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Projet de loi 92: pour plus de bureaucratie

Avec toutes ces données et tous ces contrôles, il n'y a aucune économie à l'horizon, mais beaucoup de profits pour les firmes privées qui pourront s'enrichir en facturant et surfacturant chaque geste.
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Mercredi le 6 avril dernier, le ministre Gaétan Barrette déposait son nouveau projet de loi (PL) 92 visant à accroître les pouvoirs de la Régie de l'assurance maladie du Québec et modifiant diverses dispositions législatives.

Ce PL va modifier les lois sur l'assurance hospitalisation, l'assurance maladie, l'assurance médicaments, la justice administrative, la Régie de l'assurance maladie du Québec et les services de santé et les services sociaux.

Pour juger de ce PL, il faut le situer dans l'ensemble de l'œuvre pour mieux comprendre le rôle qui lui est destiné dans le puzzle complet de la marchandisation de nos soins et services publics de santé.

D'ailleurs, le ministre ne s'en cache même pas. Il a débuté sa conférence de presse en listant les principales composantes de son œuvre : la loi n° 10 qui a changé la gouvernance du réseau, la loi 20 concernant les services de première ligne et spécialisés, le projet de loi 81 pour contrôler le prix de certains médicaments. «Nous avons également débuté notre marche vers l'implantation du financement axé sur le patient», a-t-il ajouté, avant de présenter son projet de loi «qui vise à accroître les pouvoirs de la Régie de l'assurance maladie du Québec».

Les médias n'y ont vu que du feu : enfin, le ministre va donner des dents à la RAMQ pour contrôler la surfacturation faite par les professionnels de la santé, principalement des médecins, comme c'est arrivé dans le passé.

En fait, le véritable rôle du PL 92 est de tenter de corriger les effets pervers et prévus, parce que connus, de l'implantation du futur mode de financement à l'activité (axé sur le patient). D'ailleurs, le groupe d'experts qui avait étudié cette question pour le gouvernement en parlait dans son rapport de 2014. Il disait que dans les pays où ce mode de financement avait été implanté, cela avait causé les problèmes suivants :

• réduction des durées de séjour dans les établissements au détriment de la qualité des soins (on sort le patient plus vite pour le remplacer par un autre : un nouveau revenu) ;

• transfert trop rapide de la responsabilité des patients à d'autres établissements (pour le remplacer par un nouveau patient : un nouveau revenu) ;

• sélection des patients (on choisit celui qui va rapporter le plus, qui coûtera le moins et prendra le moins de temps à soigner) ;

• surprestation de certains soins (on en donnera plus pour réclamer plus) ;

• segmentation des séjours (un retour, c'est un nouveau revenu) ;

• codification à la hausse, pour obtenir un remboursement plus élevé (vous l'ai-je dit : le patient est vu comme un «revenu»!)

Au final, tout cela avait causé une augmentation des coûts!

Mais le groupe d'experts s'empressait d'ajouter qu'on pouvait contrôler ces problèmes inhérents à ce mode de financement en... augmentant les contrôles et l'administration, ce que tout le monde nomme : la bureaucratie.

Le mode de financement à l'activité que veut imposer le ministre (et dont j'ai déjà parlé précédemment) servira à déterminer le prestataire de soins et services (public, privé ou communautaire), parce que le moins cher deviendra le meilleur.

Les prestataires se feront concurrence pour offrir le meilleur coût, avec une qualité à la baisse : à la baisse pour la personne soignée, et à la baisse pour le personnel qui rendra les soins.

Et plus on multipliera les prestataires, plus il y aura de sources de réclamations et de facturations.

En conférence de presse, un journaliste a soulevé cette question du contrôle des données. Il a parlé de la situation actuelle : 55 millions de demandes de paiement par année faites par les médecins, et «220 millions de transactions qui se font dans le monde pharmaceutique», s'est empressé d'ajouter le ministre, pour tenter de transférer le blâme de ses épaules et celles de ses ex-collègues médecins vers celui des pharmaciens et de sa collègue de l'opposition péquiste, la pharmacienne Diane Lamarre.

Combien, croyez-vous, de demandes de paiement s'ajouteront quand tous les budgets des établissements, soins et services, seront dépendants des réclamations suivant un coût fixé pour chaque acte posé?

En décembre 2013, Le Journal de Québec rapportait que la RAMQ allait moderniser son équipement informatique pour passer de 600 opérations codifiées en 1980 à 10 000 aujourd'hui!

Pour s'assurer du respect des normes, des lois et des ententes de facturation, il faudra plus de contrôles : plus d'équipements informatiques, oui, mais aussi plus de personnel.

Ou alors on sous-traitera ces services de contrôle à des firmes privées qui ne nous feront pas de cadeaux pour leurs services. Ces firmes devront aussi à l'occasion faire le sujet de contrôles de la part du Vérificateur général.

Avec toutes ces données et tous ces contrôles, il n'y a aucune économie à l'horizon, mais beaucoup de profits pour les firmes et les privés qui pourront s'enrichir en facturant et surfacturant chaque geste : dans le tsunami de réclamations, les «attrapés» seront minoritaires et les amendes, même haussées, insuffisamment décourageantes.

C'est à cela que sert le projet de loi 92 : à gérer un tant soit peu le marché de la santé et des services sociaux qu'est en train de faire le ministre Barrette.

Et ça, ça ne nous apportera pas plus de soins, ni de services, ni d'économies : seulement un marché de la santé, avec plus de coûts et de bureaucratie!

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