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Nouvelle question de fonds

Pour diminuer un endettement qu'il juge excessif, le gouvernement a opté pour une politique de déficit zéro et la mise sur pied du Fonds des générations. La première prive le gouvernement d'un instrument majeur en période de récession, et le second comporte des risques financiers élevés.
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Un billet précédent a abordé la question de la rentabilité du Fonds des générations et celle du bien-fondé de reporter dans le futur le remboursement de la dette publique. Les lignes qui suivent portent sur le manque de transparence des états financiers du gouvernement en matière de budget et d'endettement.

Le gouvernement est de plus en plus critiqué pour utiliser une définition de l'équilibre budgétaire qui équivaut en pratique à réaliser un surplus qu'il verse dans le Fonds des générations. À première vue, cette critique est justifiée. Prétendre comme c'est le cas dans le budget 2015-2016 qu'un surplus de 1,7 milliard $ correspond à l'équilibre budgétaire ne peut que générer de la confusion chez les citoyens.

En réalité, il est possible de considérer qu'il n'y a pas de véritable surplus budgétaire et que les versements au Fonds des générations sont tout simplement le remboursement du capital sur les emprunts contractés. Alors que la comptabilité gouvernementale fait déjà état du paiement des intérêts sur la dette, le Fonds des générations vise le remboursement de la dette elle-même. Ce n'est donc pas une hérésie comptable que d'inscrire les versements au Fonds dans l'état des revenus et des dépenses[1]. Il serait cependant plus transparent de plutôt inscrire ces sommes comme un remboursement du capital emprunté au cours des années passées.

En fait, en instaurant le Fonds, le gouvernement rompait avec une vieille pratique des gouvernements consistant à très peu rembourser leurs dettes, ou à ne le faire que très lentement. À cet égard, l'exemple du Royaume-Uni est particulièrement éloquent. Récemment, plus de 100 ans après le début de la Première Guerre mondiale, le gouvernement britannique a annoncé qu'il rembourserait l'intégralité de la dette de 1,9 milliard de livres contractée pour financer son effort de guerre. Chose encore plus étonnante, le Royaume-Uni a également déclaré qu'il rembourserait des obligations datant du XVIIIe siècle, soit des dettes contractées lors de l'éclatement en 1720 de la bulle spéculative dite des mers du Sud[2].

Dans Le capital au XXIème siècle, Thomas Piketty rappelle que depuis longtemps les gouvernements occidentaux ont préféré s'en remettre à l'inflation pour faire diminuer la valeur réelle des emprunts contractés auprès des épargnants nationaux. Cela équivalait en pratique à une spoliation mais, victimes de l'illusion monétaire, les épargnants en étaient plus ou moins conscients. La situation a beaucoup changé maintenant que la déflation menace davantage que l'inflation. Ce sont les gouvernements qui risquent de perdre au change et de se retrouver avec une dette accumulée qui croît en valeur réelle. C'est peut-être pourquoi ils ont décidé de ne plus se limiter à payer les intérêts sur la dette mais de procéder également au remboursent du capital emprunté. Comme le montre bien le tableau 1 du billet précédent ce changement de politique met le contribuable à contribution plutôt que l'épargnant.

En politique keynésienne, le gouvernement doit faire des déficits et donc s'endetter pour stimuler ou relancer la croissance économique, et rembourser les dettes quand l'économie progresse normalement. Sauf qu'une politique keynésienne prévoit que les déficits et les surplus s'équilibrent à l'intérieur d'un même cycle conjoncturel. C'est loin d'être le cas ici, puisque le Fonds vise à rembourser des déficits survenus sur plusieurs décennies. On en arrive ainsi à une pratique antikeynésienne puisque des budgets de «surplus» (ou d'«équilibre» selon que l'on utilise ou non le vocabulaire du gouvernement) année après année équivalent à réduire la demande globale et donc à augmenter les risques de récession et de déflation. Dans le cas du Québec, ce risque est augmenté puisque le gouvernement fédéral poursuit une politique semblable.

Pour diminuer un endettement qu'il juge excessif, le gouvernement a opté pour une politique de déficit zéro et la mise sur pied du Fonds des générations. Le déficit zéro prive le gouvernement d'un instrument majeur de politique publique en période de récession, et le Fonds des générations comporte des risques financiers élevés pour un rendement moyen limité. Il serait préférable que le gouvernement du Québec se contente de rembourser les emprunts selon des échéances correspondant au motif de l'emprunt et que ces échéances soient clairement indiquées dans ses documents budgétaires. Par exemple, un emprunt pour financer des infrastructures pourrait être remboursé sur une période de 30 ou 40 années et un déficit pour la relance conjoncturelle sur une période de 4 ou 5 années. Les politiques publiques y gagneraient en transparence et les contribuables seraient mieux assurés d'une gestion responsable des sommes confiées au gouvernement.

Bref, il aurait été souhaitable que le dernier Budget précise sur quelle période le gouvernement entend rembourser les 9,9 milliards $ qu'il ajoutera à sa dette en 2015-2016.

[1] À cette nuance près que le remboursement ne se fera que dans un avenir non précisé

[2] Agence France-Presse, Londres paye ses dettes, Le Devoir, 4 décembre 2014.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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