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Il était une fois la maladie: la naissance de la chimiothérapie

Le terme chimiothérapie provient de deux mots grecs signifiant les soins par la chimie. Le premier à l'utiliser fut, le docteur Paul Ehrlich qui mit au point, en 1909, le premier médicament de synthèse : le Salvarsan qui réussit à venir à bout de l'épidémie de syphilis qui faisait alors rage en Europe.
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Le terme chimiothérapie provient de deux mots grecs signifiant les soins par la chimie. Le premier à l'utiliser fut, souvenons-nous, le docteur Paul Ehrlich qui mit au point, en 1909, le premier médicament de synthèse : le Salvarsan qui réussit à venir à bout de l'épidémie de syphilis qui faisait alors rage en Europe. Il fut aussi le premier à utiliser le terme de chimiothérapie, car le médicament était créé uniquement à partir de produits chimiques. Puis le terme allait tomber en désuétude.

D'abord une histoire de guerre

Le 22 avril 1915 allait initier un triste anniversaire dans le monde. Dans une attaque, nommée la deuxième bataille d'Ypres (du nom de la ville belge où elle s'est produite), les Allemands utilisent une arme chimique redoutable : le gaz moutarde, nommé depuis Ypérite par les Français pour conserver souvenir de cette atrocité. Durant cette attaque, plus de 5 000 soldats français, surtout des Bretons et des Normands, moururent dans l'heure qui suivit l'épandage allemand. Fait à noter, les Allemands n'utiliseront plus cette arme durant la Seconde Guerre mondiale même s'ils en avaient préparé des stocks considérables qu'on a découverts après la guerre. Probablement ont-ils craint que les alliés n'utilisent aussi le gaz moutarde contre la nation allemande, comme quoi la peur peut être le commencement de la sagesse...

Mais la première synthèse de l'ypérite s'était produite bien avant. Un savant Anglais, Frederick Gunthrie (1833 - 1886) avait en effet combiné en 1860 de l'éthylène avec du bichlorure de souffre (SCl2) et constaté les effets du gaz ainsi produit sur son propre épiderme. Puis deux chimistes allemands, Lommel et Steinkopf, élaborèrent la technique pour fabriquer le gaz en grande quantité, d'où vient le nom allemand du produit LOST (LOmmel - STeinkopf). Gaz moutarde, ypérite et LOST sont les principales dénominations pour désigner ce gaz hautement vésicant qui s'attaque prioritairement aux muqueuses humides : tels les yeux, les poumons, les lèvres et les peaux molles. Dès 1918, la Croix rouge lança un appel à toutes les nations pour interdire l'utilisation de telles armes. Il lui faudra attendre plus de 70 ans pour que son vœu ne se réalise ce qui n'empêcha pas les Japonais de l'avoir utilisé durant la guerre d'Asie qui se termina par l'explosion atomique d'Hiroshima et Saddam Hussein de s'en être servi contre sa propre population d'origine Kurde (1988) et dans sa guerre contre l'Iran (1990-1991). Encore de nos jours, bien des nations craignent que des tyrans qui n'ont plus rien à perdre ne l'utilisent.

De l'horreur au bonheur

L'année 1942 allait apporter un tournant décisif et plus positif au gaz moutarde. Deux chercheurs déjà illustres malgré leur jeune âge (fin de la trentaine) allaient être recrutés par l'Armée américaine pour étudier les effets de l'ypérite. L'idée de base était de découvrir un antidote contre cette arme, si jamais les Allemands décidaient d'y avoir recours. Les deux pharmacologues, Alfred Gilman et Louis Goodman venaient de publier un livre qui fait toujours office de bible dans le monde pharmacologique, un compendium complet et précis des médicaments et agents chimiques thérapeutiques ainsi que l'état des connaissances sur leur mécanisme d'action. Forts de cette expérience, les deux pharmacologues découvrent très tôt les effets cytotoxiques de l'ypérite. En effet, lors d'autopsies pratiquées sur des soldats intoxiqués, on remarquait la présence constante d'une importante hypoplasie lymphoïde (baisse du nombre de globules blancs dans le sang).

Gilman et Goodman testèrent donc l'utilisation du produit sur des souris atteintes de cancer des cellules sanguines. L'essai s'avéra un succès. Tant et si bien que notre duo convainquit un médecin chirurgien d'en faire au plus vite l'essai sur un humain. L'effet s'avéra tout aussi impressionnant. En moins de 48 heures, les tumeurs avaient commencé à se résorber. Au jour cinq, la tumeur avait disparu. Bien sûr, tout comme chez les souris, la tumeur chez l'humain pouvait réapparaître et alors, une deuxième chimiothérapie s'avéra moins efficace que la première fois. Le fait que la tumeur puisse réapparaître n'enleva rien au fait qu'une nouvelle thérapie venait de rejoindre la chirurgie et la radiothérapie dans les traitements des cancers et cette nouvelle thérapie allait définitivement porter le nom de chimiothérapie. Et c'est ainsi qu'est officiellement né le premier agent chimiothérapeutique en 1946 : la caryolysine. La caryolysine forme aussi la première classe d'un type de médicaments anticancéreux : les agents alkylants. Avec les années, d'autres produits s'ajouteront à cette classe comme les cyclophosphamides, les ifosfamides, le chlorambucil, etc.

Autres classes d'agents chimiothérapeutiques

Parmi les autres classes, notons les anti-métabolites. L'un des premiers anti-métabolites découverts fut le sulfamide, qui fut le fruit de l'effort du Docteur G. Domagk qui l'utilisa comme antibiotique. Arrive ensuite l'aminoptérine, que le Dr Sydney Faber utilisa pour la première fois en 1947 pour lutter contre la leucémie chez un enfant, ce qui lui valut le titre de père de l'oncologie pédiatrique. Puis firent leur apparition le méthotrexate suivi par les analogues pyrimidiques vers la fin des années 1940, début des années 1950.

Quand le pays s'en mêle

En 1955, le NCI (National Cancer Institute) instaure un programme de criblage systématisé des molécules sur la base des expériences qui avaient été effectuées sur la leucémie des souris. Fort des succès remportés par la NASA dans le domaine de la conquête de l'espace (l'homme avait mis le pied sur la lune en 1969), Richard Nixon lance son programme Conquête du Cancer en 1971. Un tel déploiement de ressources stimula la recherche sur le cancer et plusieurs médicaments firent leur apparition dans le domaine de la chimiothérapie.

On pourrait parler de James C. Wang, ce professeur de l'Université Harvard qui découvrit les topoisomérases, une autre classe d'agents anticancéreux qui agissent non plus sur la structure de l'ADN, mais sur sa configuration spatiale. Il faudrait aussi souligner l'histoire extraordinaire de ce pharmacien, Pierre Potier qui en 1968 perdit son épouse d'un cancer du sein. Ce drame le convainquit de changer son domaine de recherche pour celui du cancer. On lui doit les découvertes de la vinorelbine (Navelbine) un médicament utilisé dans la lutte contre le cancer du sein et celui du poumon et le docetaxel (Taxotère) principalement utilisé contre le cancer du sein.

Des chercheurs canadiens

Deux chercheurs canadiens, Robert L. Noble et Charles T. Beer, commencèrent des recherches sur une fleur que les indigènes de Madagascar utilisent comme coupe-faim lors de leurs longs voyages en mer. Nous sommes alors à la même époque où l'insuline fut découverte. Nos chercheurs se disent donc que si cette pervenche de Madagascar possède des propriétés pour couper l'appétit, peut-être joue-t-elle un rôle dans le contrôle de l'insuline. Mais les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Les alcaloïdes extraits de la plante n'agissent pas sur le contrôle de la glycémie. Par contre, ceux-ci présentent un effet marqué pour stopper la prolifération cellulaire en empêchant les microtubules de pouvoir se structurer pour débuter la division cellulaire. Ainsi sont apparues la vincristine et la vinblastine.

La polychimiothérapie

En 1974, trois chercheurs du Dana-Farber Cancer Institute aux États-Unis, les docteurs Emil Frei, Emil Freireich et James Holland, décident de combiner deux médicaments chimiothérapeutiques pour traiter la leucémie. Le traitement conduisit à la première guérison d'un cancer. Le 7 avril 2004, les chercheurs furent honorés en recevant le Amercan Association for Cancer Research Award en reconnaissance de leurs travaux.

Et pour l'avenir

En 1971, par son programme Conquête du cancer, Richard Nixon visait à trouver un remède contre le cancer dans les 10 prochaines années, donc avant 1981. Un constat d'échec s'impose. Mais si le cancer ne fut pas vaincu, plusieurs batailles furent gagnées et l'espérance de vie pour les personnes atteintes a augmenté considérablement au cours des 40 dernières années. Aux chimiothérapies cytotoxiques conventionnelles telles que décrites ci-haut, s'ajoutent de plus en plus des médicaments chimiothérapeutiques dits ciblés qui ne touchent que les signaux vitaux pour les cellules cancéreuses et non les cellules saines. Ces thérapies ciblées en sont à leur début et déjà certains médicaments ont fait leur apparition comme l'IRESSA® (géfitinib). Il faut aussi mentionner l'imatinib : il fut le premier médicament anticancéreux « propre ». Dans le domaine de la lutte contre le cancer avec des armes (et non des larmes) ciblées, il y a un avant et un après l'imatinib (Gleevec).

D'autres voies s'annoncent aussi prometteuses comme les thérapies géniques et les médicaments issus des biotechnologies. Alors que durant les années 1970, on parlait du cancer, on parle aujourd'hui des cancers et demain on parlera du cancer personnalisé avec des combinaisons individualisées de divers traitements. Il convient aussi de souligner toutes les recherches en cours portant sur les cellules souches qui s'avéreront certainement une thérapie prometteuse en soins personnalisés. Radiologie, chimiothérapie, chirurgie, hormonothérapie et thérapie ciblée et cellules souches seront administrées à chacun dans un ordre et un dosage qui pourra différer d'un individu à l'autre en accord avec le type de cellules cancéreuses et des réactions individuelles aux traitements. Le cancer ne sera plus une sentence de mort à court terme, mais, à défaut d'en être guéri, la maladie pourrait devenir chronique et gérable à long terme.

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