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La grande hémorragie qui créa la diaspora

Entre 1840 et 1930, quelque 900 000 Québécois sont partis pour les États-Unis, soit une moyenne de 10 000 par année. Cette hémorragie nous a coûté cher, «la meilleure partie de notre peuple» ont dit certains.
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À l'époque, on a été très dur avec la diaspora. Les élites traitaient ceux qui partaient de renégats, fainéants, lâches, traîtres, dévoyés, déserteurs. «Ce n'est que la canaille qui s'en va», aurait dit Cartier. «Les bons nous restent et le pays ne s'en portera que mieux» (l'affirmation est contestée; on n'a malheureusement pas la clip de Georges-Étienne sur Youtube...)

Pauvreté, endettement, chômage, industrialisation lente et manque de manufactures; la misère sur les fermes surpeuplées était telle, et l'appel des usines du sud si fort, qu'il allait de soi de quitter pour les États. Les Québécois étaient loin d'être les seuls à rêver à l'Amérique.

On estime que 25 millions d'Italiens ont quitté la Botte méditerranéenne entre 1861 et 1970! 872,598 pour la seule année 1913! Presque l'équivalent de toutes nos pertes sur un siècle. Et que dire des Irlandais, victimes du mildiou? Plus de 8 millions de départs en un siècle sur une petite île de trois millions d'habitants! Que dire des Grecs? Des Portugais? Des Polonais? Des Chinois? Des Scandinaves?

Au 19e siècle, la Suède avait l'un des plus hauts taux d'émigration en Amérique du Nord de toute l'Europe, juste derrière l'Irlande et la Norvège. En 1910, un Suédois sur cinq vivait en Amérique.

Entre 1840 et 1930, quelque 900 000 Québécois sont partis pour les États-Unis, soit une moyenne de 10 000 par année. Cette hémorragie nous a coûté cher, «la meilleure partie de notre peuple» ont dit certains. Le Québec compterait aujourd'hui entre 12 et 14 millions d'habitants s'ils étaient restés.

Pour contrer l'exode, le curé Labelle rêvait de développer le nord. Il rêvait d'un chemin de fer allant jusqu'à la Baie d'Hudson, ralliant ensuite le Manitoba francophone en passant par l'Ontario francophone, au-dessus de l'Ontario anglophone. Une souveraineté-association un siècle avant le PQ. Un véritable Plan Nord un siècle et demi avant le pétage de broue du PLQ. Futé le curé (plus que Glouton dans les nouveaux Pays d'En-Haut....)

Les forces fédéralistes évoquent parfois cette hémorragie pour rappeler que les Québécois ont voté avec leurs pieds face à la misère de l'époque.

Les forces fédéralistes évoquent parfois cette hémorragie pour rappeler que les Québécois ont voté avec leurs pieds face à la misère de l'époque. Et que si la chose devait se répéter, s'empressent-elles de rajouter malicieusement, les Québécois feraient la même chose. Ce qu'elles oublient c'est que pendant la même période, l'ensemble du Canada perdait 2,8 millions de personnes. La portion des pertes du Québec sur celles du Canada était à peu près comparable à son poids démographique.

Des 900 000 Québécois, un quart était des Anglophones (pourtant c'était longtemps longtemps longtemps avant le Bill One-O-One...). C'est le cas des parents de Glenn Ford qui ont quitté Portneuf en 1924 pour la Californie. Et ne sont jamais revenus.

On estime, d'autre part, qu'un tiers des Francophones qui sont partis sont revenus. Comme le père de Robert Choquette (auteur de La Pension Velder, père de la Diva, papi de Florence K) qui est rentré à Montréal en 1914, après la mort de sa femme. Robert, né à Manchester NH, avait alors 9 ans.

Dans Edna, Irma et Gloria, Denise Bombardier raconte l'histoire de ses grands-parents qui avaient émigré au Rhode Island au début du 20e et qui étaient revenus pauvres comme Job.

«Chaque sœur avait une vision personnelle des motifs qui ramenèrent la famille des États-Unis au Canada. Edna prétendait que sa mère se sentait humiliée de ne pas comprendre l'anglais. Irma croyait que les États-Unis lui rappelaient constamment la mort de ses jeunes enfants. Gloria estimait que la décision s'expliquait par l'impuissance de ses parents en quittant le Canada. «Valait mieux être pauvres chez nous que dans un pays étranger, surtout un pays riche comme les États.»

«La famille agrandie revint donc au pays, pauvre comme Job, ce qui n'empêcha pas le trio de prétendre, leur vie durant, à une supériorité sociale en raison de leur séjour américain et de ces prénoms qui ne les enfermaient pas dans la race canadienne-française née pour un petit pain qui les humiliait tant », de conclure Madame B qui a fini par marier un vieil Anglais, presque vierge à 60 balais, sans la moindre humiliation!

En 1911, l'Amérique du Nord comptait trois millions de Canadiens français: 1,6 million au Québec et 1,4 à l'extérieur. Il y a 950 000 Canadiens français aux États-Unis, dont les deux tiers en Nouvelle-Angleterre; 200 000 en Ontario, 90 000 dans les provinces de l'Ouest et 160 000 en Acadie.

Un siècle et demi après la victoire de Wolfe sur le pauvre Marquis, la population du peuple conquis s'est multipliée par 50, grâce à une phénoménale fécondité à peu près unique dans l'histoire de l'humanité qui avait fait dire à Arnold Toynbee, qu'à la fin des temps, il ne restera que deux peuples: «Les Chinois et... les Canadiens français». Mais la moitié ne vit plus à l'intérieur du «foyer national».

En 1861, 86% des Canadiens français vivaient au Québec. L'hémorragie, considérable, s'est donc produite en demi-siècle à peine. (Référence : Yves Roby Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre.)

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Avril 2018

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