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Manon n’aurait pas dû mourir… comme ça

Je me sens coupable de ne pas avoir fait de démarches pour aider ma précieuse amie à découvrir qu'effectivement il existait, au Québec, des services d'aide médicale à mourir.
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Manon est décédée le 9 novembre. Elle croyait que sa mort serait rapide; elle ne l'a pas été. C'est le genre de situation où on n'a pas droit à une répétition...
Courtoisie
Manon est décédée le 9 novembre. Elle croyait que sa mort serait rapide; elle ne l'a pas été. C'est le genre de situation où on n'a pas droit à une répétition...

J'ai une amie de la région de Montréal qui me dit souvent à la blague — mais avec une certaine pointe de vérité — que, nous, à Drummondville, nous vivons dans un bunker. Elle entend par là que nous sommes peu au courant de tout ce qui se passe vraiment au Québec.

Je vais vous faire une confidence: j'ai eu à constater la chose cette semaine, et ce, avec la plus grande des désolations.

J'ai publié un billet dans La Presse dimanche dernier pour parler de mon amie Manon Gardner qui a décidé de prendre sa mort en main, c'est-à-dire qu'elle a arrêté de s'alimenter le 25 septembre et a arrêté de s'hydrater le 1 novembre.

Manon est décédée le 9 novembre. Elle croyait que sa mort serait rapide; elle ne l'a pas été. C'est le genre de situation où on n'a pas droit à une répétition... Imaginez alors l'enfer pour elle et pour sa famille!

Tout ce qu'elle voulait, c'était partir

Manon souhaitait profiter de l'aide médicale à mourir parce qu'elle n'avait plus de qualité de vie, étant atteinte de la sclérose en plaques et confinée dans un fauteuil roulant pour le reste de ses jours. (L'évolution naturelle de cette maladie est le décès par une complication respiratoire ou infectieuse suite à un alitement prolongé ou une incapacité à avaler normalement. C'est le scénario habituel.)

Selon son plan idéal à elle, Manon désirait une simple injection et cinq minutes plus tard, tout aurait été fini. Elle aurait même pu organiser un petit party d'adieu et nous faire rire — et aussi nous consoler — comme elle seule sait si bien le faire.

L'information que Manon a toujours eue était que l'aide médicale à mourir n'était pas disponible, que la loi à cet effet n'était pas encore adoptée..

Elle aurait profité de sa vie jusqu'au dernier moment, ayant le loisir de choisir la date et l'heure de son départ. Tout aurait été fait dans le respect, avec des gens compétents et rassurants.

Mais non, l'information que Manon a toujours eue était que l'aide médicale à mourir n'était pas disponible, que la loi à cet effet n'était pas encore adoptée et que seuls les gens aux prises avec un cancer et en phase de mourir pouvaient aller en maison de fin de vie et être pris en charge. Je résume ici grosso modo la situation.

Vous vous imaginez alors ma surprise de constater que deux médecins familiers avec l'aide médicale à mourir sont venus m'écrire que j'étais dans le champ avec mon article que la loi était bel et bien passée depuis le 10 décembre 2015.

Vous vous imaginez alors qu'elle n'a pas été ma surprise de constater que, sur Twitter, deux médecins familiers avec l'aide médicale à mourir — le docteur David Lussier et le docteur Claude Rivard — sont venus m'écrire que j'étais dans le champ avec mon article, que la loi était bel et bien passée depuis le 10 décembre 2015 et même que chacun d'eux assiste présentement des personnes dans leur désir de mettre un terme à leur vie.

Pendant un instant, mon cerveau a eu envie de disjoncter, mais c'est surtout mon cœur qui a manqué quelques battements en pensant à mon amie en train de vivre d'une mort lente et pénible.

Je n'y comprends plus rien. Comment une telle chose est-elle possible?

Si seulement on avait su

Tout comme ceux qui l'apprendront ici, je ne sais pas si on doit être abasourdi ou révolté du fait qu'il y a une personne qui a essayé de mourir par ses propres moyens alors qu'elle aurait pu avoir toute l'aide nécessaire qu'il lui aurait fallu... si seulement on avait su.

Selon le docteur Rivard, la loi sur les soins de fin de vie exige que TOUS les établissements du Québec fournissent des soins palliatifs à tous les patients qui en ont besoin et ceci comprend l'aide médicale à mourir.

Lors d'une de nos dernières rencontres, Manon m'a demandé de parler de son histoire parce qu'elle voulait faire avancer les choses en ce qui a trait à l'aide médicale à mourir (persuadée qu'elle était, à ce moment-là, que celle-ci n'était pas disponible au Québec).

Selon le docteur Rivard, la loi sur les soins de fin de vie exige que TOUS les établissements du Québec fournissent des soins palliatifs à tous les patients qui en ont besoin et ceci comprend l'aide médicale à mourir (AMM). Manon aurait donc pu mourir dans sa maison, dans sa ville, dans son hôpital local.

Il rajoute aussi que la loi exempte les maisons de soins palliatifs de fournir l'AMM; ils peuvent l'offrir selon la décision que pourra prendre le conseil d'administration de l'établissement. Certaines maisons de soins palliatifs n'admettent que les cas de cancer, tandis que d'autres acceptent tous les patients en fin de vie, peu importe la raison.

Maigre consolation s'il en est une: je réalise tout de même aujourd'hui que mon amie n'aura pas vécu cette fin de vie atroce en vain si cela permet de mieux faire connaître les services d'aide médicale à mourir au Québec.

Nicole, la conjointe de Manon, et moi désirons remercier chaleureusement le docteur David Lussier et le docteur Claude Rivard qui sont venus rectifier les faits par rapport à mon dernier billet et qui, depuis, ont apporté aide et réconfort.

J'ai eu la chance d'échanger avec chacun d'eux et ai même eu le privilège de parler à monsieur Rivard qui était prêt à venir à Drummondville faire signer Manon (si elle en avait été capable) et faire la première évaluation. Par la suite, il aurait tout de même fallu une deuxième évaluation par un médecin indépendant pour avoir accès à la médication. Mais, malheureusement, Manon n'était plus assez lucide et apte pour faire une demande écrite, comme l'exige la loi.

La famille tient tout de même à souligner l'aide précieuse du médecin de famille, des infirmières du CLSC et de la Maison René-Verrier qui a assigné une ressource à domicile pour donner un peu de répit la nuit.

Toute cette histoire me fait réaliser une chose: il ne faut jamais s'arrêter sur une réponse si celle-ci ne nous satisfait pas.

Je me sens un peu coupable de ne pas avoir fait de démarches pour aider ma précieuse amie à découvrir qu'effectivement il existait, au Québec, des services d'aide médicale à mourir. Mais, maintenant, il faut passer le mot.

Et puis, comme le dit si bien le docteur Lussier: «C'est le système qui doit faire un examen de conscience quand quelqu'un n'est pas bien renseigné, comme ce fut le cas pour Manon Gardner».

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