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La libération totale, une philosophie pour le XXIe siècle

Il y a près de 10 000 ans, alors que l'humanité a domestiqué les plantes et s'est mise à exploiter les animaux, l'oppression humaine apparue sous plusieurs formes.
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On cherche à comprendre comment l'oppression animale et l'oppression humaine sont liées, et comment celles-ci engendrent les problèmes environnementaux.
Jean-Christophe Pagé
On cherche à comprendre comment l'oppression animale et l'oppression humaine sont liées, et comment celles-ci engendrent les problèmes environnementaux.

Dans ce billet, je vous propose une entrevue (en deux parties) avec mon ami Frédérick Fortier sur son projet de mémoire qu'il a rédigé pour sa maîtrise en philosophie à l'Université de Sherbrooke. La thématique de «libération totale» a attiré beaucoup de mon intérêt ces dernières années et je tenais à lire ce qu'il a réussi à synthétiser (et retravailler par moments) au cours de ses recherches universitaires. Voici donc quelques questions que j'ai formulées dans le but de présenter à mon lectorat ce sujet fort stimulant.

Comment définirais-tu les grandes lignes de la libération totale?

La libération totale est à la fois une philosophie politique et un mode d'action cherchant à révolutionner nos sociétés se trouvant dans une crise profonde. Tirant ses origines dans des philosophies et mouvements tels que la libération animale, l'écoféminisme, l'écologie radicale et l'anarchisme, elle se veut une nouvelle perspective philosophique et politique.

Elle conçoit les libérations humaine, animale et de la Terre comme étant interreliées, en une seule et même finalité. On cherche aussi à comprendre comment l'oppression animale et l'oppression humaine sont liées, et comment celles-ci engendrent les problèmes environnementaux.

Par libération humaine, il faut comprendre l'émancipation de tous les groupes humains sans exception et le rejet de la domination hiérarchique en général. Par libération animale, il s'agit de la lutte contre l'asservissement des autres animaux étant sous le joug humain depuis des millénaires. J'ai cherché à nuancer la signification de la «libération de la Terre» que des auteurs associent à l'écologie profonde. La libération de la Terre ne réfère pas à un esclavage de la planète comme si celle-ci en était consciente, mais bien à la colonisation humaine de la planète et à sa destruction.

Les liens faits entre ces trois grandes questions peuvent ensuite faciliter la construction de ponts entre différents mouvements sociaux pour la démocratie et l'inclusion, le véganisme et la sauvegarde de la planète, la justice sociale et les droits des animaux. Un important travail théorique a été entamé depuis près de 15 ans et s'est avéré fructueux. Une compréhension systémique des liens entre le spécisme, le sexisme, le racisme, le colonialisme, le capitalisme et l'écocide planétaire peut nous aider à créer cette unité des mouvements sociaux pour une transformation globale des sociétés humaines.

Pourquoi considères-tu que cette perspective politique est importante et doit être connue?

J'ai intitulé mon mémoire «De la nécessité de la libération totale», car je crois qu'il est nécessaire de faire connaître le concept de libération totale et de promouvoir cette idée au sein de la gauche politique. La gravité de la crise marquant notre époque nous force à réfléchir à de nouvelles idées et à de nouvelles pratiques, puisque l'humanité est à un moment crucial de son histoire. Nous savons clairement que nous flirtons avec le désastre, que ça doit cesser immédiatement, mais la situation continue de s'aggraver très rapidement.

Selon la WWF, depuis 40 ans, 58% des populations animales vertébrées ont disparu du fait de l'activité humaine. À cela s'ajoutent la pollution de l'eau, de l'air, de la terre, la destruction des forêts tropicales, des récifs coralliens, la désertification et les changements climatiques. Une crise humanitaire se déroule déjà avec des conflits pour les ressources, des famines, des réfugiés climatiques (des centaines de millions bientôt) et ainsi de suite. L'année dernière, plus de 15 000 scientifiques ont averti l'humanité qu'il fallait de grands changements politiques pour éviter le pire.

En plus de cela, près de 70 milliards d'animaux sont exploités par l'élevage, des centaines de milliards par la pêche, d'autres encore par la science, les divertissements, etc., ce qui perturbe massivement les écosystèmes.

Les inégalités battent également des records historiques. Selon Oxfam, les huit hommes les plus riches de la planète possèdent la même richesse économique que la moitié de l'humanité la plus pauvre, soit près de 3,8 milliards d'êtres humains. Le 1% le plus riche possèderait même 82% de la richesse mondiale. Avec l'immigration dans les pays nordiques et les réfugiés, on voit aussi que la xénophobie gagne du terrain. La violence envers les femmes est encore omniprésente dans nos sociétés. Malgré des progrès, il y a encore de grands problèmes.

En plus de cela, près de 70 milliards d'animaux sont exploités par l'élevage, des centaines de milliards par la pêche, d'autres encore par la science, les divertissements, etc., ce qui perturbe massivement les écosystèmes. Des personnes se réclamant de la «collapsologie» (Servigne, Wosnitza) nous annoncent même un effondrement de notre civilisation avec la fin du pétrole bon marché, la démographie mondiale croissante et l'exploitation infinie de la planète. Dans un tel contexte, la libération totale trouve tout son sens et toute sa pertinence.

L'un des aspects les plus intéressants de la libération totale est la «théorie du point de vue animal». Peux-tu nous en parler un peu?

Oui, j'ai repris cette théorie et j'ai cherché à l'élaborer. Je me suis intéressé à la version que le philosophe américain Steven Best a proposée. Selon lui, on ne peut comprendre l'histoire et la crise écologique actuelle qu'en les regardant du «point de vue animal», donc du point de vue du rôle des animaux dans l'évolution humaine.

La thèse principale de cette théorie est que les animaux ont été une force-clé déterminante dans la psychologie humaine, la vie sociale et l'histoire globale, et que la domination des humains sur les animaux non humains sous-tend la domination entre les humains et sur le monde naturel (Best).

Le spécisme, c'est-à-dire la discrimination que les humains font des autres espèces animales et justifiant leur oppression, a été le prototype pour l'oppression humaine.

Lorsque j'ai lu ça, j'ai tout de suite été intrigué et je voulais évaluer si cette théorie était crédible. Mes recherches m'ont amené à l'élaborer un peu plus. En effet, le spécisme, c'est-à-dire la discrimination que les humains font des autres espèces animales et justifiant leur oppression, a été le prototype pour l'oppression humaine. Il y a près de 10 000 ans, alors que l'humanité a domestiqué les plantes et s'est mise à exploiter les animaux, l'oppression humaine apparue sous plusieurs formes.

Il y a près de 10 000 ans, alors que l'humanité a domestiqué les plantes et s'est mise à exploiter les animaux, l'oppression humaine apparue sous plusieurs formes.

Les animaux furent réduits à l'état de marchandises, pour la nourriture, les vêtements, le transport, la guerre, etc. De cet asservissement est né celui de l'humanité. Les femmes furent réduites à servir les hommes pour la reproduction des enfants travaillant dans l'agriculture. Plusieurs auteures féministes comme Carol Adams et Erika Cudworth ont d'ailleurs remarqué le lien de parenté entre l'objectification du corps des femmes et des animaux, le contrôle de la reproduction et l'appropriation des enfants pour le travail.

Dans le cas du racisme, les animaux ont encore servi de modèle d'oppression. Les personnes noires furent comparées aux primates, les peuples autochtones à des animaux sauvages, etc.

Les animaux (chevaux, chameaux, éléphants, etc.) servirent de «véhicules de guerre» pour envahir des peuples entiers et les asservir. Sans les animaux, la guerre et le colonialisme n'auraient pu se déployer aussi intensément. Dans le cas du racisme, les animaux ont encore servi de modèle d'oppression. Les personnes noires furent comparées aux primates, les peuples autochtones à des animaux sauvages, etc. La négation de leur humanité fut récurrente pour les mépriser et les dominer comme les animaux.

Concernant la crise écologique, l'exploitation des animaux pour l'alimentation (élevage et pêche) est reconnue comme affectant profondément la planète. Le seul fait de se considérer comme l'espèce supérieure du monde nous a amenés à concevoir que toutes les espèces animales et végétales (ou presque) existent pour nous. Comment alors s'étonner d'une crise écologique après cela? Le point de vue animal nous permet donc de mieux comprendre ces phénomènes et leurs relations.

Partie 2 à venir...

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