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Il était une fois la maladie: la pilule qui a changé la société

Né durant les années 1950-1960, son premier nom commercial fut l'Enovid. Il s'appela contraceptif oral, pilule anticonceptionnelle ou plus familièrement: LA pilule.
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Bien des médicaments sont apparus suite aux nécessités provoquées par les guerres ou pour traiter certaines maladies. Celui-ci est né d'une révolution. La plupart des médicaments répondent aux besoins des individus, celui-ci à ceux d'une société. Et c'est probablement le seul médicament à pouvoir affirmer avoir changé la société.

Né durant les années 1950-1960, son premier nom commercial fut l'Enovid. Il s'appela contraceptif oral, pilule anticonceptionnelle ou plus familièrement: LA pilule. Quoique bien des gens aient travaillé à partir du début du vingtième siècle sur l'étude du fonctionnement de la reproduction humaine et sur les hormones qui y jouent un rôle, la pilule eut officiellement deux mères et trois pères.

L'avant-pilule

La Deuxième Guerre mondiale avait changé le monde à bien des égards. Elle avait aussi fourni l'assise à une grande révolution qui allait modifier la société. Pour faire tourner les usines de guerre et pour assurer l'économie pendant que les hommes se battaient dans les tranchées, les femmes avaient dû quitter le foyer familial et travailler à l'extérieur. Découvrant par le fait même les bienfaits de l'autonomie, lorsque la guerre prit fin, le mouvement de libération de la femme naquit. Désormais, les femmes voulaient avoir les mêmes privilèges que les hommes.

Le mouvement des suffragettes aux États-Unis réclamait le droit de vote pour les femmes. Deux de ces activistes, une infirmière, Margaret Sanger, et une biologiste (la première femme diplômée en science, au célèbre Massachussett Institute of Technology, M.I.T.), femme d'affaires et veuve multimillionnaire, Katharine Dexter McCormick, avaient compris que l'indépendance des femmes devait obligatoirement passer par leur libération sexuelle. La femme devait être libre d'enfanter lorsqu'elle le souhaitait.

Des méthodes qui n'apportaient pas de résultats

Il faut avouer que ce qui avait été proposé aux femmes avant les années 1950 n'était pas satisfaisant. Pour s'amuser, soulignons ce truc donné au Moyen Âge pour éviter de tomber enceinte: la femme devait cracher trois fois dans la bouche d'une grenouille. Plus sérieusement, il y avait le coït interrompu (de tous les temps) ou encore la méthode Ogino-Knauss (1928), aussi dite, méthode du calendrier. Puis se popularisa au début des années 1950 la méthode sympto-thermique mise au point par le Hollandais Van de Velde et expliquée dans un ouvrage populaire du gynécologue allemand Gerhard Döring. Mais dans tous ces cas, les taux de succès étaient très faibles. Il fallait trouver mieux et c'est ce à quoi s'employèrent nos deux suffragettes dès le début des années 1950.

Margaret Sanger

Plusieurs facteurs allaient amener cette infirmière à militer en faveur de la contraception. Sa mère avait eu 18 accouchements dont onze de ces bébés réussirent à survivre. Son père était un ouvrier et la famille vivait très pauvrement. Margaret travaille comme infirmière dans les bas fonds new-yorkais. Elle défie les lois d'alors qui interdisaient toute contraception, et même tout enseignement de la contraception en écrivant une série d'articles intitulés: Ce que chaque fille devrait savoir et publie un journal: La femme rebelle.

De plus, ultime offense pénale pour l'époque, elle ouvre ce qu'elle nomme une clinique de proximité pour aider les femmes à planifier les naissances. Elle y invente le terme contrôle des naissances. En 1920, elle doit quitter les États-Unis pour se réfugier en Europe afin d'échapper aux poursuites judiciaires qui s'accumulent contre elle. Sa position devient plus controversée lorsqu'elle promeut l'idée d'un eugénisme négatif. Elle écrira d'ailleurs: «Toutes les misères de ce monde sont imputables au fait que l'on permet aux irresponsables ignorants, illettrés et pauvres de se reproduire sans que nous ayons la moindre maîtrise sur leur fécondité.» (Référence: cité dans «Margaret Sanger, father of modern society» par Elasah Drogin, New Hope, KY, U.S.A.1985.)

Elle recevra même à son domicile, Eugène Fischer, médecin, généticien et conseiller d'Adolf Hitler en matière raciale. Mais Margaret Sanger n'adhère pas à l'idéologie hitlérienne qu'elle dénonce avec véhémence. De son côté Hitler brûle les livres de Sanger avec ceux de Freud. Elle est aussi contestée dans la communauté des Afro-américains, car plusieurs de ceux-ci voient dans les travaux de Sanger une manière d'éliminer les Noirs des États-Unis ou, en tous cas, de diminuer leur importance démographique. Mais Sanger recevra l'appui de Martin Luther King qui réhabilitera sa réputation auprès de cette population.

Margaret Sanger est une des mères du contrôle des naissances.

Katharine Dexter McCormick

L'autre mère possède un profil social à l'opposé de celui de Mme Sanger. Katharine Dexter naît en 1875 d'une famille riche. Son père est un célèbre avocat à Chicago. En 1904, elle épouse Cyrus McCormick, lui-même héritier d'une fortune colossale. En 1906, il souffre de troubles mentaux sévères et est hospitalisé pour schizophrénie. En 1909, Katharine se voit confier la gestion de la moitié de la fortune de son mari, l'autre étant administré par la famille de celui-ci. Elle deviendra une grande philanthrope. Elle joint la ligue pour le vote des femmes dès 1909. En 1920, elle fait la rencontre de Margaret Sanger et importe des diaphragmes pour les fournir à la clinique fondée par Sanger. En 1937, sa mère décède lui laissant une fortune de plus de 10 millions de dollars. Puis en 1947, son mari meurt lui laissant 35 millions de dollars additionnels. Katharine fonde alors la Neuroendocrine Research Fondation à l'école de médecine d'Harvard. En 1953, Margaret Sanger lui présente un biologiste qui avait travaillé sur la fertilité, le Dr Gregory Goodwin Pincus. Katharine fournira plus de deux millions de dollars pour que le Dr Pincus puisse continuer ses recherches et mettre au point la pilule anticonceptionnelle. On peut donc affirmer que Katharine D. McCormick a été la deuxième mère de la pilule anovulante.

Les trois pères

Gregory G. Pincus, docteur en biologie, mène depuis les débuts de sa carrière diverses recherches sur la fertilité. Il réussit en 1934, la première fécondation in vitro sur un lapin. Puis en 1937, il réussit à reproduire un lapin par parthénogenèse, ce qui eut l'heur de déplaire à ses directeurs à Harvard. Il quitte donc la célèbre université et crée en 1944 le Worcester Foundation for Expiremental Biology.

Dès 1945, il s'adjoint les services d'un biologiste d'origine chinoise : Min Chueh Chang. Ils partagent leurs intérêts sur la fécondation in vitro et travaillent bien ensemble. Par ailleurs, en 1951, Carl Djerassi, Luis E. Miramontes et George Rosenkranz synthétisent la noréthindrone, un prostagène.

En 1953, après leur rencontre avec Sanger et McCormick, Pincus et Chang n'hésitent pas à se lancer dans l'aventure pour créer une pilule contraceptive. Chang avait d'ailleurs déjà travaillé sur les effets de la progestérone pour stopper l'ovulation. C'est ainsi que Pincus et Chang synthétisèrent l'Enovid.

À ces deux pères de la pilule anticonceptionnelle, il faut en ajouter un troisième: le docteur John Rock. Cet obstétricien gynécologue né en 1890, père de cinq enfants, était reconnu comme un grand spécialiste des problèmes reliés à l'infertilité. Il avait aussi accepté l'idée du contrôle des naissances. Durant les années 1930, il avait ouvert une clinique où il enseignait le contrôle des naissances par la méthode dite du calendrier, la seule acceptée par l'Église catholique et publie en 1949 un ouvrage intitulé : Voluntary Parenthood à l'intention du grand public.

C'est lui qui sera chargé par Pincus et Chang des tests de l'Enovid sur les humains. Il y réussit admirablement bien. En effet, dès 1957, la Food and Drug Américaine (FDA) approuve la vente de la pilule pour corriger les problèmes menstruels et dès 1960 pour ses effets comme contraceptif oral. Mais il ne connut pas le même succès pour faire approuver cette même pilule par son Église.

En 1958, le pape Pie XII approuve l'usage de la pilule pour corriger les problèmes menstruels et permettre aux femmes aux cycles irréguliers d'augmenter leur chance d'avoir des enfants. Mais devant l'usage contraceptif, une encyclique est publiée en 1968 pour camper la position de l'Église catholique contre la pilule anticonceptionnelle. C'est une grande déception pour le Dr Rock qui cesse dès lors de fréquenter la messe.

C'est d'ailleurs au Dr Rock qu'on doit l'idée de 21 pilules actives et 7 placebos par paquets de 28 pour simuler un cycle naturel de reproduction. En maintenant le cycle menstruel intact avec menstruations aux 28 jours, il croyait que les femmes se sentiraient plus rassurées et que les religions accepteraient plus facilement cette contraception. Et il n'eut pas tort en ce qui eut trait à l'acceptation populaire, car la pilule prit rapidement son envol.

Un essor rapide

Dès les premières années de l'apparition de la pilule, malgré certains effets secondaires dus aux concentrations d'hormones qui étaient alors très fortes, on estime que plus d'un million d'Américaines utilisaient déjà la fameuse pilule. Au fil des ans, les concentrations diminuèrent rapidement et la pilule, après plus de 50 ans d'utilisation a su prouver sa sécurité. Aujourd'hui, on estime à plus de 100 millions de femmes qui l'utilisent régulièrement comme moyen contraceptif. Une petite pilule qui a changé le monde.

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Mai 2017

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