Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le sud Caucase: prochaine zone de guerre?

Des étincelles de plus en plus visibles, fréquentes et accentuées s'approchent dangereusement du baril de poudre sur lequel sont assis deux pays du sud Caucase: l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

D'abord la guerre en Ukraine, puis celle de Gaza, et enfin les chutes successives d'avions, ont monopolisé l'attention des médias ces derniers temps. L'émotion et la colère ont souvent embrumé les esprits. Dans ce flot continu d'informations, certains événements, comme l'élection présidentielle en Turquie, pourtant importante pour la région, sont presque passés au deuxième voire troisième rang de la hiérarchie médiatique, les rédactions ayant dû faire un choix difficile quant aux sujets à traiter, ou pas. À cela s'ajoute la pression exercée sur les médias traditionnels par les réseaux sociaux, où chacun fait «sa une» tandis que les «suiveurs» la diffusent instantanément, et vice versa.

Dans ce maelström d'informations, un conflit gelé a presque disparu des radars. Pourtant des étincelles de plus en plus visibles, fréquentes et accentuées s'approchent dangereusement du baril de poudre sur lequel sont assis deux pays du sud Caucase: l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Adversaires autour du dossier de Haut-Karabagh (Artsakh en arménien), les deux pays sont liés par un cessez-le-feu depuis la guerre gagnée par les forces arméniennes en 1994. Les négociations sont pilotées par le «groupe de Minsk» (Russie, États-Unis, France) et les parties doivent trouver une solution politique et pacifique, sans recourir à la force.

Or, les Azéris, depuis des années, violent le cessez-le-feu avec des tirs de snipers près des lignes de contact. Le scénario est toujours le même: les snipers azéris ouvrent le feu et parfois font des victimes, militaires ou civiles. Dès qu'il y a des morts ou des blessés, les Arméniens ripostent, blessant ou éliminant à leur tour des militaires azéris. En outre ont eu lieu plusieurs tentatives d'intrusion de la part des Azéris, chaque fois repoussées rapidement par la partie arménienne. Les déclarations de l'OSCE et des médias qui les reprennent ne nomment pas clairement l'agresseur qu'est l'Azerbaïdjan, les actions de l'Arménie n'étant qu'une riposte à ces provocations.

Ilham Aliyev, qui dirige le pays sans partage avec sa clique, et dont la dernière élection a été contestée, doit faire face au mécontentement de sa population qui ne bénéficie pas des retombés de la richesse du pays engendrée par les gisements de pétrole et du gaz de la mer Caspienne. Côté politique, l'opposition, la presse et les ONG sont muselées d'une façon brutale. Récemment Leyla Yunus, rare voix dissidente dans l'Azerbaïdjan du clan Aliev, a été encore une fois arrêtée et jetée en prison.

Un budget militaire démesuré

Afin de détourner l'attention de ces oppositions, Aliyev a besoin d'un ennemi extérieur, un bouc émissaire et dans ce cas le Haut-Karabagh est une valeur sûre. Le discours belliqueux d'Aliyev depuis des années («Nous reprendrons le Karabagh par les armes», «l'Arménie aussi appartient aux Azéris», etc.) était considéré par les autorités arméniennes, à notre avis à tort, comme un discours inconséquent, «à usage interne». Cependant depuis quelques mois des signes de tension graves sont constatés par les observateurs de la région, avec une vingtaine de morts, le nombre de victimes le plus élevé depuis 1994, et qui font craindre une reprise du conflit armé. Parallèlement l'Azerbaïdjan augmente sa capacité militaire, tout du moins sur le plan matériel, d'une façon exponentielle.

Grâce aux revenus pétroliers, le budget de la défense azéri a progressé de 45% entre 2010 et 2011, soit 2,2 milliards d'euros, un cinquième du budget global du pays. Les achats d'armes de plus en plus sophistiquées continuent auprès d'Israël, mais aussi de la Russie. Selon un rapport de The Stockholm International Peace Research Institute, le budget de la défense de l'Azerbaïdjan aurait augmenté de 493 % entre 2004 et 2010. Un spécialiste et ancien héros de la guerre de 1992-94, que j'ai pu rencontrer à Chouchi (Haut-Karabagh) en juin dernier reste néanmoins serein et confiant. «Si les Azéris avaient la moindre certitude de gagner la guerre, ils l'auraient déjà déclenchée», m'a-t-il assuré tout en savourant son thé vert à la menthe. «Ils ont sûrement plus de matériel que nous, mais nous avons une armée plus qualifiée et plus motivée. Nous les attendons de pied ferme».

Caucase, une région explosive

La région du Caucase est une des plus militarisées au monde. Sur la ligne de front, un affrontement mineur «accidentel» peut à tout moment dégénérer en une guerre. Si guerre il y avait, ses «conséquences régionales seraient dévastatrices», prédit l'International Crisis Group. Au sud, l'Iran, qui entretient de bonnes relations avec l'Arménie, et la Turquie, allié traditionnel de l'Azerbaïdjan, menacent d'être entraînés dans le conflit. Au nord, la Russie liée par un accord militaire bilatéral avec l'Arménie ne pourrait rester inerte. L'Europe et des investisseurs occidentaux, notamment la BP qui contrôle entre autres l'oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), seraient indirectement affectés par un conflit armé puisque les raffineries de pétrole et les dépôts de gaz fournissant l'Europe pourraient être visés par des missiles de l'armée du Karabagh dès le début d'une guerre. Donc la faiblesse relative de l'armée arménienne sur le plan matériel serait compensée par la menace réelle sur des cibles stratégiques de l'Azerbaïdjan. Or, comme dans un jeu d'échecs, dans lequel excellent les Arméniens, la menace est souvent plus efficace que le coup à jouer.

Après les incidents qui ont fait 20 morts la semaine dernière, le ministre de la Défense de la République d'Arménie, Seyran Ohanian a déclaré à la presse: «L'adversaire doit faire attention à ne pas mettre à l'épreuve notre patience». Le 2 août, le ministre des Affaires étrangères Edward Nalbandian, répondant à «Armenpress» a déclaré: «Il est grand temps que la communauté internationale dégrise le gouvernement azéri qui a perdu le sens des réalités et qui va à l'encontre des règles et valeurs de la communauté internationale». Espérons pour la paix dans la région que Bakou changera rapidement son attitude et que le président Ilham Aliyev cessera de jouer au Dr Folamour du Caucase.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le 21 novembre 2013, le volte-face de Kiev

Chronologie de la crise en Ukraine

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.