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La renégociation de l'ALÉNA: quelques enjeux

Les économies québécoise et canadienne ont, depuis toujours, reposé fortement sur le commerce international.
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Compte tenu des nombreux écueils qui guettent les négociateurs, un échec des pourparlers est tout à fait possible.
Chris Wattie / Reuters
Compte tenu des nombreux écueils qui guettent les négociateurs, un échec des pourparlers est tout à fait possible.

Le Canada, les États-Unis et le Mexique ont entamé la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain, mieux connu sous l'acronyme d'ALÉNA. Entré en vigueur en 1994, l'ALÉNA résultait de la volonté de renforcer l'économie nord-américaine par une intégration qui lui permettrait d'augmenter sa compétitivité face au bloc européen et au Japon, deux entités économiques alors très dynamiques.

Le Québec et le Canada dans l'économie nord-américaine

Les économies québécoise et canadienne ont, depuis toujours, reposé fortement sur le commerce international. De façon directe ou indirecte, les exportations soutiendraient quelque 3 millions d'emplois au Canada. En ce qui a trait au Québec, les exportations internationales de biens et de services ont atteint 109 milliards $ en 2016, soit 27,6 % du PIB (393 milliards $). Les États-Unis accaparaient 71,1 % de ces exportations en ce qui concerne les biens, et le Mexique 2,1 %. Le Québec importe sensiblement moins des États-Unis qu'il n'y exporte de sorte que ses échanges de biens avec ce grand voisin se soldaient par un surplus de 26,5 milliards $. Cependant, avec le Mexique, il enregistrait un déficit de 2,4 milliards $.

Un succès relatif

On tient généralement pour acquis que les exportations du Québec et du Canada vers les États-Unis ont grandement augmenté grâce à l'accord. C'est possible, mais difficile à démontrer étant donné qu'il est impossible de savoir ce qui se serait passé autrement et qu'il est difficile d'isoler l'impact de l'Accord par rapport à celui d'autres variables, dont le taux de change. Présentement, environ 30 % du commerce américain de biens se fait avec le Canada et le Mexique, soit exactement la même proportion qu'en 1994. Manifestement, la mondialisation a joué tout autant et peut-être même plus que l'ALÉNA dans l'accroissement du commerce extérieur des États-Unis.

L'effet le plus indiscutable de l'accord est d'avoir favorisé l'intégration et la rationalisation de la production en Amérique du Nord. Sans l'accord, la concurrence de la Chine et des autres économies émergentes aurait été ressentie encore plus durement par les entreprises et les travailleurs des trois pays signataires. Cette intégration apparaît clairement dans la nature des biens échangés par le Québec avec les partenaires américain et mexicain. Ainsi, en 2016, les avions, les pièces d'avion et les camions comptaient à la fois parmi les principaux produits d'exportation et d'importation en direction ou en provenance des États-Unis. Même constat avec le Mexique en ce qui a trait aux avions et aux pièces d'avion. Bref, on est loin du modèle classique de Ricardo où les pays s'échangent des produits tout à fait différents, tels du drap de coton contre du porto. Aujourd'hui, une large partie du commerce se fait à l'intérieur des chaines de valeur ajoutée de grandes entreprises comme Ford ou Bombardier et les mêmes biens peuvent traverser la frontière dans les deux sens à différentes étapes du processus de fabrication.

À défaut de migrer vers le sud, une bonne partie du secteur manufacturier canadien aurait vraisemblablement disparu de toute façon devant la concurrence irrésistible de la Chine et d'autres pays à bas salaires.

Au crédit de l'accord, il faut ajouter la possibilité pour les consommateurs, les entreprises et les gouvernements de se procurer différents biens et services à meilleur prix. Mais ces gains ont été accompagnés par la perte pour le Canada d'une partie de son industrie manufacturière, celle-ci ayant décidé de déménager au sud des États-Unis ou au Mexique pour profiter d'une main-d'œuvre moins coûteuse ou d'exigences réglementaires moins contraignantes. Mais, même là, il n'est pas facile de déterminer la part exacte de responsabilité de l'ALÉNA dans la désindustrialisation du Canada. À défaut de migrer vers le sud, une bonne partie du secteur manufacturier canadien aurait vraisemblablement disparu de toute façon devant la concurrence irrésistible de la Chine et d'autres pays à bas salaires.

Par ailleurs, l'ALÉNA n'a nullement empêché les États-Unis de conserver des entraves importantes au commerce transfrontalier par le recours aux droits compensateurs, notamment à l'encontre du bois d'œuvre, ou par l'obligation faite aux entreprises de localiser une partie de leur production aux États-Unis ( le Buy American Act).

Néanmoins, les décisions en matière de droits compensateurs et antidumping sont soumises dans le cadre du chapitre 19 de l'ALÉNA à un mécanisme d'arbitrage indépendant qui a fait en sorte que les exportations canadiennes sont moins exposées à ces mesures protectionnistes de l'Administration américaine que ce ne serait le cas autrement. Ainsi, présentement 1 % seulement des importations américaines en provenance du Canada et du Mexique sont soumises à des droits compensateurs comparativement à 9 % pour la Chine et à 3% pour le reste du monde.

Ce qui est sur la table

Même si elles n'ont pas été souhaitées par le Canada, les négociations peuvent s'avérer utiles pour ajuster les dispositions de l'accord en fonction des transformations économiques majeures survenues au cours du dernier quart de siècle.

Ainsi, le commerce électronique, omniprésent aujourd'hui, était pratiquement inexistant en 1994 alors qu'il n'y avait que 600 sites accessibles au public[2]. Depuis, le développement extraordinaire de l'économie numérique a fait en sorte que les consommateurs peuvent acheter des produits, sans intermédiaires, partout dans le monde, et, réciproquement, que l'exportation est à la portée de toute entreprise, même les plus petites. Il en résulte des difficultés d'application de la fiscalité et de la réglementation ce qui a pour effet de fausser les règles du jeu au profit de grandes entreprises américaines telles Neflix, AirBnb ou Uber.

Le Canada souhaite que le nouvel accord protège mieux les États signataires de la concurrence pouvant résulter de normes laxistes ou inexistantes en matière de travail ou d'environnement.

Le Canada souhaite que le nouvel accord protège mieux les États signataires de la concurrence pouvant résulter de normes laxistes ou inexistantes en matière de travail ou d'environnement. Un peu dans la même veine, il devrait aussi, logiquement, demander la suppression du chapitre 11 de l'accord actuel qui permet aux entreprises de poursuivre les gouvernements pour avoir pris des décisions ou adopté règlementations qui nuisent aux intérêts de leurs actionnaires. Le Canada a souvent été mis en cause en vertu de cette disposition qui est dénoncée par plusieurs comme accordant une préséance indue des intérêts privés sur le bien public[3]. Le Canada a aussi signalé son désir d'un meilleur accès aux contrats publics des États et des municipalités américaines.

En contrepartie de ses demandes, le Canada risque de se trouver sur la défensive dans le domaine des médias, de la culture et des services de même que pour la gestion de l'offre en matière de production agricole et la question des règles d'origine dans le secteur de l'automobile. Les représentants américains visent aussi les télécommunications et les services financiers. Le Canada pourrait aussi devoir faire face au désir des États-Unis de ne pas reconduire le mécanisme indépendant de règlement des différends (chapitre 19) qui n'a pu être inclus qu'à l'arraché dans l'accord actuel.

Faut-il redouter un échec ?

Compte tenu des nombreux écueils qui guettent les négociateurs, un échec des pourparlers est tout à fait possible. Les trois pays pourront alors convenir de continuer de vivre avec l'accord existant. Ils pourront aussi décider d'y mettre un terme. C'est la menace qu'a brandie le président Trump à plusieurs reprises. Cette éventualité est cependant peu probable puisque toute volonté de répudier l'accord fera face à une forte opposition de la part de la grande entreprise ainsi que des représentants politiques et de la population des nombreux États américains qui dépendent du commerce transfrontalier.

Et si malgré tout, le président réussissait à abolir l'accord, serait-ce un désastre ? Les échanges entre les trois pays se feraient alors selon les règles générales définies par les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s'inspirent grandement du contenu de l'ALÉNA (ex. : services, propriété intellectuelle, etc.). Non seulement ces règles protègent-elles contre les mesures protectionnistes injustifiables, mais elles permettent aux pays membres de profiter des tarifs douaniers les plus avantageux. Dans le cas des États-Unis, ces tarifs sont généralement inférieurs à 5 % et ils auraient donc, sur les exportations canadiennes vers ce pays, un effet moins important que celui des variations du taux de change. Ce dernier a augmenté de 10 % au cours de la dernière année.

En fait, étant donné le faible niveau actuel des tarifs douaniers, des facteurs tels la proximité du marché, la disponibilité de services spécialisés et de main-d'œuvre, les exigences réglementaires, les infrastructures et la fiscalité, entre autres, influencent davantage la décision des entreprises de localiser leurs installations à un endroit plutôt qu'à un autre. À ces facteurs, il faut ajouter, dans le contexte nord-américain, le fait que les structures industrielles mises en place sous les auspices de l'ALÉNA au cours du dernier quart de siècle répondaient à une logique de rationalisation et d'intégration qui tiendrait toujours largement même après l'abolition éventuelle de l'accord.

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