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Web russe: répressions et manipulation au Far East

Les vieux réflexes soviétiques ont la peau dure. Révolution numérique et humaine ou pas, les 70 ans de mentalité made in USSR ne seront pas réduits à néant avec "l'outil de propagande" qu'est Internet.
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"Internet est un projet de la CIA". Cette phrase fait sourire, mais inquiète un peu à l'heure où la paranoïa devient mondiale et où les révélations d'Edward Snowden ont terni pour longtemps l'image des États-Unis. Mais qui tient un tel discours? Il ne s'agit pas d'une voix issue de la galaxie obscure des complotistes de tout poil. Son auteur n'est autre que Vladimir Poutine, l'homme le plus puissant de la planète - c'est Forbes qui le dit.

Un projet de la CIA - ennemi juré de l'ancien petit officier du KGB - et qui "continuerait à être développé comme tel". Ça fait un peu flipper. Vrai ou faux Google et Facebook sont entrés trop profondément dans les mœurs pour qu'on puisse décrocher à la moindre alerte, surtout celles venant de Poutine. Ça fait aussi réfléchir à la manière dont les autorités russes appréhendent et utilisent Internet.

Le mal est partout

Les vieux réflexes soviétiques ont la peau dure. Révolution numérique et humaine ou pas, les 70 ans de mentalité made in USSR ne seront pas réduits à néant avec "l'outil de propagande" qu'est Internet. Propagande business, propagande de la langue et plus généralement mise en valeur de la coolitude des États-Unis - les plus érudits parlent de soft power. Ça c'est le point de vue des Russes et pas la peine de donner une autre version des faits. Niet, c'est niet !

La Russie, devenue chantre de la liberté et des droits de l'homme depuis qu'elle accueille Edward Snwoden, n'accepte aucun empiètement de sa souveraineté. Où commence celle des autres ? La question est actuellement tranchée dans le sang dans l'Est de l'Ukraine.

La souveraineté ne se négocie pas et les sites web américains sont étroitement surveillés. Ces agences déguisées de la CIA sont tolérées, mais leur visibilité est limitée. Et pour cause, tous les sites aux millions d'utilisateurs dans le monde trouvent leur pendant russophone à Moscou et dans les autres villes de Russie. Yandex, Rambler, Vkontakte et LiveJournal ne vous disent pas grand-chose ? Ce sont les incontournables du Web russe... Une communauté relativement fermée qui partage le russe avec beaucoup d'autres ex-pays satellites, et qui est encore réticente à pratiquer l'anglais.

Twitter et autres MySpace sont des nains dans le monde russe et sont surveillés de près par les services. Les sites russes sont-ils libres, eux ? Non. Ils se plient à la volonté du Kremlin. N'en déplaise aux blogueurs qui voient leurs droits rabotés à coups de lois de protection d'Internet et de ses utilisateurs.

Obligés de se s'identifier auprès du Service Federal pour la supervision des communications, technologies de l'information et médias de masse (tout un programme), les blogueurs connaissant un succès supérieur à 3000 visiteurs sont aujourd'hui dans la tourmente. Une information qui relaie un peu trop fort l'opinion de l'opposition et hop ! Fermeture ni vue ni connue du blogue ! Amnesty international tirait le signal d'alarme dès mai 2014. Appeler à manifester contre les autorités n'est pas bien vu, c'est même illégal. Depuis le rouleau compresseur de la loi est entré en action et il est difficile d'évaluer les dégâts. Hé oui, l'information est... contrôlée.

Hugh Williamson, Président de Human Rights Watch avait tout juste quand il affirmait que "cette loi a pour but d'appliquer aux blogueurs les mêmes restrictions que celles subies par les mass medias, sans leur donner les mêmes protections ni les mêmes privilèges. C'est une nouvelle étape dans cette incessante répression de la liberté d'expression en Russie".

Propriété intellectuelle, live streaming... précis de toutes les règles à contourner

Internet est un objet américain bien identifié dans l'imaginaire russe. S'en passer est devenu impossible et il convient alors de l'utiliser avec des règles du jeu maison. Des lois toujours plus liberticides sont créées ex nihilo en fonction des besoins de répression, mais une grande latitude est donnée aux sites web russes quand ils se transforment en cauchemar pour Gringos.

Un des aspects les plus irritants est l'absence totale de scrupule à bafouer la propriété intellectuelle. Internet devient une zone de non-droit et pas besoin d'être un hacker de génie pour profiter de la manne. Des milliers de sites plus ou moins bien faits proposent de télécharger ou de regarder en streaming des programmes diffusés aux quatre coins du monde.

Du live streaming ? Du téléchargement de film ou de musique ? Tout le monde fait ça ! Sauf que ces activités illégales sont devenues un vrai business en Russie et les sites pirates prospèrent. Il y a la fange constituée d'une myriade infinie de sites. Il y a aussi le haut du panier avec RuTube et Vkontakte.

Les conséquences sont palpables puisque 97 % des sites de streaming (de Russie ou d'ailleurs) abritent des logiciels malveillants. Un petit clic suffit pour que l'ordinateur connecté au site ne révèle toutes les informations de son propriétaire. Les hackers s'en donnent à cœur joie et les mises en garde répétées ne semblent pas suffisamment fortes pour dissuader le quidam de ne pas s'exposer à l'appétit des pirates du Web.

RuTube, le YouTube russe n'est a priori pas accessible à part si le cyrillique est une passion. Sauf que c'est devenu le repère de tous les trafics vidéo et notamment de ceux qui ne sont plus les bienvenus sur le Web. C'est ainsi qu'à l'automne dernier Dieudonné est parti avec armes et mauvaises blagues rejoindre le giron russe après avoir vu sa chaîne YouTube fermée par les administrateurs du site. Contenus légaux et illégaux s'entremêlent joyeusement sur cette plateforme. La riposte, elle, commence à prendre de l'ampleur.

C'est le Facebook russe, Vkontakte (VK), qui se retrouve avec un pain plus très blanc entre les mains. En plus d'être un ersatz du mondialement célèbre réseau social (même structure, design et fonctionnalités), VK propose à ses utilisateurs de regarder gratuitement toutes les vidéos qui lui tombent entre les mains. Elles se comptent par milliers et de toutes les langues.

Aspirateur fort de plus de 230 millions d'utilisateurs, Vkontakte est dans le collimateur des Américains qui lui ont délivré la sympathique pastille de "site pirate". Une mauvaise pub dont se défend le directeur de VK qui déclare sa flamme pour le respect des droits d'auteur tout en soulignant qu'il est serait insensé de vouloir contrôler tous les contenus postés. En gros, pas vu pas pris. Dans un autre style, quid du concours "Miss Hitler" qui n'est pas passé inaperçu sur le réseau social?

La guerre sans l'aimer

Le peu d'égard des règles se retrouve aussi à un niveau encore plus critique. L'État russe a sa feuille de route et quand un pays se transforme en cible, le bruit des canons est concomitant aux attaques sur le Web. D'anciennes Républiques socialistes « pas assez sages » aux yeux de Moscou en ont fait les frais.

Pas contents de la suppression d'un mémorial de guerre dans un jardin de Tallin, les Russes ont signifié leur mécontentement en attaquant tous azimuts les sites les plus utilisés en Estonie. Des vagues d'attaques par déni de service (DDOS, déni de service distribué) ont paralysé les infrastructures numériques du pays en 2007. Sorte de répétition générale avant l'attaque qu'a subie la Géorgie l'année suivante. Les tanks sont entrés en action à la suite d'un différent territorial avec le soutien moins quantifiable, mais redoutablement efficace d'une armée de hackers à la solde du Kremlin.

Les Russes sont devenus des experts de l'embrouille numérique. On les connaissait grands maîtres des échiquiers, ils se sont reconvertis en grands sachems des claviers. L'Ukraine en fait l'expérience à intervalles réguliers depuis un an et bien malin celui ou celle qui pourra prédire où s'arrêtera ce petit jeu aux grandes conséquences. Internet est sans limites et se conjugue parfaitement avec les ambitions russes. Bienvenue au Far East.

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