Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Maladie sacrée, grand mal, petit mal et masturbation

Au 19e siècle, l'idée était fort répandue et acceptée que l'épilepsie fût causée par la masturbation.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Elle est connue depuis au moins 4 500 ans avant Jésus-Christ. Ainsi en Inde, dans la médecine ayurvédique, le Charaka Samhita la cite sous le nom de «apasmara» qui se traduirait par «perte de conscience». Dans le peuple babylonien, elle est connue sous le nom de «beni» et chez les Égyptiens dans le fameux papyrus Ebers sous celui de «nsjit».

Chez les Babyloniens, si un esclave faisait une crise d'épilepsie dans le mois suivant son achat, le propriétaire pouvait obtenir un remboursement (étonnante origine de la garantie 30 jours ou argent remis...) Chez les Romains, par des fumigations à base de jais, de plumes, de bitume, de corne ou de foie de chèvre, on tentait de dépister les esclaves susceptibles de souffrir d'épilepsie avant de les mettre en vente. Ces techniques, mises au point par Rufus d'Éphèse, médecin grec de l'Antiquité et Alexandre d'Aphrodise, grand philosophe du 2ième siècle provoquaient des nausées susceptibles d'initier une crise d'épilepsie.

Jusqu'à Hippocrate, la maladie portait le nom de «mal sacré» car, d'une part, il provenait du cerveau, siège de l'intelligence et du sacré, et d'autre part parce qu'on n'y connaissait aucun remède, le sacré étant perçu alors comme une condition au-delà de la condition humaine.

Hippocrate contestera cette appellation: «Voici ce qu'il en est de la maladie dite sacrée: elle ne me paraît avoir rien de plus divin ou de plus sacrée que les autres», écrivait-il. Plus loin, il persiste: «Ceux qui, les premiers, ont sanctifié cette maladie, furent à mon avis, ce que sont aujourd'hui les mages, les expiateurs, les charlatans, les imposteurs.»

Pour Hippocrate, il est évident que l'épilepsie provient du cerveau et qu'elle trouve son origine durant la période fœtale d'un cerveau mal irrigué par les veines. Hypothèse étonnante, puisqu'on sait aujourd'hui qu'environ 30% des cas d'épilepsie sont d'origine génétique et 70% des cas d'épilepsie sont acquis dont la moitié par des traumatismes survenus dans le cerveau durant la gestation ou durant la petite enfance. Les Grecs nommèrent le mal sacré «epilambanien», ce qui signifiait: attaquer, prendre par surprise.

Les Romains appelèrent cette affection: le mal comitial, parce qu'on devait interrompre les comices (genre de consultations populaires) quand une personne avait une crise. L'épilepsie faisait peur et une superstition voulait qu'on crachât par terre lorsqu'on rencontrait un épileptique afin... d'éviter la contagion !

Une histoire religieuse

La Bible dans son Nouveau Testament, fait état d'une guérison de Jésus d'un enfant qui, de toute évidence, souffrait d'épilepsie. Ainsi, dans l'Évangile de saint Marc, on peut lire (Marc 9 : 17-29): «Maître, je t'ai amené mon fils, il est possédé par un esprit qui le rend muet; cet esprit s'empare de lui n'importe où, il le jette par terre, l'enfant écume, grince des dents et devient tout raide. J'ai demandé à tes disciples d'expulser cet esprit, mais ils n'ont pas réussi.»

Au Moyen Âge, une autre appellation voit le jour: on parle du «mal de saint Jean». On fait ainsi référence à un autre passage biblique ou Salomé exécute la danse des sept voiles en échange de se voir portée la tête de saint Jean Baptiste sur un plateau. Il s'agirait d'une danse frénétique pendant laquelle la danseuse se débarrasse de ses vêtements (constitué de 7 voiles). Dans certaines régions, des épileptiques dansaient le 23 juin, veille de la saint Jean, espérant enfin une guérison.

Au XVIIème siècle paraîtra un premier traité en français sous la plume d'un médecin du nom de Jean Taxil intitulé: Traité́ de l'épilepsie, maladie vulgairement appelée au pays de Provence, la gouttete aux petits enfants. Avec plusieurs belles, & curieuses questions, touchant les causes prognostiques, & cures d'icelles.

Il faut avouer que l'épilepsie connaissait sensiblement le même sort que les maladies psychiatriques pour lesquelles un mélange de religion et de superstitions occupait plus d'espace que la science médicale à l'époque. On décrivait la maladie comme étant le «grand mal» pour ceux qui présentaient des crises avec spasmes, écume et perte de conscience; ou le «petit mal» pour ceux qui ne connaissaient que de brèves absences de conscience. Plusieurs soupçonnaient les parents de tels enfants d'avoir reçu ainsi une punition de Dieu pour un grand péché ou un petit péché.

La masturbation en cause

En 1857, l'idée était fort répandue et acceptée que l'épilepsie fût causée par la masturbation. Un médecin obstétricien anglais de grande notoriété, puisqu'il avait accouché la reine Victoria de ses neuf enfants, présenta sa découverte: le bromure de potassium. Le docteur Charles Locock déclara que le succès de son remède tenait au fait qu'il calmait l'excitation sexuelle et la pensée.

Si l'origine qu'il attribuait à la maladie reste pour le moins contestable, il venait de fournir aux épileptiques le premier médicament doté d'une réelle efficacité.

C'est le neurologue britannique Juhn Hughlings Jackson qui fut le premier à jeter les bases scientifiques modernes de l'épilepsie en élaborant la première classification basée sur l'anatomie et les aspects cliniques de la maladie. Avec deux autres neurologues, Sir David Ferrier et Sir William Gowers, il fonda la National Society for the Employment of Epileptics, association qui existe toujours maintenant sous le nom de National Society for Epilepsy.

Le 20e siècle

Les vrais progrès devront attendre après les années 1920. C'est à ce moment que le neurologue allemand Hans Berger applique sur un humain un nouvel appareil d'étude du cerveau: l'électroencéphalographe. L'EEG commencera à être utilisé de façon systématique dans les années 1950. Plusieurs grands noms s'illustreront.

Le docteur William Lennox est né sur un ranch dans la région de Colorado Springs. Après ses études en médecine, il fut envoyé comme médecin missionnaire en Chine. De retour aux États-Unis, il rencontra le docteur Stanley Cobb, et ils décidèrent ensemble d'étudier l'épilepsie. Puis, il continua ses études sur cette maladie avec un autre grand nom: le docteur Frederic Gibbs, au prestigieux département de physiologie de l'Université Harvard. Le Dr Lennox sera appelé en 1944 à créer l'unité d'épilepsie au Children Medical Center de l'hôpital de Boston. Comme reliquat de son ancienne profession de missionnaire, son impact dépasse les stricts résultats scientifiques. Ainsi, on lui doit la réorganisation de la Ligue internationale contre l'épilepsie, la fondation de l'American Foundation for Epilepsy, et il fut le premier éditeur du journal Epilepsia.

Avec Henri Gastaut, médecin des hôpitaux de Marseille, Lennox effectua de grandes recherches dans la classification des diverses formes de l'épilepsie notamment avec l'utilisation de l'EEG.

Une des variétés de la maladie portera le nom de: syndrome Lennox-Gastaut.

Une histoire d'amour

William Lennox avait engagé comme assistante technique une femme récemment arrivée d'Allemagne, Ema Leonhard. Ce fut le coup de foudre entre Ema et Frederik Gibbs qui se marièrent un an plus tard en 1930. Le couple Gibbs-Leonhard durera durant toute leur vie. Ema décéda en 1987, Frederik en 1992. Ensemble, ils signèrent le manuel Atlas of electroencephalography en 1941, qui fut réédité en 1951, ainsi que de nombreuses publications scientifiques durant les 53 années de leur union. En plus des nombreux honneurs scientifiques attribués à chacun des membres du couple, Ema a été élue femme de l'année par l'American Women's Association en 1958.

L'épilepsie est connue depuis la nuit des temps, mais il faudra attendre le vingtième siècle pour voir arriver des traitements efficaces d'abord par l'utilisation des barbituriques dans les années 1930, puis de l'acide valproïque en 1960, puis finalement une troisième vague de nouveaux médicaments dans les années 1990: le vigabatrin (1991), le gapapentin (1995), le felbamate (1996), la lamotrigine (1996), la topiramate (1998), la tiagabine (1998) et le Lévétiracétam (2001).

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Lutte contre la polio: des images des campagnes de vaccination de l'Unicef

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.