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La nouvelle a secoué la planète: le meeting de Donald Trump à Chicago a dû être annulé en raison de l'opposition de militants du groupe Black Lives Matter.
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La nouvelle a secoué la planète: le meeting de Donald Trump à Chicago a dû être annulé en raison de l'opposition de militants du groupe Black Lives Matter. Aussitôt, les envoyés spéciaux ont été dépêchés dans la mythique ville de l'Illinois, l'État où Barack Obama avait été élu sénateur, celui où est née Hillary Clinton! Il faut dire que la quasi-totalité de la planète pense qu'il a bien cherché ce qui lui arrive et a donc de quoi se réjouir: à force de provocations, de discours outranciers, de rejet des uns ou des autres, on ne pouvait que s'attendre à ce qu'il se passe quelque chose à un moment ou à un autre. Cette annulation d'un de ses meetings a donc un petit goût de revanche pour tous ceux qui ont prédit sa chute pendant huit mois et n'ont jamais rien vu venir.

Le mouvement noir américain qui milite pour la fin des violences policières serait à l'origine de cet événement de campagne, un incident qui donne cette impression de guerre civile aux États-Unis. Contrairement à l'effet recherché, ce chaos pourrait pourtant se révéler contre-productif, car Donald Trump s'est aussitôt positionné en victime, réclamant une protection policière, stigmatisant la violence «qui vient de supporters de Bernie Sanders», selon lui; «notre copain communiste», a-t-il spécifié. Le seul résultat tangible pourrait bien être une radicalisation encore plus grande de ses admirateurs et un rejet de cette violence par la plus grande majorité des Américains. Mais qui les électeurs vont-ils alors blâmer? Ceux qui s'introduisent dans les meetings et mettent à mal le 1er amendement, comme le fait remarquer le milliardaire, ou celui qui va jusqu'à payer les frais de justice de ses supporters «injustement poursuivis»?

Rien de nouveau sous le soleil de Chicago

En réalité, mis à part l'annulation pour raisons de sécurité, il n'y a vraiment rien de nouveau avec la présence d'opposants: il en est ainsi depuis les premiers meetings. Qu'ils soient 1 ou 2 ou 30 ne change pas grand-chose. On a largement vu et revu ces images d'opposants expulsés, reconduits à la sortie ou refusés à l'entrée. J'évoquais dans une autre chronique (Donald Trump vs. Flower Power) comment Rod était empêché d'entrer dans les meetings de Trump, à qui il ne voulait pourtant que remettre des fleurs. Quelques jours plus tard, c'est un journaliste sympathisant de Trump qui lui demandait de quitter le pays. Rien de bien grave.

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"Rod Webber". Photo par Jean-Eric Branaa, février 2016.

Toutefois, les opposants plus organisés, ou plus militants, sont également présents depuis longtemps dans le sillage de Donald Trump: à Vodolsta, en Georgie, 30 étudiants noirs ont été priés de quitter la salle. À Orlando, le groupe de manifestants était plus important que celui de Chicago, mais ils étaient plus calmes. Beaucoup d'entre eux portaient des pancartes favorables à Bernie Sanders. À Fayetteville, bien que les manifestants furent moins nombreux, il n'y eut pas une minute sans l'éjection de l'un d'entre eux, y compris un aveugle et une femme enceinte. Il n'est pas rare non plus d'assister à des affrontements avec la police, ou entre supporters de Donald Trump et opposants, comme la presse locale ou nationale le rapporte régulièrement.

Ces opposants ne réalisent pas qu'ils font partie du show de Donald Trump: lorsqu'ils se font «virer», l'orateur stoppe son discours et les projecteurs se tournent vers ces éjections. Toute la salle hurle, scande des slogans, s'emballe et se soude encore davantage sur le thème de «tous sont contre nous». C'est généralement à ce moment-là que Le Donald peut entamer son couplet contre les élites, contre les politiciens, contre tous ceux qui manipulent les foules et se servent des Américains pour leur propre promotion. Lors de l'agression avortée contre lui à Dayton, dans l'Ohio, il en a même rajouté une couche en prétendant que l'homme que son service de sécurité venait de plaquer au sol était proche de Daech. Autant jouer sur les peurs et attirer ainsi la sympathie. La théorie du complot fait recette en ce moment.

Un combat droite-gauche?

Le «moi contre tous» a bien fonctionné. Tout d'abord parce que les partis politiques ne sont plus très populaires et ne sont plus en situation de contrôler quoi que ce soit dans ces primaires. C'est ce que confirme Scott Sherman: «J'ai décidé de ne plus être inscrit comme Républicain et j'apparais désormais comme "indépendant" sur les listes», me dit-il lors de sa participation au vote anticipé, dans le Tennessee. Il m'a invité à une soirée, quelques jours plus tard, avec des amis appartenant à des bords différents: Greg Freeze et son fils Evan, le père républicain modéré -tendance Bush, Rubio par dépit- et le fils «pro-Bernie», Susan Roberts, «Hillary convaincue», Wendy Sherman et sa fille, qui ne savent pas trop, mais oscillent entre républicaines modérées et un soutien «de femme» à Hillary Clinton.

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"Scott, Heather, Jasmin, Wendy, Evan, Greg et Susan, pour une 'soirée politique' détendue." Photo: Jean-Eric Branaa, février 2016

Evan est major à Belmont, une université chrétienne de Nashville, où il étudie dans ce qui est l'équivalent d'une de nos écoles de commerce. Sa passion pour Bernie Sanders est forte et il est capable de réciter des pans entiers de sa rhétorique de campagne: «il ne faut plus que 99% des gens soient incapables d'acheter ou de vivre décemment alors que 1% des plus riches confisquent toutes les richesses du pays», explique-t-il. Un vrai discours d'extrême gauche. Cet étudiant de bon niveau fait cependant comme la plupart des pro-Bernie que j'ai rencontrés dans ce périple, qui connaissent bien l'argumentaire de campagne, mais ne peuvent pas avancer de proposition de gouvernement de leur candidat préféré. Ils forment une gauche romantique, basée sur de bons sentiments et une générosité certaine. Ils adorent le «Imagine» de John Lennon, mais cela n'a rien à voir avec une lutte des classes et une remise en cause profonde du système. D'ailleurs, Greg espère bien devenir très riche, un jour, l'affirme sans détour, et souligne sans sourciller: «Personnellement cela ne me gêne pas de redonner 1 million si j'en gagne 4.»

La discussion politique de la soirée est posée et personne ne hausse le ton. Greg trouve les arguments d'Evan «intéressants» et le lui dit. Mais il est gêné par l'idée que le gouvernement prenne son argent pour le distribuer: «c'est une question morale et je veux pouvoir décider de qui est aidé avec cet argent, et qui ne l'est pas, aussi. Car ce ne serait pas bien que cela soit utilisé contre ce qui fait mes convictions, pour un avortement par exemple.» Les partis politiques au niveau fédéral se sont en effet concentrés sur des questions de société très clivantes, comme la question de l'avortement, du mariage gay ou du droit à posséder une arme.

Ces questions ont longtemps servi à ramener les Républicains vers leur base, sans faire les efforts qui étaient pourtant nécessaires pour proposer quelque chose de nouveau ou élargir cette base à des électeurs plus modérés. Le discours se résume donc souvent à cette base de la part des électeurs.

Pourquoi Trump?

La conversation s'est poursuivie et, comme c'est le cas quasiment à chaque fois, dès qu'on parle politique américaine, elle s'est focalisée sur Donald Trump. Tous sont tombés d'accord sur le fait qu'il dit des choses que personne d'autre ne dit. «Sa façon de parler est différente», «il est franc», «on le comprend», «ils mentent tous à son propos», «mais il sait bien se défendre». Tous sont tombés d'accord sur la mauvaise santé du parti républicain. «Je ne veux pas de religion dans ma politique», a dit Susan. Greg regrette Bush et se montre très réservé sur Rubio «parce qu'il ne dit pas la vérité.»

Le programme de Trump semble clair pour tous, du moins pour ce qui est du mur et en matière d'immigration. Pour le reste c'est un peu plus flou, mais «il est généreux, car s'il est opposé au planning familial, il dit quand même qu'il faut prendre en charge les femmes qui sont en difficulté, avec une grossesse non désirée», a dit un participant.

Au final, le personnage Trump semble acceptable pour tous ou, s'il ne l'est pas trop, les raisons ne sont pas si claires. «Il est un peu comme Ronald Reagan», pense Scott. Aucun d'entre eux ne pense qu'il est réellement raciste. «Ce qu'il dit est souvent mis en avant pour souligner qu'il y a un problème», conclut Greg. Jasmin finit par dire qu'elle votera certainement Hillary. Au moins les femmes auront leur chance: Susan est d'accord et semble plus intéressée. La conversation passe sur cet autre sujet.

Beaucoup pensent que si Donald Trump devient le nouveau président des États-Unis, il sera entouré d'une bonne équipe de conseillers. C'est ce que le pays a connu avec Ronald Reagan qui semblait bien inexpérimenté lorsqu'il est entré à la Maison-Blanche. On lui prédisait un mandat catastrophique, mais Reagan a su s'entourer et il est devenu un des présidents les plus appréciés du pays. Le style de Trump et ses outrances sont donc des épiphénomènes qui méritent d'être relativisés. Tout le reste ne serait qu'exagération de journalistes.

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"Greg et Evan", Photo: Jean-Eric Branaa, février 2016

Make America Hate Again

La comparaison de Trump avec Hitler apparait ridicule à la plupart des Américains. C'est une technique de campagne utilisée par des rivaux de Trump, mais il n'y a pas de réels fondements. Certes, le style du candidat milliardaire n'est pas à la hauteur d'un débat présidentiel aux yeux de la plupart des gens: il est provocateur et irrespectueux, alors qu'on attend des candidats de la sobriété et de la réserve. Mais cela n'a rien à voir avec ce qu'a vécu le monde avec le IIIe Reich.

Trump joue avec les mots et dit des choses sans les dire vraiment: à propos de l'immigration des musulmans, il a estimé qu'il faut l'arrêter afin de permettre aux services de renseignement de déterminer s'il y a une menace terroriste en sol américain. Trump a dit qu'il rouvrirait l'immigration quand le pays sera sûr qu'il n'y a pas de menaces terroristes imminentes.

Ses idées radicales trouvent un écho dans l'histoire américaine et beaucoup ne savent plus où sont leurs repères: certains puisent même dans ses exemples pour justifier l'injustifiable: la fermeture des frontières aux juifs en 39-45 qui a conduit à leur retour en Europe et vers les camps, l'enfermement des populations asiatiques dans des camps pendant la même période, les lois anti-chinoises à la fin du 19e et début du 20e, les lois anti-étrangers, les quotas d'immigration. L'Amérique n'a pas toujours été accueillante et généreuse. C'est aussi ce qui a permis à ce pays de se construire et de devenir puissant. Beaucoup en sont convaincus. Et, dans ces États du Sud, un peu plus encore qu'ailleurs.

«Il n'y a pas de racisme pour un Américain à vouloir fermer ses frontières. Il s'agit de protection», pense Greg. Evan m'explique qu'il faut rapatrier l'argent «distribué à l'étranger pour réparer les routes américaines et faire des ponts, construire des écoles.» C'est le programme de Bernie Sanders, pas celui de Trump. Tout se mélange un peu.

Au final, on peut douter que -comme on le lit un peu partout depuis Chicago-, «Trump aura du mal à tenir ses prochains meetings parce que l'Amérique est divisée». Encore une fois on annonce sa chute et il est très possible que ce soit le contraire qui se produise. Encore une fois. Comme si les concurrents de Trump se trompaient de combat et oubliaient qu'ils doivent parler aux Américains de leur vie au quotidien, pas de mener des combats de coqs. Car sinon Donald Trump pourrait donner l'illusion d'être le seul à entendre que les Américains sont un peu tous d'accord sur l'idée qu'il faut faire quelque chose pour eux. Surtout ceux des classes moyennes ou inférieures. La division est difficile à trouver. Et Donald Trump continue à marquer des points.

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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