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Il était une fois la maladie: l'appendicite ou la paternité galvaudée

Il y avait bien eu une première appendicectomie réussie le 6 décembre 1735 à l'hôpital Saint-George à Londres par le chirurgien Claudius Amyand. On lui doit le nom de hernie de Amyand pour une forme atypique d'appendicite aiguë.
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Il y avait bien eu une première appendicectomie réussie le 6 décembre 1735 à l'hôpital Saint-George à Londres par le chirurgien Claudius Amyand. On lui doit le nom de hernie de Amyand pour une forme atypique d'appendicite aiguë. Quatre années après ce succès chirurgical, le Dr Amyand décéda et l'on retint plus de lui sa carrière dans l'armée des Flandres que son apport sur l'appendicectomie qui, malheureusement, passa à l'oubli.

Près d'un siècle plus tard, ce fut une conséquence de l'appendicite qui fut diagnostiquée au début du XIXe siècle. En effet, deux médecins, les docteurs Goldbeck et Dupuytren, avaient donné en 1830 le nom de pérityphlite à une inflammation trouvant son siège dans le tissu cellulaire rétrocaecal. Un peu plus tard, Ferral d'Edinburgh et James Copland, deux médecins londoniens avaient soutenu que ces masses pouvaient être dues à l'épaississement de la paroi du caecum ou au contenu trop abondant de l'intestin engorgé. À l'époque, on semblait peu se soucier de la paternité d'une découverte tant et si bien qu'un autre médecin, Albers de Bonns, reprit ces idées à son compte en 1839 et donna le nom de typhlite à la maladie, sa forme la plus sévère étant la typhlite stercorale.

Pour éviter une évolution funeste (qui de toute façon arrivait la plupart du temps), comme la maladie était présumée être due à un endurcissement de la paroi intestinale et à une accumulation de matière intra-intestinale, la méthode de traitement fut établie : sangsues, purges et lavements. Malgré le peu d'efficacité de ces thérapies, elles demeurèrent la norme pendant les cinquante années qui suivirent.

L'histoire de Krafft

En janvier 1888, Charles Krafft amorçait son dernier semestre universitaire sous la direction du très célèbre César Roux à l'hôpital cantonal de Lausanne en Suisse. Selon ce qui est rapporté dans : Histoire des sciences médicales, Tome XVIII, No 1, 1984, pp 33- 41, le 23 janvier 1888, un garçon de quatorze ans fut admis à cet hôpital souffrant depuis quelques jours de douleurs abdominales. Comme c'était la coutume depuis près d'un demi-siècle, on lui prodigua le traitement de choix : sangsues, purges et lavements.Trois jours après, le jeune homme était mort. Charles Krafft en resta profondément choqué. Vingt-sept ans plus tard, le Dr Krafft décrira encore le tableau de ce collégien mort, enveloppé dans son uniforme de cadet.

Il faut savoir que Krafft, alors interne, avait pratiqué l'autopsie du jeune homme et avait observé un abcès péri appendiculaire qui avait crevé dans la cavité abdominale. Il avait alors compris deux choses : les enseignements reçus ne sont pas toujours valables et il y aurait certainement moyen de mieux soigner par chirurgie. En fait, il venait de saisir la vanité de tout ce qu'on lui avait appris sur la pérityphlite et les conséquences désastreuses de ces fausses idées.

Dès lors, il lui faudrait savoir si toutes les pérityphlites étaient de même nature et si oui, ne devrait-on pas obéir au principe : ubi pus, ibi evacua (traduction libre : Là où il y a du pus, il faut l'enlever), et enlever par chirurgie ces appendices ? Une enquête approfondie lui apporta les réponses. Dans tous les cas de pérityphlite, le coupable était bel et bien l'appendice. Sur 106 observations, 84 se sont terminées par une autopsie et chaque fois était notée la présence d'un abcès dans la région caecale.

En juin 1888, Krafft termina son internat par un stage chez Volkmann à Halle an der Saale. Il put alors pratiquer sur des cadavres l'amputation de l'appendice et réaliser à quel point cette chirurgie s'avérait fort simple. Puis il revint en Suisse où il déposa sa thèse intitulée : Essai sur la nécessité de traiter chirurgicalement la pérityphlite appendiculaire stercorale perforatrice, qui fut publiée le 20 décembre 1888 dans la Revue médicale de la Suisse romande. Elle fut traduite en allemand et parut le 15 janvier 1889 avec un post-scriptum de Richard von Volkmann.

Puis en 1890, un article de César Roux, le titulaire de Krafft, relate le succès du célèbre chirurgien sur six cas qu'il avait opérés et guéris. Les réputations de Volkmann et de Roux étaient telles que tous les honneurs leur revinrent et l'apport de Charles Krafft passa rapidement aux oubliettes. Et l'histoire de l'appendicite prit dès lors une autre direction.

L'histoire officielle

La paternité de la première description détaillée de l'appendicite fut attribuée au médecin français Paul Georges Dieulafoy, titulaire de la chaire de pathologie interne à la faculté de médecine de Paris. Il sera le premier, en mars 1896 à décrire ce qu'il fut convenu d'appeler la triade de Dieulafoy : douleur de la fosse iliaque droite, défense et hyperesthésie (augmentation de la sensibilité des divers sens tels la vision, l'ouïe, etc.) et à insister sur l'urgence chirurgicale d'une inflammation aiguë de l'appendice. Mais il n'employa jamais le terme d'appendicite. Ainsi il écrivait : « L'appendice vermiculaire du caecum peut participer aux lésions de la typhlite et de la pérityphlite, ou bien être le siège de lésions indépendantes. »

Quant au terme appendicite, la paternité fut accordée au Dr Réginald Heber Fitz (1843-1913) un médecin gradué du célèbre Harvard University.

Un autre grand nom en rapport avec l'appendicite est Charles Heber McBurney. Né en 1845, il fut reçu médecin à l'université Columbia à New York en 1870. Après une spécialisation de deux ans en Europe, il devint assistant chirurgien au Bellevue Hospital puis, en 1888, chirurgien chef au Roosevelt Hospital. C'est à cet endroit qu'il fit ses travaux les plus importants sur l'appendicite. Il put ainsi localiser l'endroit précis le plus sensible lors d'une appendicite, endroit qui fut nommé en son honneur : le McBurney's point.

Il décrivit aussi sa façon personnelle d'inciser lors d'une appendicectomie qui devint connue sous le nom De McBurney's incision même si cette technique avait été décrite auparavant par un autre chirurgien Louis L. MacArthur. Décidément dans le monde des appendicites, la paternité semblait passablement galvaudée.

L'importance relative de la paternité

L'exemple de Charles Krafft illustre bien qu'un néophyte peut parfois changer le cours de l'histoire des traitements. En Europe, avant Krafft, aucun bonze de l'enseignement médical n'aurait osé remettre en doute la triade : sangsues, purges et lavements comme traitement classique de la pérityphlite (appendicite). Il aura fallu le regard nouveau de ce jeune interne d'à peine 25 ans pour bouleverser les habitudes d'alors.

Cet attachement aux valeurs usuelles est bien noté par le docteur Georges Morer, de la Clinique Saint-Louis, à Perpignan, auteur de l'article sur Charles Krafft qui conclut ainsi sa recherche :

« On attache souvent trop d'importance à ces questions de priorité. Voilà une maladie dont l'histoire s'étend sur plus de deux siècles. Il lui a fallu le concours de plusieurs pionniers, Charles Krafft a été l'un d'entre eux. Ce qui compte, c'est l'influence d'une œuvre sur l'avancement de la médecine. L'Atlantique était alors comme une membrane semi-perméable et ne permettait les échanges que dans un seul sens, d'Europe vers l'Amérique. Les maîtres de la médecine européenne englobaient alors dans un égal mépris tout ce qui venait du Nouveau Monde.

On peut se demander pendant combien de temps encore le vieux continent fût resté sourd et aveugle à ce qui se passait ailleurs. Parmi les nombreuses revues reçues par la Société de chirurgie de Paris, on ne comptait alors qu'une américaine, Annals of Surgery, qui avait superbement ignoré les débuts de la chirurgie de l'appendicite. Mais au nombre de ces périodiques reçus par la Société de Chirurgie, figurait heureusement la Revue médicale Suisse romande. C'est par elle, et grâce à Charles Krafft, que l'on put assister à la naissance de l'appendicite en France.

Cela méritait bien qu'un hommage lui fut rendu ici. »

( Référence; Histoire des sciences médicales, organe officiel de la Société française d'histoire de la médecine, trimestriel - Tome XVIII - No 1 - 1984, Georges Morer, La découverte de Charles Krafft, p.39)

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Mai 2017

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