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Les amours pédagogiques

Bien curieusement, nos bons puritains ne s'offusquent pas des amours entre patron et secrétaire, médecin et infirmier, ministre et attaché politique ou pilote d'avion et agent de bord. Uniquement entre professeur et étudiant adultes. Pourquoi?
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Combien de plaintes, de chantages ou de malversations des uns ou des autres, et bien investiguées? Plus que maigre. La rumeur est mauvaise conseillère.

Précisons que ces «amours pédagogiques» (néologisme que je propose) ne sont pas de la pédophilie (il ne s'agit pas de mineurs) ni de pédérastie (l'adulte n'a pas une ambition éducative).

La pédophilie n'est qu'un abus avéré, la pédérastie était plutôt une institution de protection sociale largement acceptée en Grèce ancienne: le désir même des parents de trouver un protecteur (éraste) pour leur tout jeune adolescent (éromène) menacé à la guerre du pire : non le sexe, mais la mort.

Ici, tout différemment. Il s'agit de relations sexuelles entre adultes consentants (professeur et étudiant).

Le problème: la loi permet le sexe entre adultes consentants. Ce marais que sont les rapports d'autorité, et leurs composantes souvent très personnelles, entre adultes consentants, se légifère mal.

Bien curieusement, nos bons puritains ne s'offusquent pas des amours entre patron et secrétaire, médecin et infirmier, ministre et attaché politique ou pilote d'avion et agent de bord. Uniquement entre professeur et étudiant adultes. Pourquoi?

Écoutons Sapho, antique directrice d'école pour jeunes filles :

«J'aime la fleur de la jeunesse... un amour m'échoit en partage, c'est l'éclat du soleil, c'est la beauté» (Sapho).

Hannah Arendt fut l'amante de son professeur Heidegger, de même la toute jeune secrétaire de Dostoïevski. Emmanuel Macron a épousé son ancienne prof.

Ces puritains québécois souhaitent-ils répéter en pensée la castration sanglante d'Abélard par Fulbert, jaloux et enragé qu'Abélard eût séduit sa jeune étudiante Héloïse? Le puritanisme platonicien et judéo-chrétien perdure...

«Éros a ébranlé mon âme, comme le vent de la montage qui s'abat sur les chênes» (Sapho).

Une enquête complète nous révélerait un portrait contrasté comme le sont tous les amours humains.

L'intention de ces censeurs parait perverse. D'abord, leur jalousie. Invérifiable certes, mais qui sent à des kilomètres. L'esprit de censure relève, on ne le sait guère, du sadisme: «quête du contrôle absolu sur autrui», ainsi défini dans «Anatomie de la destructivité humaine» d'Erich Fromm. La censure sexuelle en est une variante. Elle les motive d'évidence.

En clair, ces censeurs puritains ne visent qu'à augmenter leur pouvoir de contrôle sur autrui, sans rien savoir spécifiquement sur chacun des amoureux. Il ne leur vient surtout pas à l'esprit de s'enquérir de leur motivation et de leur degré de sincérité honnête, du bonheur attendu. Cherchent-ils ainsi à éteindre leur irrépressible jalousie?

Y a-t-il d'abord un problème? Ensuite une solution.

En effet, il y a un écueil certain: le favoritisme dans la notation et autres privilèges présumément accordés à l'étudiant par l'échange sexuel ou amoureux. Ce n'est qu'un écueil, une possibilité, mais très vraisemblable. C'est déjà assez pour établir des règles.

Deux principes:

1. Protéger la vie privée et les amours naissantes.

2. Préserver l'intégrité de l'acte pédagogique et de la diplomation.

Je serais d'avis que la règle suivante est établie:

Tout professeur qui développe une relation très personnelle ou intime, qu'elle soit amoureuse, familiale, entrepreneuriale ou sociale avec un étudiant doit en aviser le directeur des études ou le Doyen.

Ensuite, que la notation des examens de cet étudiant soit prise en charge, et finalement sanctionnée, par un autre professeur compétent.

Ou autres mesures apparentées de protection de l'intégrité pédagogique et compatibles avec la liberté amoureuse des adultes consentants, ainsi que la préservation de leur intimité.

Si une université se contente d'une grandiloquente et bêta-chrétienne «Charte de déontologie» puritaine (pas de sexe entre adultes consentants à l'université), elle précipitera ses membres dans l'hypocrisie, la répression institutionnelle, le recul puritain des mœurs et de la liberté sexuelle. Bref, une immense régression.

Un Charlie-Hebdo va bien en rigoler: un évêque se branlant sera charitablement invité à une orgie étudiante. «Aimez-vous les uns les autres» n'a pas un visage unique et possède une large surface de peau.

La culture est toujours un choix. Vaut mieux un Mardi gras ou qu'une face de carême.

Il suffit de lire Amours de Jacques Attali, de mêmes Amours célèbres qui foisonnent d'audaces. On apprend qu'Éros est multiforme, vit et se nourrit de transgressions. Il en découle que toute offensive puritaine contre Éros entraîne une misère sexuelle, un anti-humanisme évident, un appauvrissement du plaisir de vivre.

Cette bigoterie, dont l'hypocrisie cache son nom, dénote aussi un grave déficit en culture érotique, bref une ignorance.

Je conseille à ces cache-sexe attardés de se mettre à jour en lisant la littérature érotique exposée par Alexandrian Les libérateurs de l'amour, l'œuvre complète d'Andréa de Nerciat sur lequel mon amoureuse fit sa thèse doctorale: http://www.ruor.uottawa.ca/en/handle/10393/24255, le grand ouvrage Œuvres de chair de notre compatriote Gaëtan Brulotte.

Et que d'autres auteurs fameux: Baffo, Vivan Denon, Nerciat, Restif de la Bretonne, Laclos, John Cleland, Abbé du Prat et Boyer d'Argens, sans compter les auteurs contemporains.

En clair, attaque-toi à Éros et, à terme, les pires fléaux pisseront sur vos autels de tous bords tous côtés.

Faire la guerre à Éros, c'est très pervers: une fausse vertu qui a peur de sa propre peau. Pire, cette guerre puritaine est la pique méchante des contrôlants et des jaloux.

S'ils tiennent sincèrement à la qualité des études, ils n'ont qu'à demander aux étudiants de lire plus souvent et plus longtemps...

«Faites l'amour et non la guerre» est le slogan qui doit être rappelé à ces puritains d'une autre époque et dont les sens étouffés sont restés collés aux 1930s-40s, dans la perversion castrante et jalouse des Tartuffe.

Aimez-vous sans cesse et sans crainte, de cet amour «qui rompt les membres» (Homère).

«Tu es venue, tu as bien fait; je te désirais. Telle une eau, tu as jailli dans mon âme incendiée par le désir» (Sapho).

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