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Sean Spicer, le porte-parole incontrôlable de Donald Trump

Si vous avez le courage de regarder jusqu'au bout les points presse de la Maison-Blanche ces jours-ci, vous aurez toutes les chances de voir Sean Spicer s'emporter et digresser, quel que soit le sujet.
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Si vous avez le courage de regarder jusqu'au bout les points presse de la Maison-Blanche ces jours-ci, vous aurez toutes les chances de voir Sean Spicer s'emporter et digresser, quel que soit le sujet. Il cherche querelle, il se plaint. Le plus souvent, il dissimule maladroitement son émotion sous des airs de gros dur flegmatique. Les joueurs de poker et les fans de nanars qui se déroulent dans ce milieu ont un nom pour cette attitude: être aux abois.

C'est cette posture que Melissa McCarthy a caricaturée à Saturday Night Live. C'est également ce qu'Erik Wemple, journaliste au Washington Post, a pointé du doigt dans son article, Sean Spicer Is Losing His Grip. Cela ne vous a probablement pas échappé non plus.

Sean Spicer n'est pas le premier porte-parole d'un président républicain ni le premier à affronter une presse frondeuse. Sa dénonciation d'une presse indigne de confiance ou «d'opposition» n'est pas non plus particulièrement originale dans le paysage politique américain. Si ma mémoire est bonne, il était confronté aux mêmes problèmes quand il occupait cette fonction au comité national du Parti républicain, sans céder pour autant à ces accès d'émotivité et d'agressivité inutile.

Ces derniers temps, Sean Spicer joue contre son camp, se lançant dans des arguties inutiles et consumant son capital politique avec la fièvre du pyromane.

Mais, ces derniers temps, Sean Spicer joue contre son camp, se lançant dans des arguties inutiles et consumant son capital politique avec la fièvre du pyromane. Au vu des événements de lundi, ce n'est pas prêt de finir, à moins qu'il ne soit la victime (ou le bénéficiaire?) d'un «remaniement» imminent, selon de nombreuses rumeurs.

Des rapports peu orthodoxes avec les journalistes

Lundi, donc, le fondateur d'Axios Media, Mike Allen, est revenu sur les méthodes de la Maison-Blanche pour contrer un article du New York Times alléguant des «contacts répétés entre l'équipe de campagne de Donald Trump et les services de renseignement russes». Méthodes qui consistaient notamment à mettre directement en ligne, au mépris du protocole, les journalistes concurrents du Washington Post et du Wall Street Journal avec le directeur de la CIA, Mike Pompeo, notamment. De même, les journalistes se sont vu communiquer les lignes directes des présidents des commissions du renseignement du Sénat et de la Chambre des représentants, Richard Burr (Républicain, Caroline du Nord) et Devin Nunes (Républicain, Californie).

Si ce n'est pour s'entendre dire que l'article du Times était erroné, les journalistes sont restés sur leur faim. Mais ces coups de fil ont fuité, une manière détournée d'officialiser le désaccord de Mike Pompeo. Le même procédé (une fuite de la Maison-Blanche plutôt qu'un témoignage direct) a servi à amplifier la réaction supposée d'un agent du FBI -anonyme- qualifiant l'article du New York Times de «foutaises».

Selon la source de Mike Allen (un «haut-fonctionnaire anonyme»), c'est «Sean Spicer en personne qui a pris son téléphone pour mettre les journalistes en contact avec les responsables afin de discréditer» l'article en question.

Rien de plus normal, évidemment, pour un porte-parole de l'exécutif que de tenter de contrer certaines allégations en mettant les journalistes en contact avec ceux qui peuvent contester l'article. Mais les efforts de Sean Spicer auront hélas pour effet collatéral de décrédibiliser ces sources. Sans oublier que ces manigances n'ont abouti qu'à «agacer les journalistes des deux journaux», selon Mike Allen. Beaucoup d'efforts pour pas grand-chose, donc.

Faire savoir qu'un agent a qualifié l'article du Times de «foutaises» quand ce même agent ne souhaite pas s'exprimer publiquement ne peut qu'entamer la crédibilité du FBI. Mouiller Richard Burr et Devin Nunes dans cette histoire va les faire passer pour des pompiers de Donald Trump plutôt que pour des responsables politiques indépendants. Certes, à la décharge de Sean Spicer, les deux élus auraient pu refuser de se prêter à ce jeu. Il est possible que Devin Nunes qui s'est retrouvé «un pied dedans, un pied dehors» sans souhaiter répondre aux questions des journalistes, y ait trouvé l'occasion d'avoir le beurre et l'argent du beurre.

Autre exploit de Sean Spicer? Faire la pub involontaire de ce fameux article d'Axios Media. Ce qui a eu pour effet de relancer la machine médiatique pour une période indéterminée.

Cafouillages avec la presse

Et ce n'est qu'une des nombreuses infortunes du porte-parole depuis qu'il est au service du nouveau président. Le 18 février, Major Garrett, journaliste de CBS News, twittait que -selon deux de ses sources- le candidat de Donald Trump au secrétariat à la Marine, Philip Bilden, allait probablement décliner l'offre, un refus de plus d'occuper un poste relatif à la sécurité de l'État dans ce gouvernement. Huit minutes plus tard, Sean Spicer démentait sèchement le journaliste sur le réseau social:

Ceux qui ont dit ça se trompent. Je viens de lui parler. Il est 100% d'accord pour être le prochain SECNAV, en attendant confirm. du Sénat.

Peut-être connaissez-vous déjà la chute de cette histoire rocambolesque. Comme l'explique Missy Ryan du Washington Post: «Le ministre de la Défense, Jim Mattis, a annoncé [dimanche] que Philip Bilden, un gestionnaire de fonds privés, avait retiré sa candidature, 'pour raisons personnelles et à cause d'imprévus liés à l'obligation qui lui est faite de se désengager de ses actifs financiers. Même si je suis déçu, je respecte et je comprends sa décision, et je sais qu'il continuera à soutenir notre nation par d'autres moyens'. Dans un communiqué diffusé par le Pentagone, l'intéressé déclarait ne pouvoir satisfaire aux critères éthiques officiels "sans devoir renoncer à certains intérêts financiers, ce qui aurait été préjudiciable à ma famille.»

On comprend entre les lignes que le candidat de Donald Trump n'a à l'évidence pas aimé les propos qu'on lui a tenus au service de l'Éthique gouvernementale. C'est à se demander pourquoi Sean Spicer a démenti avec autant d'assurance le tweet de Major Garrett. Ne pouvait-il concevoir qu'un gestionnaire de fonds ne soit pas enchanté de devoir vendre ses actifs? Quoi qu'il en soit, l'épisode a des accents de «Baghdad Bob», le surnom donné au chef de la propagande de Saddam Hussein durant la dernière guerre du Golfe.

Le week-end dernier, le porte-parole de la Maison-Blanche s'est retrouvé au centre d'une autre polémique étrange avec la presse accréditée. L'affaire a commencé par une fuite sur ses méthodes de lutte... contre les fuites répétées.

Selon un article de Politico signé d'Annie Karni et Alex Isenstadt, Sean Spicer a convoqué une «réunion d'urgence» après avoir conclu que des membres de son équipe avaient parlé à des journalistes. Il a sommé toute l'équipe de lui remettre leurs téléphones afin de les «vérifier», manœuvre qui devait confondre les taupes. À l'évidence, cette mesure n'a pas empêché les deux journalistes en question de sortir leur scoop.

Mais, comparé à ce qui a suivi, ce «contrôle» semble aujourd'hui des plus mesurés.

Une franche animosité contre les médias

Dimanche, dans l'hebdomadaire conservateur Washington Examiner, Paul Bedard accusait Alex Isenstadt d'avoir bruyamment ricané pendant que Sean Spicer rapportait "«l'émotion» de son adjointe Jessica Ditto quand elle avait appris la mort de Ryan Owens, le soldat des forces spéciales tombé au Yémen. Pour toute preuve, l'article s'appuyait sur une description rapportée anonymement par une «source crédible» à la Maison-Blanche. Le porte-parole de Politico, Brad Dayspring, a qualifié cette histoire de «mensonge éhonté», précisant que les ricanements du journaliste ponctuaient en fait le récit extrêmement lyrique de Sean Spicer. Là-dessus, Carrie Budoff, consœur du journaliste, a attaqué la Maison-Blanche sur Twitter, lui reprochant une tromperie délibérée:

Un journaliste écrit un article qui déplaît à/que nie la MB. La MB publie fausse info anonyme contre ledit journaliste.

La chose ne manquait pas de sel, sachant que, quelques jours plus tôt, lors de la conférence de la Conservative Political Action, le rassemblement annuel des conservateurs, Donald Trump s'était plaint des fuites à la Maison-Blanche et des mythomanes. Sean Spicer était-il la source de Paul Bedard? Il y a fort à parier que la réponse est oui.

Comme Erik Wemple du Washington Post le relevait dimanche, la coupe de Sean Spicer déborde d'aigreurs. La semaine dernière encore, le porte-parole manifestait de nouveau son animosité en excluant plusieurs médias (dont CNN et le New York Times) d'un point presse informel avec les journalistes accrédités. Le lendemain, il contestait un autre article du New York Times qui racontait comment Donald Trump avait manipulé les tabloïds new-yorkais à ses propres fins. Son objection? L'article s'était trompé sur son lieu de naissance.

Pour info @nytimes @grynbaum ne sont pas foutu de trouver mon lieu de naissance et ne prennent pas la peine de demander.

Le quotidien s'est bien entendu empressé de corriger son erreur. Mais après l'avoir montré du doigt, Sean Spicer a refusé de donner la bonne information. La conclusion d'Erik Wemple est inégalable: «Sean Spicer, l'homme capable d'exiger un rectificatif et de s'y opposer dans la même minute...» Sur CNN, Jake Tapper a lancé une petite pique:

Je comprends qu'on s'énerve quand quelqu'un se trompe sur votre lieu de naissance. Y a vraiment de quoi être furax!!

Au moins, Jake Tapper s'amuse. On ne peut pas en dire autant de Sean Spicer. Franchement, on commence à avoir de la peine pour lui. Difficile de ne pas l'imaginer en train de ressasser que ce poste n'est pas ce qu'on lui avait promis.

Il n'a d'ailleurs peut-être pas tort. Après tout, il est à la fois chef du service de presse et directeur de la communication. Une tâche herculéenne pour n'importe qui. Et, comme s'il fallait en rajouter, il remplit ces deux fonctions pour un président soupe au lait qui ne sait pas déléguer (et je suis gentil) et qui lui tombe apparemment dessus à tout bout de champ.

Le plus étrange, c'est qu'il est impossible de savoir si Sean Spicer est davantage coupable que victime. Plusieurs témoignages corroborent l'impression que donne la Maison-Blanche de Donald Trump: une organisation déchirée par les factions, les intérêts divergents et une communication désastreuse. Pas étonnant qu'elle prenne l'eau de toutes parts. Difficile également de savoir si un Sean Spicer aux coudées plus franches pourrait résoudre le problème. Qu'il en soit réduit à contrôler au hasard les téléphones de ses troupes laisse à penser que ses marges de manœuvre sont extrêmement limitées.

Au service d'une autre Maison-Blanche, il ferait sans doute un très bon porte-parole. En attendant, c'est le type qu'on rêve d'avoir en face de soi au poker.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Julie Flanère pour Fast for Word.

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