - représente une dynamique dont il est difficile de ne pas tenir compte.

Mais, là encore, à ce mouvement répond une règle qui veut qu'aucun parti n'ait gagné trois fois de suite l'élection présidentielle, et cela est défavorable à Hillary Clinton. L'observation que le pays vote plus majoritairement républicain depuis des années et que le parti de Lincoln et Reagan détient davantage de relais, puisqu'il a plus de gouverneurs et contrôle davantage d'assemblée d'Etats, n'incite pas non plus à penser que Trump va perdre.

Un point est toutefois très problématique pour Donald Trump, car en plus des sept swing states énumérés plus hauts, 5 autres États - qui sont tous républicains - pourraient également être très disputés. Il s'agit de l'Arizona, du Colorado, du Kansas, de l'Arkansas et de la Géorgie. La perte d'un seul de ces États rendrait son accession au pouvoir très improbable.

Si la plupart des projections donnent donc un résultat équilibré, il ne faut pas exclure que les outrances de Donald Trump - et surtout l'explosion du parti, qu'il aura entraîné par une campagne compliquée et dure - ne servent au final tous ces États sur un plateau à Hillary Clinton, car une partie de ses électeurs naturels ne seraient alors pas au rendez-vous du scrutin. On peut alors imaginer des projections assez incroyables qui donneraient une victoire particulièrement sévère en faveur de la candidate démocrate, la plus extrême étant la perte pour Trump de tous ces États indécis que nous avons passés en revue. Le score serait alors de 381 à 157.

On voit surtout que tout est possible, dans un sens comme dans l'autre. Et on a la réponse à la question qui nous taraude : oui, Donald Trump peut être élu président des États-Unis. Ce sont les électeurs américains qui en décideront le 8 novembre, si rien n'a grippé la campagne d'ici là.

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Carte : Les délégués du collège électoral - si Clinton l'emporte dans les swing states. Projection par Jean-Eric Branaa, mars 2016.

Si Donald Trump ne gagne pas, alors la dureté de cette campagne laissera des traces profondes. Après sa défaite cuisante en 2012, on faisait la nécrologie du Parti républicain. Il n'y aura peut-être plus que l'option de la crémation cette fois-ci. En attendant une renaissance qui sera, quelles que soient les options choisies par le parti, très longue à venir.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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Jean-Eric Branaa: Qui veut la peau du Parti républicain ? L'incroyable Donald Trump, éditions de Passy, 2016.

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