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Pour continuer à garder vivante la mémoire de cette tragédie qu'est l'Holocauste, je vous partage ces extraits de mon recueil, suivi de, à paraître au printemps 2014 aux éditions du Noroît.
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Ce billet est d'abord paru dans le blogue de Jacques Gauthier

Le camp d'Auschwitz-Birkenau a été libéré par l'Armée rouge le 27 janvier 1945. Il y a eu plus d'un million de victimes dans ce camp d'extermination. Depuis plusieurs années déjà, le 27 janvier est devenu la journée mondiale pour commémorer l'Holocauste et prévenir les crimes contre l'humanité. L'horreur de la Shoah demeure une honte pour l'humanité. Il ne faut jamais oublier.

Pour continuer à garder vivante la mémoire de cette tragédie, je vous partage ces extraits de mon recueil «Rêveries au Pont d'Oye», suivi de «Métamorphose de la chair», à paraître au printemps 2014 aux éditions du Noroît.

Métamorphose de la chair, les corps entassés comme du pain dans les fours. Des millénaires d'évolution pour en arriver là : se tenir debout, inventer les outils, habiter le territoire, fonder la fraternité. À Auschwitz, on ramasse les cheveux et les dents en or. Pour le reste... Les déportés se voient dans le regard horrifié des autres. Ils créent un langage pour toucher l'Autre qui se tait. Ce qui était exprimable hier ne l'est plus aujourd'hui. L'art peut-il évoquer la farine d'os qui s'envole des cheminées, l'odeur âcre de chair brulée ? Cette neige de la haine qui papillonne dans les cerveaux a chassé tous les oiseaux. Quand il n'y a plus de corps, les dictons chauves partent en fumée. Ils ne sont pas revenus du four crématoire nous offrir une parole de consolation. Ô silence des archives, réponse de la mémoire.

L'horizon prolonge la vision, l'œil fixe la mort, une toile abstraite. Complainte d'un enfant pâle qui n'en finit plus de mourir, pendu devant la parenté. Comment transmettre une telle horreur ? Il n'y a plus rien d'humain ici, rien qui ne soit engendré, pas d'héritage à laisser, seulement une histoire à ne pas oublier dans la chaîne des générations. Dans quelle langue lacrymale traduire le savoir froid des techniques mortuaires des S.S., les rites barbares des camps de concentration et d'extermination ? Refaire sans cesse l'inventaire des généalogies disparues avant de lever l'ancre. Lignage ultime d'une altérité violée, en procès devant l'humanité. Témoigner de la parole assassinée par le lien d'amitié qui fait sa trace en nous. Sa résonance dans les filiations vient d'ailleurs et nous traverse de son cri.

Les nazis ont tout pris : ses mains pour bénir, ses bras pour porter le fils bien-aimé, telle une Madone au pied de la croix. Il est parti dans une marche désaccordée, vibration de graffiti d'une nuit apeurée. Elle l'a vu tomber dans le charnier, une balle dans la tête, mirage d'une autre défaite, si modeste dans sa chute, sécheresse du couchant. Tout cela pour finir un jour ou l'autre en poussière, atone comme Job le juste. L'exil l'étouffe comme du lierre, l'éther à la bouche. Le puits vertigineux, au milieu de la fosse, libère des vipères qui avalent les oiseaux déplumés. Auschwitz, Buchenwald, Chelmno, Dachau, pour ne nommer que ceux-là, premières lettres de l'alphabet de la honte.

L'ébranlement des pogroms au livre ensemencé de Juifs, les noms des victimes sur la page délaissée. L'absence creuse un berceau où dorment les citations d'avenir. Comment peindre ces images jaunies en attente de légendes ? Entre les clôtures, le génie d'une alliance contenue dans l'arche que l'on transporte avec des mots légués en héritage. Le sang des innocents depuis Abel n'a pas effacé l'encre d'un Dieu vulnérable, blessé par le mal, qui se retire dans la marge par respect. Les âmes se sont dégagées des barbelés pour retrouver leur shabbat, oublié la fumée des crématoires pour celle de l'encens. Le manque de prophéties les lie à l'invisible alliance, malgré tout. Vibration du mystère.

Les trains de la mort se cachent dans une caverne obscure de l'âme où la Shoah est née. Claude Lanzmann a réalisé un film inoubliable. Le don fleurit aussi sur le chaos de l'Holocauste. L'agneau a habité avec le loup, même si ses crocs lui ont troué la peau. Au camp de Westerbork, la jeune Etty Hillesum veut être un baume sur tant de plaies. Le franciscain Maxmilien Kolbe meurt à la place d'un père de famille dans le bunker de la faim d'Auschwitz. Deux exemples parmi des centaines que l'absolu de l'amour a gravés dans la chair transfigurée. Nous sommes précédés de ces fous admirables, ces guetteurs d'aube qui entretiennent le feu pour que l'humanité ne s'éteigne pas. Ils montrent le chemin de l'entente en disparaissant.

Une colombe passe, rien d'autre n'existe, tant d'ivresse à la regarder planer comme au début d'une création nouvelle. Au centre du triangle l'empreinte d'un soleil qui s'enfonce sous la peau. Des mois entiers à pleurer les larmes des plaies de l'âme. Revient-on de la guerre comme on rentre chez soi ou de nulle part? Retourne-t-on à soi après avoir frôlé la dissolution du moi? Qui est moi? Qui est l'autre? Revenant ou disparu, rescapé ou naufragé. Le regard ne ment pas. On s'en va vers maintenant avec ce qui était hier et ce qui viendra demain. Mais comment et pourquoi se rendre jusqu'au matin quand le vent éparpille les cendres?

Fondre du bronze pour les cloches, ériger des cénotaphes et des ossuaires près des églises, dresser les pierres tombales, bâtir des musées Mémorial, composer des chants funèbres. Et pourtant, tant de charniers restent à découvrir, de familles endeuillées à rebâtir. En voici une qui est arrivée à destination, tenant entre les mains tremblantes la photo du grand-père, silencieux dans son costume, vide de tout attachement. Elle a refermé l'album, retourné à ses questions. Chuchotis de médailles à l'oreille, promesse de ce qu'elle doit être : enjamber le bonheur pour lui rendre honneur.

Le vent balaie les chrysanthèmes disséminés dans la mémoire quand on éteint la lampe. Rien que le vide sonore d'un gouffre béant. Tout se concentre dans l'étincelle de survivre. L'âme se dissout dans la froide solitude sous la même emprise de périr. Ne jamais oublier que les nazis appelaient « chemin du ciel » le chemin qui conduisait aux chambres à gaz. Les laboureurs de la douleur n'ont pas voulu laisser de traces de leur Éden aseptisé. Qui sera assez disponible pour écouter ces récits d'outre-tombe, ces sons de l'arrière-pays, sans y mettre un peu d'art qui donne à voir? Il n'y a que la vie pour exprimer la mort, ou l'inverse.

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