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L'État-gendarme

En matière de fouilles, perquisitions et saisies d'ordinateurs, c'est présentement la curée pour les agences d'application de la loi. Celles-ci jouissent d'un accès illimité aux données informatiques.
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Coulé dans le bronze de la Constitution en 1982, le texte de la Charte canadienne des droits et libertés est immuable. La délicate fonction d'interprétation incombe aux juges.

Après une étape d'effervescence, marquée par une approche libérale des droits et libertés fondamentaux, nous connaissons une période d'ajustement où le balancier de la sécurité publique pèse lourdement. Après trente ans, où en sommes-nous et que nous réserve l'avenir?

La loi et l'ordre

En matière pénale, l'actuel gouvernement fédéral préconise une action musclée. Alors que les pouvoirs d'enquête des agents de l'État s'élargissent et pullulent, la répression des contrevenants s'alourdit. À n'en point douter, l'État-gendarme renforce sa mise.

L'utilisation, par salves successives, de l'arsenal répressif n'est jamais l'apanage d'une politique globale cohérente. Devant la grogne de certains segments de l'opinion publique et des sautes d'humeur des élus, la rationalité du droit pénal canadien se disloque. Une banalisation des droits et libertés fondamentaux s'ensuit.

Dans l'air du temps, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés (C-10) agit en trompe-l'œil. Source de méfiance et de tension sociale, le climat d'insécurité est récupéré par des initiatives politiciennes populistes. La peur nourrit la peur. Celle-ci appelle à renforcer l'arsenal répressif.

La myopie du gouvernement conservateur envers les causes sociales de la criminalité et sa méfiance envers l'autorité judiciaire favorisent un traitement formaté des contrevenants. L'automatisme des sanctions rogne le principe fondamental de l'individualisation des peines.

Assimilées bêtement aux «droits des criminels», les garanties juridiques de la Charte canadienne sont grossièrement opposées aux «droits des victimes». Bancale, cette équation est trompeuse.

Invasion de la vie privée

Dans un proche avenir, la haute magistrature devra redéfinir le périmètre de protection de la vie privée, un droit garanti par la Charte canadienne. Plusieurs méthodes d'enquête reflètent le souci d'accroître efficacement la répression de la criminalité. Du coup, les nouvelles technologies offrent aux agents de l'État des moyens de s'immiscer davantage dans la sphère d'intimité des citoyens.

Le droit à la vie privée n'a pas la vocation d'assurer la préséance de l'individu sur la collectivité. Cependant, il protège l'autonomie de tous les citoyens contre la curiosité de l'État. Loin de contredire l'ordre public, ce droit fondamental est une valeur sociale.

En raison de leur volatilité, les données informatiques peuvent aisément être altérées. Avant d'y avoir accès, l'État veut en assurer l'intégrité. En effet, la conservation des données par des fournisseurs de services internet constitue un moyen d'enquête efficace pour combattre la criminalité informatique et débusquer les infractions commises par Internet.

Bientôt autorisé par la loi, «l'accès légal» est considéré comme une technique d'enquête. Ça suppose l'interception de communications privées par branchement clandestin et la saisie d'information.

Dans la plupart des cas d'intrusion gouvernementale dans la sphère privée des citoyens (par exemple, les renseignements personnels), les agents étatiques doivent obtenir une autorisation judiciaire fondée sur l'existence de motifs raisonnables et probables de croire qu'une fouille, saisie ou perquisition permettra de recueillir des éléments de preuve d'une infraction.

Lorsque l'attente reconnue en matière de respect de la vie privée est moindre (par exemple, les renseignements commerciaux), l'intrusion gouvernementale peut être justifiée sur la base de l'existence de soupçons raisonnables. En l'absence d'une expectative raisonnable de respect à la vie privée, aucune justification particulière n'est requise.

L'aménagement juridique de l'accès légal risque d'être contesté devant les tribunaux. En effet, le gouvernement souhaite faciliter la collecte d'une panoplie de données personnelles en proposant le plus bas standard juridique, soit le critère des soupçons raisonnables.

En matière de fouilles, perquisitions et saisies d'ordinateurs, c'est présentement la curée pour les agences d'application de la loi. Celles-ci jouissent d'un accès illimité aux données informatiques. À cet égard, il sied de rappeler le propos du juge Fish de la Cour suprême dans l'affaire Morelli : «Il est difficile d'imaginer une perquisition, une fouille et une saisie plus envahissantes et d'une plus grande ampleur ou plus attentatoires à la vie privée que celles d'un ordinateur personnel».

Nos ordinateurs, d'ajouter le juge Fish, contiennent souvent notre correspondance la plus intime. Ils renferment les détails de notre situation financière, médicale et personnelle. Ils révèlent même nos intérêts particuliers, préférences et propensions, enregistrant dans l'historique et la mémoire cache tout ce que nous recherchons, lisons, regardons ou écoutons sur Internet.

« On peut donc, d'opiner le juge Fish, difficilement concevoir une violation de l'art. 8 ayant des répercussions plus graves sur le droit à la protection de la vie privée que la Charte garantit...» Dans le contexte de l'accès légal, le législateur peut-il autoriser l'intrusion étatique dans la sphère privée en recourant au plus bas standard de protection de la vie privée des citoyens?

Un sérieux doute existe.

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