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Salvarsan: la chimie au service de la santé

En 1909, Ehrlich et Hata mettent au point le premier dérivé d'arsenic efficace contre la syphilis. Ehrlich le nomme Salvarsan (Salva, pour sauveur et arsan pour arsénique). Il améliora ensuite son médicament qui fut alors commercialisé en 1912 sous le nom de Néosalvarsan.
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Les premières percées en termes de produits pharmaceutiques ont relevé surtout des sciences biologiques. On pense au vaccin contre la variole élaboré par Jenner en 1791 à partir de pus prélevé sur la main d'une fermière qui avait trait une vache atteinte. Quant à la morphine, à la quinine et à l'aspirine, elles proviennent de produits isolés à partir de plantes. Mais les prémisses d'un mariage entre la chimie et la pharmacologie étaient déjà bien en place à la fin du 19e siècle. On n'a qu'à se rappeler l'exemple de Bayer, une compagnie spécialisée dans la création et la production de colorants qui vit sa vocation changer brusquement de cap avec la découverte de la célèbre aspirine (1899) par l'un de ses chercheurs, Felix Hoffman.

Avec sa thèse de doctorat portant sur les produits de coloration des cellules animales en 1878, un jeune docteur allemand, Paul Ehrlich, allait souder ce lien entre pharmacie et substances chimiques. En réalité, Ehrlich allait connaître trois carrières, chacune axée sur des sujets de recherches différents.

Les colorants tissulaires

Le jeune médecin avait remarqué que les tissus biologiques réagissaient différemment selon le colorant utilisé. Par exemple, il avait noté que le bleu de méthylène pouvait colorer spécifiquement les tissus nerveux. Il fut le premier à pouvoir colorer le bacille de Koch, responsable de la tuberculose. Il est aussi à l'origine d'une classification Gram (positif ou négatif) caractérisant les diverses bactéries en acidophiles, neutrophiles ou basophiles.

Réactions antigènes - anticorps

Il entreprend ensuite des travaux en immunologie dans lesquels il met en lumière la réponse immunitaire axée sur les réactions antigènes - anticorps. Ces découvertes lui valent le prix Nobel de médecine et de physiologie en 1908.

À la recherche de la balle magique

C'est alors qu'il élabore l'hypothèse que : d'une part, si un antigène peut induire une réaction spécifique avec un anticorps donné et d'autre part, les produits chimiques contenus dans les colorants utilisés en bactériologie peuvent cibler des cellules spécifiques sur lesquels ils peuvent agir, alors il doit exister des produits chimiques capables de cibler des agents pathogènes spécifiques. Il s'agirait de véritables balles de fusil capables de cibler un seul type cellulaire et de l'anéantir sans nuire aux autres cellules présentes.

Il étudia des centaines de composés chimiques et les testa sur divers pathogènes. Son hypothèse de départ fut qu'un colorant capable de cibler un pathogène pourrait tuer ce pathogène s'il était injecté à plus fortes doses. Il mit ainsi au point le rouge trypan efficace contre le trypanosome, le protozoaire responsable de la maladie du sommeil. Ses recherches l'amenèrent à produire un grand nombre de composés organiques à base d'arsenic.

Trois éléments allaient le propulser vers sa plus grande découverte:

  • Une sévère épidémie de syphilis faisait alors rage en Europe.
  • La bactérie responsable (un spryrochète) de cette maladie, le Tréponème pâle (Treponema palladium) venait d'être identifié par les chercheurs.
  • L'arrivée dans son équipe de Sahachiro Hata, qui avait mis au point une méthode pour inoculer la syphilis à des lapins.

Sur la piste de la syphilis

Avant cette découverte, il existait peu de moyens capables de guérir la syphilis. Comme remède alors, on prescrivait des diètes, des saignées, des cures thermales, des purges et... des prières. Existaient aussi le mercure, fort éprouvant pour le patient et bien souvent plus mortel que la syphilis même ainsi que des décoctions de bois de gaïac, fort limitées en termes d'effets. Bien des gens célèbres avaient perdu la vie è cause de la maladie, soulignons les rois d'Angleterre Henri VIII (ainsi que cinq de ses épouses !) (1547), Édouard IV (1553), Franz Schubert (1828), Charles Baudelaire (1867), Alphonse Daudet (1897) et plusieurs autres. La première vague de cette épidémie est apparue à Naples et aurait été importée d'Amérique suite au retour de Christophe Colomb et ses hommes. L'hypothèse de l'origine américaine de la syphilis fut ensuite mise en doute par la découverte d'ossements de moine de l'Ordre de Saint-Augustin dans le nord-est de l'Angleterre. Ces ossements étaient recouverts de stries typiques du troisième stade de la maladie et dataient du 12e et 13e siècle. Mais des études génétiques réalisées depuis peu montreraient que les souches du tréponème trouvées en Angleterre différeraient beaucoup de celles arrivées à Naples en 1494. Ce qui accrédite à nouveau la thèse de l'importation de la syphilis du Nouveau Monde et son arrivée en région napolitaine. La grande épidémie européenne aurait donc effectivement commencé en Italie à la toute fin du 15e siècle.

Un premier exemple de coopération internationale

En 1885, Shibasaburo Kitasato, un chercheur japonais de grande renommée se rend en Allemagne pour travailler au laboratoire de Robert Koch, le découvreur du bacille qui porte son nom, bacille responsable de la tuberculose. C'est là qu'Ehrlich fait sa connaissance et se lie d'amitié avec lui. Kitasato revient au Japon en 1892 et continue à y faire des recherches et à enseigner. Une dizaine d'années plus tard, il enverra son élève particulièrement prometteur, le bactériologiste, Sahachiro Hata, assister le professeur Ehrlich dans ses recherches sur la syphilis.

Enfin le MAGIC BULLET : le numéro 606

Ehrlich et Hata se mirent donc en frais de tester les composés chimiques mis au point sur des lapins syphilitiques pour trouver la substance, le magic bullet qui viendrait à bout de la maladie. Ici, les versions diffèrent, certains disent que ce fut le 6e de la 6e série de substances testées et d'autres affirment que ce fut la 606e substance testée qui apporta la solution. La balle magique venait néanmoins d'être trouvée et elle porterait le numéro 606.

En 1940, Edward G. Robinson incarnera Paul Ehrlich dans un film de William Dieterle intitulé Dr Ehrlich's Magic Bullet retraçant l'œuvre scientifique du fameux docteur et son 606.

En 1909, Ehrlich et Hata mettent donc au point le premier dérivé d'arsenic efficace contre la syphilis. Ehrlich le nomme Salvarsan (Salva = Sauveur et Arsan pour arsénique). Il améliora ensuite son médicament qui fut alors commercialisé en 1912 sous le nom de Néosalvarsan. Ce numéro 914, toujours dans sa suite de composés à base d'arsenic offrait un potentiel de guérison légèrement plus faible, mais était moins toxique, plus facile de fabrication et, étant plus soluble, il était aussi plus facile à administrer.

Le rapport Belmont

En plus d'innover en devenant le premier médicament issu de synthèses chimiques, l'arrivée du Salvarsan, allait contribuer à la création, plus de 70 ans plus tard du célèbre rapport Belmont qui établissait les principes de base d'éthique en matière d'expérimentation humaine. L'histoire d'horreur qui allait mener à ces politiques aujourd'hui universellement admises vaut la peine d'être rappelée. Elle a été connue sous le nom de l'étude de Tuskegee.

Le tout débute en 1932, sous l'impulsion d'un groupe qui jugeait que les traitements alors disponibles contre la syphilis étaient toxiques, dangereux et pas assez efficaces. L'étude avait pour but premier de vérifier si les patients ne seraient pas finalement mieux sans ces traitements. Ils choisirent dans l'État d'Alabama, dans un petit village nommé Tuskegee, un groupe de 399 patients, tous des Afro-américains pauvres et illettrés pour conduire leur expérience. En réalité, on voulait étudier le déroulement biologique de la syphilis sur des sujets non traités. Même après l'arrivée de la pénicilline en 1945, on continua à leur refuser tout traitement même si ce dernier aurait pu les sauver. L'étude s'est poursuivie jusqu'en 1972, alors qu'un épidémiologiste du Département de santé publique américain eut décidé d'informer la presse écrite de l'existence de cette étude. Le Washington Post puis le lendemain, le New York Times ont fait écho du scandale. Le sénateur Edward Kennedy organisa des auditions parlementaires, ce qui donna naissance au rapport Belmont et qui permit d'offrir une compensation de 9 millions de dollars et les soins appropriés pour les victimes de cette étude. En mai 1997, le président Bill Clinton présenta des excuses officielles pour cette étude désastreuse et raciste.

Paul Ehrlich est considéré comme un des pères de la chimiothérapie et des médicaments de synthèse. Sa passion, sa persévérance et son approche méthodique lui ont permis d'étudier des milliers de composés chimiques dont deux, le Salvarsan (no 606) et le Néosarvarsan (no 914) connurent une application pharmacologique. Ehrlich était connu comme un travailleur infatigable, bon et modeste. Il mangeait peu, mais fumait au moins 25 cigares par jour. On le voyait souvent déambuler dans les corridors de l'université avec sous le bras une boîte de ces cigares. Une rue de Frankfurt en Allemagne porte son nom: Paul Ehrlichstrasse. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, le nom de la rue fut changé, parce que Erhlich était juif. Après la guerre, elle reprit son nom. Même sa ville natale, Strehlen changea de nom pour celui de Ehrlichstadt en son honneur.

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