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La vie de Roger: un désastre pavé de cocaïne

La vie nous joue parfois de sales tours et ce qui s'annonçait comme une promotion inespérée se transforma bientôt en cauchemar pour le jeune couple.
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Quelques mois après qu'une nouvelle descente de police a fermé définitivement la baraque, Roger a commencé la troisième étape de sa descente aux enfers: l'itinérance.
D-Keine via Getty Images
Quelques mois après qu'une nouvelle descente de police a fermé définitivement la baraque, Roger a commencé la troisième étape de sa descente aux enfers: l'itinérance.

Vers la fin des années 1960, il écumait les discothèques à la mode et il était difficile de compter ses succès auprès de la gent féminine. C'était un beau garçon, pas trop grand, juste ce qu'il faut. Il avait toujours rêvé de devenir pompier ou policier.

Son père étant alcoolique, il ne se résignait pas à laisser sa mère seule avec lui, ce qui lui aurait pourtant permis d'aller suivre une formation à l'école de police de Nicolet. Alors il fit une croix sur sa carrière et occupa plusieurs petits emplois où il réussissait somme toute fort bien.

Son frère aîné épouse une femme qui fait carrière comme gardienne de prison. Elle lui en parle et notre jeune homme est tout fier de poser sa candidature. Elle l'aide même à préparer son entrevue. Roger obtient le poste de gardien de pénitencier et il n'était pas d'homme plus fier que lui en ville.

Quelques mois plus tard, son père décède des suites d'un diabète devenu incontrôlable, car il n'avait jamais arrêté de s'enivrer.Après quelques années de travail, Roger a une belle situation, une automobile neuve et un bel appartement. Il rencontre une jeune fille et l'épouse. Il était beau à voir le jour de ces noces, sa mère n'était pas peu fière. Mais contrairement aux contes de fées, ils n'eurent cependant pas le temps d'avoir de nombreux enfants. En fait, et à la lumière de ce qui s'est passé après, heureusement, ils n'en eurent aucun.

La vie nous joue parfois de sales tours et ce qui s'annonçait comme une promotion inespérée se transforma en désastre pour le jeune couple.

Un nouveau pénitencier venait d'ouvrir ses portes dans une région fort éloignée des grands centres. On offrait à Roger un poste plus élevé, une augmentation de salaire substantielle et on assumait même les coûts rattachés à l'installation du jeune couple dans le village voisin.

Nos tourtereaux acceptèrent tout de go et sautèrent dans le premier avion les menant dans leur nouveau paradis. Ils avaient de quoi se payer la plus belle chaîne stéréo, le plus gros téléviseur et chacun une automobile du modèle de l'année. Quel bonheur de pouvoir se payer tout ce qu'on a désiré pendant si longtemps.

Les paradis terrestres ont tendance à ne pas être éternels et quelques mois après avoir commencé leur nouvelle vie, l'ennui commença à gagner d'abord la conjointe qui se trouvait ici loin de sa famille, de ses amies et qui n'avait pas d'emploi. Roger rentrait du boulot souvent épuisé et il n'avait pas souvent l'envie de franchir les quelques centaines de kilomètres qui les amèneraient dans la grande ville la plus proche pour se divertir, aller danser, ou au cinéma ou au restaurant.

Un soir, Roger rentra chez lui et trouva la maison bien vide. Son épouse avait plié bagage et avait décidé de demander le divorce.

Roger continua pendant un certain temps son travail comme si de rien n'était. Puis un soir, il décida d'aller danser en ville, question de se distraire. Au bar, il rencontra des copains. Alors qu'il disait qu'il se sentait fatigué parce qu'il avait pris quelques bières, un bon samaritain l'initia à la prise de cocaïne.

Roger trouva l'effet extraordinaire. Comme il occupait un poste bien rémunéré, l'achat de cocaïne ne présentait pas un problème majeur alors. Il lui arrivait souvent de payer la traite aux filles et à ses amis du coin. C'est fou ce que Roger pouvait avoir comme amis. Ils étaient aussi nombreux qu'insatiables. De plus, comme Roger consommait de plus en plus, même son salaire n'arrivait plus à couvrir ses dépenses.

La descente commençait. Il commença par vendre sa maison. Après tout, vivant seul, qui a besoin d'une si grande maison?s'était-il dit. Mais une fois les maigres profits dépensés en poudre et en alcool, le problème du manque d'argent réapparut de plus belle. Un autre bon samaritain lui suggéra l'idée du siècle. Comme il était gardien du pénitencier, il lui serait facile de faire entrer de la drogue à l'intérieur de la prison et de gagner beaucoup d'argent.

Roger ne se rendait pas compte combien il perdait en estime de lui en se livrant à ce marché. Il avait été si fier d'obtenir ce poste. C'était là l'idéal de toute sa jeunesse. Mais le besoin de cocaïne l'emportait sur toute autre considération.

Bien sûr, Roger finit par se faire prendre et comme, à l'époque, le service pénitencier ne tenait pas à faire trop de publicités sur l'événement, on offrit à Roger de quitter volontairement et surtout discrètement son emploi en démissionnant de ses fonctions. En échange, on lui remettait une prime équivalente à six mois de salaire et on lui remettait tout l'argent qu'il avait amassé dans un fonds de pension pendant les cinq années de service qu'il avait terminées.

Pour Roger, c'était le pactole. Il revint à Montréal, s'acheta un édifice appartement délabré du centre-ville et y démarra une piquerie. Connaissant bien ce milieu maintenant, il croyait devenir riche bien vite tout en pouvant se procurer sa cocaïne à meilleur prix. Bien nanti et bien organisé, il était à l'abri des coups durs, du moins le pensait-il.

Mais il se fit voler deux ou trois fois et quelques descentes de police ont bientôt fait fuir sa clientèle. Il ne restait que quelques junkies, des habitués qui payaient mal d'ailleurs. Un soir de découragement, Roger prit sa seringue et s'injecta un speedball. Tout en injectant le précieux liquide, il réalisa qu'il venait de faire une erreur. Il n'avait pas pris SA seringue, mais plutôt celle d'une de ses rares clientes. Le hic est que Roger savait qu'elle était atteinte du SIDA; l'hépatite fut contractée en bonus.

Quelques mois plus tard, une nouvelle descente de police ferma définitivement la baraque. Roger commençait alors une troisième étape de sa descente aux enfers: l'itinérance. Sa mère décéda durant l'année, il ne le sut jamais.

Ce n'est que deux ans plus tard que la sœur de Roger sut enfin où il était. Un hôpital l'a contacté pour l'informer qu'il y avait été admis, comateux et sauvagement battu. Les tests démontraient qu'il était séropositif au VIH et à l'hépatite.

Nous sommes aujourd'hui 15 ans après ces événements. Ne cherchez plus le beau jeune homme des années 1960, ni même un bel homme mature. Vous allez peut-être rencontrer Roger, quêtant dans le centre-ville de quoi se payer son prochain gramme.

Ses joues creusées par les médicaments et la misère, son crâne dégarni, il lui arrive parfois de penser encore à la belle époque où il a été presque un policier.

Il a alors bien hâte qu'un généreux piéton lui glisse le deux dollars qui lui manque pour se payer sa prochaine injection pour croire encore une petite demi-heure qu'il est beau, riche et puissant.

Ce texte fait partie d'un livre que j'ai eu l'honneur de signer et qui parut en 2006 aux éditions Publistar. Le livre était intitulé: Cocaïne, la poudre de l'ennui et inspiré de la série documentaire Vices cachés. La semaine prochaine, j'aborderai quelques pistes de solution énoncées dans ce même livre.

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