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Quelles protéines pour 2050?

Avec le nouveau «steak synthétique», on fait un pas de plus vers une artificialisation totale de notre nourriture, ce qui est paradoxal pour des tenants d'une alimentation plus «saine» et «naturelle» que celle que nous propose l'industrie
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Jean Baptiste de Panafieu est l'un des contributeur du réseau TEDxParis.

TEDxParis est un événement sous licence TED et l'une des conférences éditées par l'agence Brightness. Retrouvez l'actualité des conférences sur brightness.fr.

Vieux serpent de mer de la science-fiction et de la diététique réunies, la viande synthétique refait surface après une longue période d'oubli. Plusieurs laboratoires tentent de synthétiser des steaks «artificiels» dont la matière première serait issue de cultures cellulaires et non de l'élevage traditionnel. Pour leurs initiateurs, les produits obtenus ne sont encore que des prototypes, au coût démesuré, mais leurs recherches pourraient aboutir dans vingt ans à une production de masse à un prix compétitif.

Mais pour quelle(s) raison(s) choisirions-nous d'échanger des côtes de bœuf contre des Hamburgers de cellules souches bovines ? Parmi les arguments avancés, deux semblent particulièrement importants : d'une part la nécessité d'une augmentation de la fourniture de protéines alimentaires, du fait de l'accroissement prévisible de la demande au niveau mondial, et d'autre part les désastreuses conditions de vie des animaux dans les élevages industriels modernes.

Comme le climat, l'avenir de l'alimentation mondiale commence à soulever une inquiétude qui dépasse le cercle des experts des grandes organisations internationales. Du fait de l'extension progressive du mode de vie occidental à l'ensemble de la planète, les projections indiquent un doublement de la demande en produits animaux, viande et laitages, entre 2000 et 2050. Or l'élevage représente déjà au niveau mondial plus de la moitié des ressources et des surfaces agricoles. La planète tout entière ne pourrait donc offrir l'espace nécessaire pour un élevage deux fois plus important qu'aujourd'hui.

Il serait bien sûr possible d'intensifier les élevages industriels actuels, mais on voit mal comment éviter d'augmenter en proportion la pollution des sols par les pesticides ou les nitrates, les émissions de méthane et des autres gaz à effet de serre et sans dégrader encore les conditions de vie des animaux. Comme la production ne pourra pas suivre l'accroissement de la demande, on peut facilement imaginer l'avenir : les riches paieront un peu plus cher, les pauvres seront un peu plus dépourvus et ce dans un monde encore plus pollué.

Ce tableau déprimant n'est pas inévitable. Il faudrait d'abord envisager une baisse de la proportion des protéines animales dans notre alimentation, l'équivalent des économies d'énergie dans le domaine climatique. Cela ne pourrait qu'améliorer la situation sanitaire des pays occidentaux dans lesquels la surconsommation des graisses animales associées aux protéines se traduit par une augmentation rapide des maladies «de civilisation» que sont l'obésité, le diabète ou les troubles cardio-vasculaires. La viande rouge, et plus encore, la viande transformée, semblent jouer un rôle important dans cette épidémie dont les dégâts au niveau mondial commencent à surpasser les conséquences de la sous-nutrition.

Aujourd'hui, dans les pays occidentaux deux tiers des protéines alimentaires sont d'origine animale, le reste provenant des céréales et des légumes. La plupart des experts s'accordent sur le fait qu'inverser cette proportion serait utile sur le plan diététique sans représenter une privation intolérable. Manger moins de viande permettrait d'en augmenter la qualité et parallèlement de traiter sérieusement la question du bien-être animal, grâce à des élevages moins intensifs.

Autre solution avancée, celle du végétarisme. Cette option risque d'être très insuffisante pour résoudre le problème, tout en créant de nouvelles difficultés. Non seulement la viande a une grande importance symbolique dans la plupart des sociétés, mais l'abandon des protéines animales suppose qu'elles soient remplacées par des protéines végétales, dont la culture et la transformation ont également un impact énorme sur l'environnement. Les animaux d'élevage peuvent se nourrir sur des terres qui sont impropres à la culture de céréales ou d'autres végétaux riches en protéines. Leur disparition ne permettrait pas d'utiliser toutes les surfaces devenues disponibles. De plus, les paysages d'élevage sont plus favorables à la faune sauvage et préservent mieux la biodiversité que les grandes cultures céréalières.

Enfin se passer de viande ne règlerait pas la question de la consommation des autres produits d'origine animale, œufs, lait, beurre ou fromage, sans oublier les matières premières que sont le cuir, la laine ou le duvet. Les animaux qui les fournissent ne sont actuellement pas mieux traités que ceux que l'on élève pour être mangés. Si l'on pense qu'il est impossible d'améliorer réellement les conditions de vie des vaches et des moutons, il faut prôner un végétalisme strict, avec suppression totale de l'élevage. Mais le risque de carences augmenterait dramatiquement, à moins de faire de notre nourriture une préoccupation permanente et lancinante. Ce choix individuel contraignant n'est pas généralisable à l'ensemble de la population.

Pour répondre à l'augmentation de la demande en protéines, on peut aussi en chercher de nouvelles sources. Vers 1970, on a ainsi proposé les «steaks de pétrole», des levures élevées sur du gazole, rapidement abandonnées. On trouve aujourd'hui du tofu, une pâte de protéines de soja, ou encore le Quorn®, une préparation protéinée élaborée par un champignon. Avec le nouveau «steak synthétique», on fait un pas de plus vers une artificialisation totale de notre nourriture, ce qui est paradoxal pour des tenants d'une alimentation plus «saine» et «naturelle» que celle que nous propose l'industrie.

Mais pour que des cellules de bœuf produisent des protéines, on doit leur en donner ! La croissance des cellules musculaires exige des solutions nutritives hyper-protéinées ou du moins riches en acides aminés, les constituants de base des protéines qu'il est donc nécessaire de synthétiser. De plus, il faut actuellement fournir à ces cellules du SVF, sérum de veau fœtal. Ce liquide riche en facteurs de croissance est prélevé sur des fœtus de veau dans les abattoirs. Dans ces conditions, difficile de présenter le steak synthétique comme une alternative végétarienne ! On nous assure qu'on pourra bientôt se passer de ces additifs, mais il est peu probable que des cellules animales soient capables de vivre à partir de sources d'azote peu coûteuses, comme le font les bactéries et les champignons.

Si les cellules animales isolées demandent des conditions de vie à la fois complexes et coûteuses, les animaux entiers sont bien plus efficaces. Une vache vivante peut digérer de l'herbe, ce que ses cellules musculaires ne savent pas faire ! Cependant, malgré ses indéniables qualités, la vache présente quelques défauts. Ainsi, elle consomme des quantités énormes d'eau et rejette des nitrates et du méthane.

D'autres animaux pourraient fournir les mêmes services : les insectes. Depuis quelques années, des chercheurs démontrent l'intérêt potentiel des élevages de grillons et de criquets. Ces animaux sont capables de se nourrir de sous-produits agricoles à peu près inutilisables. Ils les transforment en protéines et en graisses de grande qualité nutritive. Ils ne rejettent que de faibles quantités de gaz à effet de serre. Leurs déchets constituent un compost directement utilisable. Ils vivent naturellement en populations très denses et leur bien-être ne se pose donc pas du tout dans les mêmes termes que pour les mammifères ou les oiseaux.

À l'exception des pays occidentaux, l'entomophagie est banale dans le monde entier. La plupart du temps, les insectes ne constituent pas une alimentation de survie, mais sont au contraire très appréciés. Certaines espèces sont même considérées comme des plats de luxe. Dans les pays où leur consommation est traditionnelle, la FAO soutient la mise au point d'élevages, afin de ne plus dépendre des populations sauvages. Des milliers de fermes familiales de fourmis et de grillons ont ainsi été créées en Thaïlande et au Laos. Des projets d'élevages de chenilles se développent également en Afrique.

Ailleurs, les insectes ne remplaceront sans doute pas la viande, mais ils pourraient être utilisés sous forme de farine, par exemple pour remplacer les farines de poisson et de soja qui entrent dans l'alimentation des animaux d'élevage et dont la production pose de nombreux problèmes écologiques. Des expérimentations ont montré qu'on peut élever les larves d'un insecte, la mouche-soldat noire, dans du fumier de porc ! Ces larves transforment le fumier en compost tout en offrant des protéines adaptées aux poissons d'élevage, aux volailles ou même aux porcs !

Des usines commencent à produire de telles farines, par exemple en Afrique du Sud, où l'on nourrit les volailles avec des granulés de larves de mouches. En France, une entreprise élève des grillons et des vers de farine pour l'alimentation humaine et des restaurants proposent des plats préparés avec ces insectes. Il ne s'agit pas de passer des côtes d'agneaux aux grillades de grillons, mais de commencer à considérer l'insecte comme un aliment potentiel plutôt que comme une nuisance. Autrefois, le poisson se devait d'être cuit longuement et aujourd'hui, nous prenons plaisir au poisson cru : en matière nutritive, nous sommes souvent plus souples que nous ne le croyons !

Comme pour le réchauffement climatique, il n'y a pas de solution unique et définitive au problème de la fourniture future de protéines. Il est nécessaire d'en inventer de nouvelles sources pour compléter l'élevage traditionnel. Il faudra surtout accepter de changer nos habitudes alimentaires et notre façon de penser notre nourriture. La consommation d'insectes est sans doute l'une des pistes à suivre.

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