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Mésentente sur les ententes (médicales)

Selon le ministre Barrette, le salariat des médecins causerait une démotivation.
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Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'entente avec la fédération des médecins spécialistes a révélé l'exaspération d'une bonne partie de la population par rapport à notre gouvernement de docteurs, mais aussi des désaccords dans les rangs même du corps médical.

À part la position de Médecins québécois pour le régime public (MQRP), il faut pourtant aller plus loin que les premières critiques, même quand elles semblent faire partie du consensus.

Par exemple, Claude Castonguay à l'émission 24/60 le 19 février dernier, quand il a parlé de l'incompétence du gouvernement, qualifiant les propos du premier ministre Couillard d'âneries : selon lui, le gouvernement a perdu le contrôle sur la rémunération des médecins.

« Quand on a lancé l'assurance-maladie, donnait-il en exemple, on négociait avec les fédérations, et si on voyait en cours de route qu'il y avait un dérapage, comme à un moment donné, je me souviens, les injections pour des varices : ça se multipliait, on aurait dit qu'à peu près toutes les femmes au Québec avaient un problème de varices. On avait stoppé ça, en disant : non, non, on rouvre l'entente parce que ça dépasse une pratique normale. »

On peut imaginer qu'à l'époque de M. Castonguay, il était possible d'agir ainsi alors que la liste des actes médicaux n'était pas encore trop longue ni très détaillée.

Mais aujourd'hui, avec un manuel de facturation de 532 pages pour les omnipraticiens et de 880 pages pour les spécialistes, on peut en douter. Plus de deux cents agences travaillent à facturer la RAMQ en optimisant les réclamations faites pour les médecins, des réclamations que le ministre Barrette a chiffrées lui-même à 55 millions de factures par année. Même la Vérificatrice générale a dit que le gouvernement était incapable de vérifier le bien-fondé de toutes ces demandes de paiement.

Cela n'a pas empêché M. Castonguay de dire que le gouvernement tardait à mettre en place le financement à l'activité des établissements de SSS, ce qui est l'équivalent du mode de rémunération à l'acte des médecins, mais pour financer les établissements!

Faut-il rappeler que le Groupe d'experts qui avait étudié ce mode de financement avait souligné dans son rapport les risques qui s'étaient avérés dans son implantation ailleurs:

  • réduction des durées de séjour dans les établissements, au détriment de la qualité des soins, les patients étant libérés trop rapidement avec le risque de réadmissions ou de complications qui s'ensuit;
  • transfert trop rapide de la responsabilité des patients à d'autres établissements;
  • sélection des patients, les établissements évitant de soigner les patients les plus à risque et préférant les patients susceptibles d'être libérés plus rapidement;
  • surprestation de certains soins, dans le seul but d'obtenir un remboursement;
  • segmentation des séjours;
  • codification à la hausse, qui consiste à classifier le patient selon un diagnostic plus lourd que sa condition réelle, pour obtenir un remboursement plus élevé.

Mais le rapport concluait rapidement qu'on peut gérer ces risques... en augmentant l'administration et les contrôles!

Ainsi donc, suivant M. Castonguay, alors qu'on ne peut gérer les dizaines de millions de réclamations actuelles des médecins, on réglerait le problème en en ajoutant.

« La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent », disait Albert Einstein.

Dimanche soir, c'est à l'émission Tout le monde en parle que l'on critiquait l'entente avec les spécialistes.

Il y avait Frédéric Cloutier, étudiant en médecine, préoccupé de justice sociale qui avait signé une lettre dans le Devoir dénonçant le salaire des médecins, Dr Alain Vadeboncoeur, membre de MQRP dont les propos, bien que modérés, ne laissaient pas de doutes sur son parti pris pour le système public de Santé, et le Dr Hugo Viens, président de l'Association médicale du Québec, et directeur médical à la clinique Dix30 en tant que spécialiste en chirurgie orthopédique. Ses propos sur trois questions ont attiré mon attention.

Sur le projet pilote réalisé à sa clinique à la demande du ministre Barrette, le Dr Viens a simplement dit: « C'est un projet où tout est financé par l'État, c'est des soins publics, mais qui sont juste donnés comme dans un cabinet de médecin. Quand on parle du docteur à son bureau privé, ben en fait c'est parce qu'il paie son loyer, il paie ses secrétaires avec sa rémunération. Ben dans le contexte du Dix-30, c'est le même set-up, ça a été monté par d'autres personnes que les organisateurs ou les administrateurs de l'hôpital, mais pour les services qu'ils donnent, la rémunération vient de la RAMQ. »

C'est sans doute un oubli de sa part de ne pas avoir mentionné que ce projet pilote vise à établir, en clinique privée, les coûts de chirurgies qui serviront ensuite de balises à l'implantation, dans des établissements hospitaliers publics, du financement à l'activité.

Quant à la comparaison avec le docteur qui paie son loyer, un article du Journal de Montréal en a tracé un portrait sensiblement différent.

Sur le salariat possible des médecins, Dr Vadeboncoeur nous a appris qu'au Nouveau-Brunswick, les urgentologues sont salariés, qu'aux États-Unis, modèle capitaliste par excellence, les médecins dans les hôpitaux sont engagés et payés à salaire, mais qu'un système avec salariat mur-à-mur, il faudrait l'inventer. « Mais le salaire n'est pas un péché », a-t-il conclu.

Pour le Dr Viens, si on parle salariat pour les médecins, on parle d'employé de l'État, et là, il y a un paquet d'autres considérations : il faut ajouter la question des fonds de pension, des congés de maternité... « C'est très complexe », a-t-il dit.

Très complexe? Plus complexe que les millions de réclamations des 22 000 médecins d'une cinquantaine de spécialités?

Selon le ministre Barrette, le salariat des médecins causerait une démotivation. Ça ne semble pourtant pas être le cas des médecins qui travaillent dans les sept cliniques privées du Dr Marc Lacroix à Québec : ils sont « salariés à l'heure avec une rémunération qu'il qualifie de «compétitive » avec le système public.» On comprend le Dr Lacroix de ne pas vouloir s'empêtrer dans plus de 1400 pages de détails de paiement : il y perdrait ses profits!

Enfin, sur la réforme Barrette, le Dr Viens a dit qu'il faut reconnaître l'effort, la volonté, le désir derrière ces grands bouleversements qui n'ont pas été faits dans un but négatif ou pour nuire au système, selon lui. « Évidemment, on ne veut pas passer à travers une autre réforme. On va devoir vivre avec ce qui a été mis en place, construire là-dessus et continuer un peu ce qui a été fait », a-t-il conclu.

La réforme Barrette-Couillard ayant pour effet d'ouvrir encore plus notre système public de SSS à la privatisation, on comprend le Dr Viens de vouloir vivre avec ce qui a été mis en place et de continuer ce qui a été fait : c'est dans l'intérêt des investisseurs de sa Clinique et de celles du Dr Lacroix.

À la fin de l'entrevue, Dany Turcotte leur a remis une petite carte débutant par « une pomme par jour éloigne le médecin pour toujours... »

Alain Vadeboncoeur a complété la phrase par la citation de Churchill: « Une pomme par jour éloigne le médecin pour toujours... surtout si on le vise bien!»

Une citation que beaucoup pourraient méditer d'ici le 1er octobre.

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