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Il était une fois la maladie: l'histoire des bronchodilatateurs ou l'art de jouer avec une molécule

La recherche est un peu comme un château où chaque porte ouvre sur une nouvelle série de corridors. L'exploration de chacun de ceux-ci nous fait découvrir de nouvelles portes et de nouvelles avenues de recherche.
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L'industrie pharmaceutique avait, dans un premier souffle, découvert et mis au point une quantité impressionnante de nouveaux médicaments tant à partir des plantes (alcaloïdes végétaux) que de produits de synthèse. Dès le début du vingtième siècle, une nouvelle ère allait s'ouvrir. À partir de molécules connues, il faudra créer et tester diverses variantes de celles-ci pour générer de nouvelles propriétés et actions thérapeutiques, en somme, de nouveaux médicaments. La mise au point des bronchodilatateurs en fournit un exemple parfait. Commençons donc notre voyage dans le temps qui a permis leurs découvertes.

La molécule originelle : l'adrénaline

Jokishi Takamine en fut le découvreur. L'histoire même de cet homme tient de la légende. Il est né à Takaoka au Japon en novembre 1854. Son père était médecin et sa mère était issue d'une grande famille de brasseurs de saké. Jokishi eut donc droit à une bonne éducation et put fréquenter les grandes écoles tant au Japon qu'en Angleterre et en Écosse.

En 1887 à la fin de ses études, il revient travailler comme chimiste au département d'agriculture et de commerce au Japon puis quitte son emploi et fonde la Tokyo Artificial Fertilizer Company. Vers la fin des années 1890, il isole et produit le tout premier enzyme industriel qu'il nomme la takadiastase, un enzyme qui pouvait remplacer avantageusement les méthodes traditionnelles de distillation et de fermentation. Il recevra un diplôme honorifique de l'université de Tokyo en 1899 pour cette découverte.

Il immigre par la suite aux États-Unis où il épouse Caroline Hitch et installe son usine et son laboratoire à New York. Mais son enzyme et ses nouvelles méthodes de distillation attisent la jalousie d'autres brasseurs, si bien que son usine fut entièrement rasée par les flammes. Pour ajouter à son malheur, Takamine tombe sérieusement malade et doit être hospitalisé et opéré pour le foie. Recouvrant sa santé et son optimisme, il bénéficia enfin d'un véritable coup de chance, il vend les droits de production de son enzyme à la compagnie pharmaceutique Parke Davis. Dès le début du vingtième siècle, sa fortune sera évaluée à plus de 30 millions de dollars. Le Dr Takamine reçut de nombreux honneurs des dirigeants japonais de l'époque qui voyaient en lui, à juste titre, un ambassadeur hors pair du Japon aux États-Unis.

En 1904, l'empereur du Japon offrit en remerciement au Dr Takamine une réplique du fameux Shofu-den (Pine and Maple Palace). La construction qui est aujourd'hui une attraction touristique dans le comté Sullivan de l'État de New York, a aussi accueilli dans ses murs le prince Kuni Kuniyoshi et la princesse Kuni du Japon lors de leur visite officielle en 1909. Autre récompense du Japon : plusieurs des cerisiers qui ornent le West Potomac Park à Washington proviennent de Yukio Ozaki, alors maire de Tokyo, qui les avait offerts au Dr Takamine.

En 1901, il est le premier à isoler et purifier l'adrénaline. C'est ici que notre molécule originelle prend vie. Cette hormone, comme nous savons, possède plusieurs propriétés dont celle d'augmenter le rythme cardiaque, la pression artérielle et la dilatation des bronches. Pour toutes les personnes souffrant d'asthme, d'allergies respiratoires, de rhume ou de toute autre affection pulmonaire, l'effet d'un bronchodilatateur peut s'avérer fort utile, voire vital. Mais trois facteurs demeuraient problématiques pour l'utilisation de l'adrénaline comme bronchodilatateur. En premier lieu, ses effets sur le rythme cardiaque et sur la pression artérielle limitaient de beaucoup le type de patients qui pourraient l'utiliser en toute sécurité. Puis l'adrénaline ne pouvait pas être prise sous forme orale.

Le mystère commence à s'élucider

Au début des années 1920, Ko Kuei Chen, pharmacologiste chez Lily, découvre un autre bronchodilatateur à partir de la plante Ephedra vulgaris. C'est ainsi que nait l'éphédrine. Chen réalise que la structure chimique de l'éphédrine est très proche de celle de l'adrénaline. Elle possédait l'immense avantage de demeurer active après une administration orale. Par contre, la plante était rare. Pour contrer cet inconvénient majeur, un chercheur de l'université de Californie décida de réaliser une synthèse chimique d'un dérivé de l'éphédrine.

C'est ainsi qu'en 1927 fut créée l'amphétamine par Gordon Alles. En 1932, on en tira un bronchodilatateur vendu sous le nom de benzédrine. Mais ce furent très bientôt les qualités stimulantes de l'amphétamine qui furent recherchées. Ainsi durant la guerre de 1939-1945, on en donnait aux soldats pour améliorer leurs performances et leur endurance. C'est cet usage qui est aujourd'hui déclaré illégal qui maintint l'intérêt des adeptes, surtout des sportifs pour améliorer leurs performances.

On disposait néanmoins désormais des modèles de trois molécules voisines, les trois ayant des propriétés bronchodilatatrices, l'une ne pouvant être prise par voie orale (adrénaline), l'autre provenant d'une plante rare (éphédrine), mais pouvant résister au tractus digestif et la troisième qui avait les qualités des deux premières, mais qui trouvait utilisation surtout comme psychotrope. La biochimie des bronchodilatateurs se précisait.

«Au 19e siècle, l'asthme était une maladie plutôt rare. La tuberculose, qu'on appelait surtout consomption ou phtisie, fut la motivation la plus convaincante pour stimuler les recherches vers un inhalateur plus efficace.»

Un jeu de Mécano

Il s'agirait donc pour les pharmacologues et les chimistes d'isoler la partie centrale aux effets désirés et d'y greffer d'autres radicaux qui conféreraient au médicament son action primaire sans les effets secondaires indésirables. C'est ainsi que naquit une série de molécules comme la synephrine (ou oxedrine) qui fut finalement utilisée comme coupe-faim, l'isoetharine qui présentait moins d'effets sur la tension artérielle, l'isoprenaline, l'orciprenaline dont la durée d'action a été jugée trop courte et l'effet bronchodilatateur trop faible. Suivirent la terbutaline et finalement le salbutamol. Ce dernier fut obtenu en changeant le groupe hydroxyle de l'isoprenaline par un groupe hydroxyméthyl. Tel qu'espéré, la durée d'action augmenta ainsi que la force de broncho dilatation, sans trop influer sur le rythme cardiaque et la tension artérielle.

Les inhalateurs

Quant à l'idée d'utiliser la médication par inhalation, elle est bien antérieure à la découverte des bronchodilatateurs. Déjà le papyrus égyptien d'Ebert en fait mention aussi tôt que 1 554 ans av. J.-C.. Plus près de nous, le Dr John Mudge relate dans son livre paru au 18e siècle l'utilisation d'un inhalateur en forme d'une chope d'étain pour traiter les rhumes avec des vapeurs d'opium.

Au 19e siècle, l'asthme était une maladie plutôt rare. La tuberculose, qu'on appelait surtout consomption ou phtisie, fut la motivation la plus convaincante pour stimuler les recherches vers un inhalateur plus efficace. Ces inhalations se faisaient avec divers produits mélangés (iode, chlore, ammoniac, etc.) avec de l'eau qu'on amenait à ébullition. Le patient respirait alors ces vapeurs pendant des périodes variant de 5 à 20 minutes.

C'est le médecin anglais A. Newton en 1864 qui a conçu et développé le premier inhalateur capable d'utiliser des médicaments en poudre. Il avait même noté que la poudre devait être pulvérisée en particules très fines et capables d'être conservées sèches durant l'inhalation. Ses observations sont encore valables aujourd'hui. Un an plus tard, un autre chercheur anglais, inventera l'inhalateur Nelson toujours en utilisation de nos jours tel qu'en fait foi cet article du Lancet intitulé Dr Nelson's improved earthenware inhaler.

Mais indubitablement, ce n'est qu'au milieu du 20e siècle (1955) que les plus grandes percées se sont réalisées. Charles Thiel qui travaillait chez Riker (3M) fut le leader d'une équipe qui mit au point le fameux inhalateur pressurisé (pMDIs). C'est le dispositif le plus populaire encore de nos jours avec des ventes annuelles de plus de 400 millions d'unités.

Au début des années 1960, un médecin arménien, le docteur Roger Altounian, lui-même souffrant d'asthme, testa les bénéfices d'une plante d'origine égyptienne, le khella, d'où fut dérivée la khelline puis la cromone. Ce médecin fut un pilote hors pair durant la guerre de 1939-1945 au service de la Royal Air Force qui l'avait récompensé pour ses techniques novatrices en vol de nuit. Ses connaissances approfondies en aérodynamique l'auraient inspiré pour inventer le Spinhaler, un inhalateur muni d'une hélice qui provoque une turbulence permettant d'administrer des doses plus importantes de médicaments. Il fut mis en marché en 1967.

L'arrivée du salbutamol

Un an plus tard, un bronchodilatateur allait devenir celui qui serait le plus prescrit à travers le monde: le salbutamol. Il fut le premier relativement exempt de toute action sur les autres systèmes. Il fut découvert par David Hartley, David Jack, Lawrence Luntz and Alexander Ritchie de la compagnie Allen & Hanburys une ex-division de Glaxo-Smith-Kline (GSK) et commercialisé sous le nom de Ventolin.

Bien sûr, par la suite d'autres inhalateurs furent patentés et mis en marché, mais avec l'arrivée du salbutamol et des divers stéroïdes qui pouvaient être inhalés, la route était ouverte.

La recherche est un peu comme un château où chaque porte ouvre sur une nouvelle série de corridors. L'exploration de chacun de ceux-ci nous fait découvrir de nouvelles portes et de nouvelles avenues de recherche. Parfois, le corridor ne débouche nulle part, la découverte n'est pas au rendez-vous. Mais l'exploration de ce corridor contribue à continuer à dessiner le plan de l'organisation de l'univers. En recherche scientifique, quand on a rien trouvé, on a quand même trouvé.

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Mai 2017

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