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Un contraste saisissant entre le Justin des séances photos et le Trudeau de la politique réelle

Nous avons droit au meilleur de Trudeau et au pire de Trudeau. Jusqu'à ce que ses partisans exubérants et nos médias complices exigent un minimum de transparence, nous devrons endurer les deux.
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Il ne vous parlera jamais des politiques régressives de son gouvernement, mais il faut reconnaître qu'il a fière allure lorsqu'il enlève sa chemise!

Justin Trudeau a été élu il y a bientôt un an, mais les partisans libéraux semblent avoir de la difficulté à voir ce qui se cache sous son vernis brillant. Il leur reste encore du chemin à parcourir avant de reconnaître que le premier ministre est autre chose que l'exact opposé de leur ennemi idéologique Stephen Harper.

Si vous essayez de leur parler d'enjeux délicats, c'est-à-dire d'enjeux qui ternissent son aura de gendre idéal, vous aurez droit à toutes sortes de réfutations. Trudeau sera absous inconditionnellement, et vos interlocuteurs reviendront assez rapidement à leurs diatribes anti-Harper.

Une nouvelle tendance se dessine depuis octobre dernier. Elle met en scène un premier ministre utilisant toutes les séances photo possibles et imaginables pour détourner l'attention des politiques les plus conservatrices de son parti.

Si vous essayez de parler des nombreux revirements de Trudeau dans le dossier de la décriminalisation de la marijuana, l'on vous répondra toujours la même chose : « Mais que veux-tu qu'il fasse? Tu ne peux pas comprendre à quel point c'est difficile pour lui. » La question que vous avez soulevée fera aussitôt place à une critique du gouvernement précédent. Que Trudeau ait changé d'avis trois fois depuis son couronnement à la tête du Parti libéral n'a aucune importance. Inutile de revenir là-dessus.

Et la vente d'armes à l'Arabie saoudite? Une idée de Harper! Mais... Trudeau aurait pu y mettre un terme, non? Bien sûr, mais les Saoudiens nous poursuivraient pour non-exécution d'un contrat de fournitures d'armes utilisées contre des populations civiles. Ah bon. De toute manière, c'est la faute de Harper.

La vente d'armes est une réalité de plus en plus difficile à réconcilier avec le message largement diffusé ces derniers temps, à l'effet que le Canada a renoué avec sa tradition de gardien de la paix. En vérité, le Canada s'est hissé au deuxième rang mondial des fournisseurs d'armes de haut calibre à destination de cette oasis de paix qu'est le Moyen-Orient. Eh oui. Notre premier ministre hyper-progressiste, reconnu pour ses poses de yoga et l'authenticité de ses convictions féministes, dirige un pays où les marchands d'armes font des affaires d'or. Parce que personne ne dit « Namasté » aussi bien que des civils déchiquetés par des armes canadiennes.

Justin Trudeau au Défilé de la Fierté de Toronto. (Photo : Roberto Machado Noa/LightRocket via Getty Images)

Je sais, je sais. Je suis un idéaliste. Le monde réel est chaotique et Trudeau fait son gros possible. Au fait, vous ai-je dit qu'il a un look du tonnerre lorsqu'il déboutonne sa chemise? Malheureusement, une tendance se dessine depuis octobre dernier. Elle met en scène un premier ministre utilisant toutes les séances photo possibles et imaginables pour détourner l'attention des politiques les plus conservatrices de son parti.

Pensez-y-bien. La plupart des électeurs centristes ou de gauche que je connais se déchaîneraient contre un premier ministre conservateur proposant certains des éléments figurant au programme de Justin Trudeau. Imaginez Jason Kenney faisant la promotion de la vente d'armes au Moyen-Orient. Imaginez Peter MacKay supprimant en silence les postes de dizaines de chercheurs en sciences de l'environnement. Et pourquoi pas un certain Tim Hudak refusant de parler des mesures les plus draconiennes de la Loi C-51?

Il vaut mieux livrer Justin Trudeau en pâture aux médias et garder les éléments de centre droit à l'abri des curieux.

Aucun des exemples mentionnés ci-haut ne serait normalement accepté par les électeurs progressistes qui apportent un soutien sans faille à notre rêveur de premier ministre.

Quand avez-vous pour la dernière fois entendu un membre du gouvernement parler d'oléoducs, de vente d'armes, de mises à pied de chercheurs, de casiers judiciaires pour possession de cannabis, de la Loi C-51, du Partenariat transpacifique et de tout autre enjeu de quelque importance? Il faut admettre qu'il est beaucoup plus facile de repenser à notre Justin national se pavanant dans un défilé, faisant son jogging avec un dignitaire étranger, se faufilant dans une photo de mariage ou échangeant des plaisanteries avec Obama. Sa première année au pouvoir semble n'avoir été qu'une litanie de moments insignifiants.

Le contraste est absolument saisissant entre le Justin des séances photo et le Trudeau de la politique réelle. Et le Bureau du premier ministre ne semble pas pressé de changer de stratégie.

Quant aux médias, ils sont complices de ce petit jeu, pour ne pas dire exaltés par la différence de style entre Harper et Trudeau. Ils dansent volontiers le tango de la communication politique, chantant à l'unisson avec le Bureau du premier ministre, et rapportant les faits et gestes de Trudeau comme si celui-ci était une rock star plutôt qu'un dirigeant de calibre mondial.

Après avoir été tenus à l'écart du Bureau du premier ministre pendant une décennie, les correspondants politiques semblent heureux d'être là, tout simplement. Ils ont complètement oublié leur rôle historique, qui consiste à tenir les politiciens responsables de leurs actes, et non à publier des photos qui serviront d'appâts à clics.

Justin Trudeau faisant son jogging en compagnie du président mexicain Enrique Peña Nieto sur le pont Alexandra entre Ottawa et Gatineau. (Photo : Reuters/Chris Wattie)

Le Globe and Mail a récemment publié un article sur Adam Scotti, le photographe personnel du premier ministre. Cet article est assez intéressant, puisqu'il documente l'accès privilégié de Scotti à Trudeau et son entourage (24 heures par jour, 7 jours par semaine) et l'immense pouvoir des médias sociaux une fois que ses photos ont été retouchées et cataloguées.

Cet article souligne par inadvertance l'un des principaux problèmes du gouvernement Trudeau : l'image publique du premier ministre y prend une importance si grande que la célébrité a remplacé la transparence. Cette stratégie est utilisée afin de distraire et de séduire le public plutôt que l'informer.

Ce calcul d'experts est sournois, car il met en scène un premier ministre accessible, détendu et facile d'approche, mais trop occupé pour expliquer en détail les politiques qui vont à l'encontre de sa réputation progressiste. Quelqu'un a décidé qu'il vaut mieux livrer Justin Trudeau en pâture aux médias et garder les éléments de centre droit à l'abri des curieux.

Bref, nous avons droit au meilleur de Trudeau et au pire de Trudeau. Jusqu'à ce que ses partisans exubérants et nos médias complices exigent un minimum de transparence, nous devrons endurer les deux.

Ce billet de blogue a été initialement publié sur le Huffington Post Canada. Il a été traduit en français par Pierre-Étienne Paradis.

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Justin Trudeau au défilé de la Fierté de Montréal (14 août 2016)

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