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Conversation de salle d'attente

À la radio, Michel Auger a demandé au ministre s'il trouvait acceptable que des personnes sur civières soient simplement déplacées ailleurs dans l'hôpital.
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J'avais rendez-vous pour faire changer mes pneus pour l'été. J'étais assis dans la pièce où les clients attendent. On était une demi-douzaine, certains avec journaux ou revues, d'autres avec leur tablette.

Il y avait l'émission Midi-Info de Radio-Canada qui jouait en fond. C'est plutôt rare, dans un garage, mais, bon, je n'allais pas me plaindre. Il allait être question du débordement dans les urgences, et de la commande du ministre Barrette aux établissements de régler cette question.

L'animateur, Michel Auger, expliquait que certains CISSS-CIUSSS avaient usé de beaucoup de créativité pour régler le problème: on avait, par exemple, déplacé des civières sur les étages, ou parfois même à côté de la machine à café, et ainsi, des urgences bondées à plus de 200% s'étaient miraculeusement retrouvées avec un taux de 100% en deux jours.

En entrevue, le ministre Barrette a expliqué que son investissement de 100M$, était suffisant selon lui pour régler le problème des urgences, c'était «plus que tout autre gouvernement avant». Et il détachait bien chaque syllabe: «CENT-MIL-LIONS-DE-DOL-LARS, monsieur Auger!»

Je croyais être le seul à écouter quand une dame avec un foulard assise au fond lâcha: «Ben oui, Chose! Ça fait trois ans qu'il coupe dans la santé, et il s'imagine qu'à rajouter 100 millions ça va tout régler!»

Le monsieur à la casquette, en face d'elle, dit: «Ça fait des années que c'est comme ça! Ce n'est pas son 100 millions qui va changer de quoi!»

«Surtout après ses coupures», ajouta la dame.

L'entrevue se poursuivait. Le ministre répétait «CENT-MIL-LIONS» en appuyant bien sur chacune des syllabes.

«Pense-t-il qu'en le prononçant de même, ça va en fait plus?», dit encore la dame au foulard.

Ce qui a déridé tout le monde. Et délié les langues...

«Ça n'a pas d'allure, dit le monsieur à casquette. Moi, ma belle-sœur est sur une civière à l'urgence depuis plus qu'une semaine. On est allé la voir hier. On ne la trouvait plus! On a pensé qu'elle était sortie. Ben non, ils l'avaient déplacée dans une autre salle. L'infirmière a dit que c'était parce qu'il y avait trop de monde à l'urgence, que c'était comme l'urgence de l'urgence.»

«Ils sont en train de tout défaire la santé, commenta le monsieur avec un chapeau. Ce n'était pas parfait avant, mais c'était quand même mieux. Mais là...»

À la radio, Michel Auger a demandé au ministre s'il trouvait acceptable que des personnes sur civières soient simplement déplacées ailleurs dans l'hôpital.

À la radio, Michel Auger a demandé au ministre s'il trouvait acceptable que des personnes sur civières soient simplement déplacées ailleurs dans l'hôpital. Le ministre Barrette répondit que, bien qu'il ne trouve pas la situation acceptable, les personnes déplacées de l'urgence jusque dans les corridors des étages avaient quand même vu leurs conditions s'améliorer puisqu'il y avait moins de circulation autour d'elles, que ce n'était pas comme à l'urgence avec les visiteurs qui se promènent entre les civières, sans compter que l'éclairage sur les étages était plus tamisé que les néons qu'on retrouve au plafond dans les urgences.

La dame au foulard a lâché: «Un coup parti, pourquoi est-ce qu'il ne les met pas dans les garde-robes? Il y a encore moins de circulation, et l'éclairage est encore plus tamisé!»

Ce qui fit rigoler tout le monde.

«Et il pourrait faire de l'argent: ça ferait comme une petite chambre individuelle», ajouta sa voisine en ajustant ses lunettes.

Le ministre continuait à la radio: «C'est moins pire! Moi, je l'ai expérimenté dans ma vie, et on est bien mieux en haut qu'en bas... C'est un moindre mal.»

Ce qui fit exploser la dame au foulard. «Ah ça, c'est vrai, ceux qui sont en haut sont toujours mieux que ceux qui sont en bas! Il peut bien dire ça, lui, avec sa prime d'un million! Eh qu'il me choque donc!»

Tout le monde acquiesça.

«Je vous le dis, moi, ils sont en train de tout défaire en santé, recommença l'homme au chapeau. Quand c'est rendu que tu as besoin de Jean-Pierre Ménard pour avoir des soins...»

«C'est qui, ça, Jean-Pierre Ménard? Un docteur?», demanda le plus jeune du groupe.

«Un avocat, répondit l'homme. Il faisait une conférence de presse l'autre jour. Il y avait deux personnes handicapées qui avaient vu leurs services à domiciles coupés de moitié. Ils s'étaient fait dire que c'était pour égaliser avec les autres qui n'avaient pas de services. Voyons donc, si ça a de l'allure! C'est du pauvre monde, ça, ils n'ont pas d'argent pour se payer du privé.»

«C'est ça qu'il voulait dire, tout à l'heure, Barrette: on est bien mieux en haut qu'en bas! Eh que ça me choque donc!»

«Avez-vous vu, avant-hier? reprit l'homme au chapeau. Un juge qui a ordonné qu'un enfant reçoive des soins de santé! Ça n'a pas de maudit bon sens! UN JUGE, BATINSE!»

Je me risquai.

«Pourtant, le ministre Barrette avait dit que sa réforme allait améliorer l'accès.»

La dame au foulard se tourna vers moi. «L'accès à quoi? L'accès à qui? Moi, tout ce que je vois, c'est le privé qui a accès plus qu'avant à nos besoins! Barrette, là, il a amélioré l'accès du privé aux besoins du monde. Et je vais te dire que le privé, il en profite pas à peu près!»

«Privé, public, ce n'est pas ça qui est important», dit le plus jeune.

«Ah non? C'est quoi, l'important, d'après toi?», dit la dame au foulard.

«L'important, c'est d'avoir le service, peu importe qu'il soit privé ou public. Moi, par exemple, je travaille dans la construction. Quand je me blesse, je ne peux pas attendre 14 heures aux urgences, je perds ma journée. S'il y a une clinique privée qui peut me passer tout de suite, je vais aller là, et je ne perdrai pas ma journée de salaire!»

«Tu as raison, mon gars! dis-je. Si une clinique privée peut te soigner tout de suite, tu ne perdras pas ta journée de salaire. Tu vas pouvoir retourner travailler le reste de ta journée... pour payer les soins que tu auras eus plus rapidement dans ta clinique privée!»

«C'est vrai!, dit le monsieur à casquette. Au privé, tu payes pour tous les tests que tu passes, même pour te faire ouvrir un dossier! Le privé, lui, ce qui l'intéresse, c'est le profit, pas la santé.»

«Ils veulent nous ramener comme c'était avant, quand il fallait payer pour les soins de santé, c'est ça qu'il veut, Barrette», dit la dame en ajustant encore ses lunettes.

La discussion commençait à devenir intéressante, quand le gars du service vint annoncer que mon auto était prête.

Je me levai, et saluai discrètement quelques personnes pendant que la dame au foulard (encore elle!) disait qu'il ne fallait pas attendre les prochaines élections dans 18 mois pour faire de quoi.

Au comptoir-service, avant de partir, le préposé me demanda s'il pouvait faire autre chose pour moi.

Après hésitation, je lui répondis simplement: «Dans la salle d'attente: garde le même de poste de radio!»

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