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Comment faire face au désespoir de l'autre?

Cette phrase ne cessait de résonner dans ma tête: «je suis un être humain». Jamais, je n'avais entendu quelqu'un dire cela avec autant de désespoir.
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«Je suis un être humain». Ça m'est revenu en tête toute la soirée, et ça ne m'a pas laissé depuis.
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«Je suis un être humain». Ça m'est revenu en tête toute la soirée, et ça ne m'a pas laissé depuis.

J'étais dans le métro, j'arrivais au bas de l'escalier roulant quand j'entendis une voix: «Monsieur, s'il vous plaît, pouvez-vous m'aider?»

Une dame âgée était devant moi, désemparée. À ses côtés, un homme plus jeune, tenant un cellulaire dans ses mains, me regardait d'un air plus désemparé encore.

«Quel est le problème, madame?», demandai-je.

«Le monsieur ici a besoin d'aide, il faut appeler l'ambulance, le 911».

Et l'homme d'enchaîner: «Je ne veux pas mourir!»

Cette phrase résonna comme une urgence. Je le regardai rapidement pour déceler quelques blessures, tout en lui demandant s'il avait mal, était-il tombé, avait-il des difficultés à respirer. Mais tout ce que j'obtenais comme réponse était «je ne veux pas mourir», répété avec hésitations, mais surtout avec le regard perdu, triste, égaré, son dos voûté, son expression quémandant de l'aide, de la compréhension, de l'empathie.

Il ajouta tout à coup: «Je ne suis pas un idiot, je suis un être humain...» Ayoye! Pourquoi avait-il dit cela?... Je me tournai vers la dame qui... Elle avait disparu, me laissant seul avec le bonhomme.

«Monsieur, lui dis-je doucement, êtes-vous capable de marcher? Je vais vous amener, on va remonter jusqu'aux guichets d'entrée et on va demander de l'aide, est-ce que ça vous convient?»

«Oui... mais, mais je ne suis pas un idiot, je suis un être humain!», dit-il à nouveau.

Je pris doucement son bras et on marcha lentement. «J'suis pas un idiot!... J'ai une thèse de doctorat!...» «Vous n'êtes sûrement pas un idiot, lui dis-je, vous êtes meilleur que moi, je n'ai pas de diplôme», ce qui sembla le calmer.

Je tentai une conversation logique, comme pour l'amener à reprendre pied: «vous vous appelez comment? Vous avez quel âge? Votre thèse, c'était sur quoi? Où l'avez-vous faite?» Les réponses venaient aisément et sans hésitation. «Où alliez-vous tantôt? Vous étiez en chemin pour le travail? Et où travaillez-vous? Dans une librairie? Et pourquoi vous êtes-vous arrêté tout à coup en chemin?»

Les réponses arrivaient en ordre, jusqu'à cette dernière question: il y eut un silence, un vide dans son regard, comme s'il cherchait lui-même ce qui était arrivé. «Je ne veux pas mourir», fut sa seule réponse. «N'ayez pas peur, monsieur, ça ne vous arrivera pas, je suis avec vous, on va trouver de l'aide.»

À l'entrée, je demandai de l'aide au changeur. Il me dit qu'il appelait Urgences-santé.

J'amenai mon compagnon s'asseoir en lui expliquant ce qui allait arriver, m'enquérant, au passage, s'il se sentait mieux. «Oui... mais... je ne suis pas un idiot, je suis un être humain!», continuait-il de répéter avec son regard presque suppliant. «Oui, vous êtes un être humain et je ne vous abandonnerai pas, je reste avec vous. Soyez tranquille», répondis-je.

Deux ambulanciers finirent par arriver. Pendant que l'un le questionnait, l'autre me regarda. Je commençai à lui expliquer comment tout ça était arrivé quand il me coupa: «Ça va, on le connaît!», lâcha-t-il, avec l'air de dire: encore lui! Je restai bouche bée devant tant de... sollicitude. On n'avait pas besoin de ce que j'avais à raconter.

J'interrompis alors celui qui questionnait pour me pencher vers mon bonhomme. À la surprise des deux ambulanciers, je lui tendis la main en disant: «Monsieur, je vais vous laisser entre les mains de ces personnes. Elles vont vous aider, soyez rassuré. J'espère que vous irez mieux, et je vous souhaite bonne chance.» Il regarda ma main tendue, retira son gant et me tendit la sienne. On se serra la main. «Oui...», dit-il simplement.

Sur le chemin du retour, ça ne cessait de résonner dans ma tête: «je suis un être humain». Jamais je n'avais entendu quelqu'un dire cela avec autant de désespoir.

En arrivant à la maison, j'ai cherché le numéro de l'AGIDD-SMQ, l'Association des groupes d'intervention en défense de droit en santé mentale du Québec. Je leur ai raconté mon aventure et demandé leur avis.

«Les ambulanciers d'Urgences-santé, m'a expliqué l'intervenante, vont le questionner; s'ils jugent qu'il peut être dangereux pour lui ou son entourage, ils vont l'amener à l'urgence psychiatrique où ils peuvent le garder de façon préventive trois jours, ou plus si la cour y consent.»

Peut-être que ce serait mieux pour lui, me suis-je dit. «Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre?», ai-je demandé.

«Lui demander si vous pouviez appeler quelqu'un pour lui, quelqu'un qu'il connaissait, un.e intervenant.e. Ou alors contacter une ressource communautaire en santé mentale, un centre de crise, par exemple, qui aurait pu vous aiguiller, peut-être même venir le chercher.»

Évidemment, ce n'est pas le genre d'informations que j'avais à portée de main.

«Vous auriez pu aussi faire le 8-1-1, Info-Santé et Info-Social, pour avoir de l'aide. Mais parfois, ce service envoi Urgences-santé en renfort. Mais le plus important, monsieur, c'est ce que vous avez fait: vous lui avez parlé normalement, calmement, vous avez bien fait de lui dire à mesure ce que vous proposiez de faire, de chercher son consentement: avoir son assentiment a facilité le contact. Dans sa désorganisation, ça a contribué à le rassurer, à le calmer. Vous avez bien fait, et plus que plusieurs gens auraient fait. La plupart passent leur chemin et ignorent ces personnes en besoin.»

Elle ajouta: «Vous savez, cette phrase, "je suis un être humain", on l'entend si souvent dans la bouche des gens qu'on rencontre dans notre travail...»

«Je suis un être humain». Ça m'est revenu en tête toute la soirée, et ça ne m'a pas laissé depuis.

Selon la Commission de la santé mentale du Canada, un Canadien sur cinq souffre d'un problème de santé mentale ou d'une maladie mentale.

À une semaine d'une mise à jour économique à Québec, je ne peux m'empêcher de penser qu'une baisse de taxes ou d'impôts ne changera rien à cette situation. Ce qu'il nous manque, ce n'est pas quelques centaines de dollars de plus par année dans nos poches, ce sont des ressources publiques et communautaires suffisantes pour répondre à nos besoins.

Je dis «nous» et «nos besoins», parce que personne n'est à l'abri: nous sommes tous des êtres humains.

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